Il reste encore tout un tas de trucs dont j’ai pas parlé et des tas de façons dont l’État avantage le patronat, et que je vais me contenter de survoler parce que je pense que vous avez l’idée :
Premier truc : quand l’État oblige les gens à acheter et à consommer, de certaines façons, des produits qui sont fournis par des entreprises privées.
Par exemple : l’obligation de racheter régulièrement des manuels scolaires, parce que les programmes scolaires changent tout le temps. Ça c’est magique : à chaque fois que les programmes scolaires changent, pouf les anciens manuels scolaires perdent immédiatement toute leur valeur (et ne peuvent du coup plus être revendus d’occasion), ce qui fait que ça force les gens à racheter des manuels neufs tout le temps. Grâce à ce système, la durée de vie moyenne d’un manuel ne dépasse pas les cinq ans.
En pratique, une partie du coût de ces manuels est supportée par l’argent public, l’autre par les familles qui scolarisent les enfants, mais dans les deux cas c’est (encore) des centaines de millions d’euros qui atterrissent dans la poche des entreprises privées qui impriment ces manuels. Et pour montrer que ça a rien d’anecdotique : en 2011 en France, les ventes de manuels scolaires ont représenté 40.5 millions d’exemplaires, pour un chiffre d’affaires de 336.5 millions d’euros quand même, soit 12 % du chiffre d’affaires global du secteur de l’édition ! Évidemment en pratique la majeure partie de ce fric va a des gros éditeurs, comme Hachette et Hatier (du groupe Lagardère), Nathan / Bordas (groupe Editis), etc.
Autre truc fréquent : quand l’État laisse en toute connaissance de cause des entreprises polluer tranquillement, même quand ça met en danger des écosystèmes entiers et les gens qui vivent autour. Même quand il y a quelques lois qui prétendent protéger l’environnement, en pratique ces réglementations sont souvent peu contraignantes et peu appliquées.
Exemple concret : l’usine Sanofi de Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques, qui rejette dans l’environnement une substance cancérogène en quantité industrielle (plus de 190 000 fois le maximum théoriquement autorisé !), mais que l’État laisse faire en toute connaissance de cause. C’est pas le seul cas bien sûr, et on pourrait aussi citer toutes les catastrophes industrielles qui se produisent régulièrement, comme les marées noires ou autre, parce qu’il y a peu de contrôles et que les entreprises craignent pas les sanctions.
Vous vous rappelez l’incendie de Lubrizol, en 2019, à Rouen, qui avait disséminé presque 10 000 tonnes (9 500 tonnes en fait donc hein bon) de produits chimiques dans l’atmosphère sur des dizaines de kilomètres autour ? Hé bien il faut savoir que cette même entreprise Lubrizol avait déjà provoqué plusieurs fuites de produits chimiques dans l’environnement, dont une fuite de gaz majeure en 2013, pour laquelle elle avait même été condamnée pour négligence l’année suivante, mais à une amende dérisoire de 4 000 euros… Et puis l’entreprise avait encore refait parler d’elle en 2015 à cause d’une fuite de 2 000 litres d’huile cette fois dans le réseau d’évacuation des eaux pluviales de Rouen !
Inutile de dire que des condamnations à des amendes aussi ridicules sont juste symboliques, et n’ont rien de dissuasif…
Le problème, c’est que tout ce qui menace l’environnement en général (que ce soit à petite échelle, par des entreprises qui polluent dans leur coin, ou à grande échelle, comme le réchauffement climatique) on sait très bien que c’est surtout les pauvres qui vont en souffrir, mais que les bourgeois·es n’en subiront globalement pas les conséquences. Et donc les États s’en foutent, évidemment…
Même des mesures qui prétendent aller dans le sens des salarié·e·s, sont en vrai presque toujours faites dans l’intérêt du patronat.
Sinon, on pourrait citer aussi toutes les mesures protectionnistes que les États mettent en place pour avantager les entreprises nationales par rapport aux autres. Bon ici je vais pas avoir le temps de faire une analyse approfondie du protectionnisme (je vous ai mis un article qui explore bien le sujet en lien si vous voulez creuser), mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que, si les États sont au service des capitalistes en général, ils servent quand même avant tout les intérêts de « leur » bourgeoisie nationale en priorité, et cherchent en priorité à avantager les entreprises nationales par rapport aux entreprises étrangères.
Pourquoi ?
Hé ben, tout simplement, parce que c’est avant tout ces entreprises-là qui sont les mieux placées pour faire du lobbying et corrompre les décideurs·euses politiques : c’est ces entreprises qui ont le plus d’entrées au parlement par exemple, parce qu’elles sont là depuis plus longtemps, et que toute entreprise va d’abord essayer de s’assurer de ses intérêts là où elle est le plus implantée. Du coup, en général les entreprises concentrent leurs efforts de lobbying (et de corruption d’élu·e·s) en priorité sur les zones géographiques où elles sont le plus implantées, c’est logique, et donc d’abord dans leur pays « d’origine ».
Et puis c’est aussi les entreprises nationales qui contrôlent les médias nationaux, pour les mêmes raisons, et donc à qui les élu·e·s doivent leur élection, et dont iels dépendent pour être réélu·e·s…
Et donc, les États privilégient toujours « leurs » entreprises, et mettent en place autant qu’iels peuvent des tas de mesures protectionnistes (plus ou moins assumées) pour aider les entreprises nationales à être plus compétitives que les autres. Ça peut être des aides et des subventions réservées aux entreprises nationales, des barrières douanières (sous différents prétextes) pour augmenter artificiellement le prix des produits vendus par les entreprises étrangères, voire carrément interdire leur vente, ou encore d’autres trucs pour rajouter de façon détournée des obstacles à la concurrence des produits étrangers.
Bien sûr, on nous vend toujours ce protectionnisme comme s’il était fait dans l’intérêt des travailleurs·euses et pour préserver l’emploi, mais en vrai c’est pas du tout le cas, et c’est fait à 100 % dans l’intérêt du patronat. D’ailleurs, la plupart du temps, les États font même du protectionnisme d’un côté, dans certains domaines, mais en même temps font pression autant qu’ils peuvent à l’international pour du libre échange dans d’autres domaines, parce que dans certains domaines les entreprises nationales sont plus compétitives que les entreprises étrangères (et donc sont avantagées si la concurrence est libre), mais par contre dans d’autres domaines c’est le contraire, et les entreprises nationales sont moins compétitives et ont pas du tout intérêt à ce que les entreprises étrangères viennent leur grignoter des parts de marché…
Par exemple, avant la deuxième guerre mondiale, les États-Unis étaient surtout protectionnistes, parce que leur industrie était en développement, et avait besoin d’un monopole sur leur marché intérieur, très important, et ça aurait pas été une bonne idée du tout pour eux de permettre aux industries européennes, qui étaient plus avancées technologiquement à l’époque, de venir leur faire concurrence sur ce marché intérieur. Par contre, après la deuxième guerre, la donne avait totalement changé, parce que l’industrie américaine s’était énormément développée et était devenue plus compétitive que les autres, alors qu’une partie des industries européennes était en ruines à cause de la guerre, et donc à partir de là les États-Unis se sont mis à défendre le libre-échange un peu partout.
Bien sûr, les politicien·ne·s qui mettent en place ces mesures se cachent derrière des motivations idéologiques, et essayent toujours de nous faire croire qu’iels feraient tout ça dans l’intérêt de la population. Par exemple, le libre-échange, on nous explique que ça augmente la concurrence et fait baisser les prix, et donc que ça augmenterait le pouvoir d’achat des gens en général, et puis à l’inverse, le protectionnisme protégerait les emplois, permettrait d’éviter les délocalisations, etc. Mais en vrai, les deux entretiennent la concurrence capitaliste, et servent surtout les intérêts du patronat, et pas les nôtres.
Un exemple concret, c’est celui de la société ArcelorMittal, qui avait demandé (et obtenu) des mesures protectionnistes aux USA et dans l’Union Européenne, avec le soutien de plusieurs syndicats de salarié·e·s (dont la CFDT, tiens, qui avait co-organisé de grandes manifestations d’employé·e·s de la sidérurgie à Bruxelles pour soutenir les demandes protectionnistes de leurs patrons…). Ces mesures protectionnistes ont permis à ArcelorMittal de faire des milliards d’euros de bénéfices… et ça n’a pas empêché la société dans le même temps de mettre des travailleurs·euses en chômage partiel, de fermer des usines et de supprimer des milliers d’emplois…
Si le sujet de l’arnaque qu’est le protectionnisme pour notre camp social vous intéresse, je vous invite à lire l’excellent article du mensuel de LO que j’ai mis en lien, et qui approfondit mieux le sujet.
Disclaimer : je ne suis pas à Lutte Ouvrière, et j’ai pas mal de critiques à faire sur leur ligne politique, notamment sur la question de l’islamophobie, mais cet article est quand même bien fait et pertinent sur la question du protectionnisme et du libre-échange, donc ce serait bête de se priver de sa lecture. L’article est ici.
Autre exemple (pas enregistré), sur la vaccination en période Covid : quand le préfet de Seine-Saint-Denis menace les centres de vaccination qui ne veulent pas passer par Doctolib de réduire les doses de vaccins auxquels ces centres ont accès ! Si vous êtes pas au courant, l’État a organisé les inscriptions pour la vaccination sur des plateformes privées de prises de rendez-vous en ligne, comme Doctolib donc. Sauf que ça a créé des grosses inégalités d’accès à la vaccination, notamment à cause de la fameuse « fracture numérique », qui fait que beaucoup de pauvres, de précaires, et de personnes âgées sont pas très à l’aise avec les outils numériques. Et donc il y a pas mal de centres de vaccination ont tenté de ne pas utiliser ces plate-formes pour cette raison : parce qu’ils se sont rendus compte que beaucoup de patient·e·s n’étaient pas à l’aise avec les outils numériques, et que c’était un frein à la vaccination, en particulier pour les populations précaires. Sauf que l’État est pas d’accord, et donc en Seine-Saint-Denis (notamment, peut-être ailleurs aussi), le préfet a menacé les centres qui tentaient de contourner l’utilisation de ces plateformes de leur envoyer moins de vaccins !
L’État fait encore d’une pierre deux coups ici : de un, il force les gens à passer par des plateformes privées comme Doctolib donc, ce qui renforce la mainmise de ces plateformes et augmentera leur profit à terme, et de deux, l’État fait en sorte de réserver en pratique les vaccins en priorité au public plutôt aisé, vu que les précaires ont (en moyenne) plus de difficultés avec internet ! Ben oui, on peut pas (trop) dire officiellement qu’on veut réserver les vaccins aux bourgeois·es, mais on peut mettre en place ce genre de mesures qui font qu’en pratique, iels y ont plus accès que les pauvres !
Autre exemple encore (pas enregistré non plus) : tout ce qui est « rapprochements » entre la recherche publique et les entreprises, ça permet en pratique aux entreprises de récupérer et de privatiser des technologies issues de la recherche publique, et donc financées, au moins en partie, par de l’argent public…
Ensuite, vous avez toute l’inaction des États face à la pauvreté. L’État laisse littéralement les gens crever à la rue par milliers, il suffit de voir comment le numéro d’accueil, le 115, est débordé et laissé en manque de moyens, à tel point qu’il est obligé de refuser plus de la moitié des demandes d’hébergement d’urgence qui lui sont faites !
Et même quand l’État verse aux pauvres une aumône à peine suffisante pour survivre, comme le RSA, il utilise ça comme prétexte pour les culpabiliser et les surveiller, et les contrôler à tout les niveaux.
Après l’État va encore plus loin et se contente pas de ne « juste » pas aider les pauvres, mais il leur fait carrément la guerre. Il suffit de voir les expulsions locatives faites par la police quelques jours avant le début de la trêve hivernale par exemple, ou les démantèlements de campements de SDF en plein hiver, quand des flics lacèrent carrément leurs tentes au cutter… Sans parler de l’immonde mobilier urbain anti-SDF que les villes installent un peu partout, qui vise à chasser les pauvres des centres-villes pour déplacer la misère ailleurs et préserver la tranquillité d’esprit des bourgeois·es, ou encore des contrôles dans les transports en commun, qui servent là aussi à faire la chasse aux pauvres et aux sans-papiers (parce que c’est principalement elleux qui ont pas les moyens de payer leurs tickets, évidemment), etc.
Bref, dans le même temps qu’il distribue l’argent public au patronat sans compter, l’État mène une guerre permanente et sans merci aux pauvres et aux miséreux.
Et puis j’ai même pas parlé dans cet épisode des plus grands crimes que les États commettent pour le compte des capitalistes, c’est à dire les guerres et la colonisation, pour aller s’accaparer des ressources naturelles ou s’approprier de nouveaux marchés commerciaux, ici encore au profit de la bourgeoisie nationale et des entreprises nationales.
Les guerres c’est toujours pareil hein : c’est les pauvres qu’on envoie s’entretuer et verser leur sang (supposément pour la « patrie »), et c’est les riches qui en récoltent toujours les bénéfices.
Si on regarde juste la France et les crimes qui sont commis et ont été commis par l’État français, on pourrait en citer des centaines, de la colonisation de nombreux pays, comme l’Algérie, et les innombrables massacres d’Algérien·ne·s par l’armée française pendant plus d’un siècle, au soutien actuel de la France à des dictatures un peu partout quand ça sert ses intérêts économiques, comme au Tchad où une tentative de renversement de la dictature a par exemple été empêchée en 2008 grâce au soutien logistique français, jusqu’à des restes de colonialisme plus ou moins insidieux, comme le franc CFA.
Tout ça évidemment, c’est pas pour le plaisir, mais pour le contrôle (c’est à dire le pillage) des ressources naturelles de ces régions, qui sont des enjeux clés. L’intervention française et la présence actuelle de la France au Sahel par exemple, c’est principalement pour les gisements d’uranium du Niger (exploités quasi-exclusivement par Areva), ou les nombreuses réserves énergétiques de la région (pétrole, uranium, gaz), ou encore les gisements importants de minerais et de « terres rares » qui sont dans le coin (or, cuivre, grenats, manganèse, etc.), vu que tout ça est utilisé dans de nombreuses « nouvelles technologies ». Sans parler de toutes les opportunités commerciales que représente l’Afrique pour les multinationales françaises…
Bien sûr, on nous vend toujours ces interventions armées comme de la lutte contre le « terrorisme », parce qu’il faut bien trouver un prétexte, et qu’on va quand même pas assumer trop ouvertement que c’est pour piller les ressources naturelles des pays pauvres d’Afrique au profit des multinationales françaises. Ça passerait moins, mais c’est la vraie raison évidemment. Bon, je ne vais pas citer ici tous les crimes de la France parce qu’il faudrait des heures rien que pour les lister, mais je pense que vous avez l’idée : les États sont prêts à commettre les pires massacres et abominations s’il y a des intérêts économiques en jeu et de quoi enrichir les entreprises nationales.
Bon, je vais arrêter là les exemples, il y en a déjà beaucoup. Et si tout ce que je viens de dire vous donne pas encore envie de cramer des trucs, dites vous bien que, malgré la longueur de cet épisode et la quantité d’exemples, je n’ai pu citer qu’une toute petite partie des crimes et des dégueulasseries qui sont commis par les États et par les élu·e·s.
Ce qu’il faut retenir, c’est que pratiquement tout ce que fait l’État (et ce que font les collectivités de toutes les tailles) dans pratiquement tous les domaines peut être analysé sous cet angle : des élu·e·s qui tentent de donner le maximum d’argent public possible à des entreprises, et d’avantager les entreprises et les riches de toutes les façons possibles et imaginables, parce que tou·te·s ces gens-là sont corrompu·e·s et dépendant·e·s du patronat d’une façon ou d’une autre.