Mais l’État ne se contente pas seulement d’attaquer le droit du travail : il va plus loin, et il fait des gros efforts pour garantir que les capitalistes trouveront toujours une main d’œuvre bon marché et exploitable, quitte à la fournir lui-même !
Déjà, on l’avait vu, le chômage est entretenu volontairement pour permettre au patronat de mieux mettre en concurrence les exploité·e·s et de faire baisser les salaires : l’État fait tout ce qu’il peut pour permettre aux capitalistes de faire travailler toujours plus longtemps les gens qui travaillent déjà (en facilitant le recours aux heures supplémentaires, en permettant aux entreprises de réduire les congés de leurs employé·e·s de plein de façons, en repoussant l’âge de la retraite, etc.).
Sauf que la quantité totale de travail disponible n’augmente pas. Et donc, si on augmente le temps de travail par personne, mais que la quantité totale de travail disponible n’augmente pas, hé ben mécaniquement, le nombre de personnes au travail ne peut que diminuer.
Il y a aussi d’autres facteurs à la hausse du chômage, notamment l’automatisation : en fait cette automatisation permet aussi de produire la même chose avec moins d’heures de travail en tout, et donc des emplois disparaissent. Ce qui, dans un monde juste, devrait être compensé par une baisse globale et régulière du temps de travail de tout le monde, pour que tout le monde bénéficie des conséquences de l’automatisation, et pas juste le patronat. Sauf que l’État fait pas ça bien sûr, au contraire.
Et tout ça est fait exprès comme je le disais : plus il y a de gens disponibles sur le marché de l’emploi, plus ça permet aux patron·ne·s de mettre en concurrence les travailleurs·euses et de faire baisser les salaires, et d’avoir des salarié·e·s plus corvéables et soumis·es.
Par contre, il faut savoir que c’est pas du tout la seule façon dont l’État s’assure que les capitalistes auront toujours accès à une main d’œuvre exploitable, loin de là, et l’État met carrément en place plein de dispositifs pour faciliter ça.
Par exemple : les stages en entreprise. Ça aussi c’est un gros réservoir de main d’œuvre bien servile, ça permet aux entreprises de faire bosser des stagiaires qu’elles payent très peu (voire pratiquement pas), en leur évitant d’embaucher. Et c’est l’État qui fournit lui-même la plus grosse partie des stagiaires en plus, via l’éducation nationale, vu que l’éducation nationale exige dans presque toutes les filières des stages de plusieurs mois en entreprise en milieu ou en fin de cursus. Comme ça, chaque année, des centaines de milliers de jeunes sont obligé·e·s de chercher des stages pour leurs études, et ont pas le choix de refuser, vu que la suite de leurs études en dépend. Et voilà : les entreprises n’ont plus qu’à piocher là-dedans comme elles veulent plutôt que d’avoir à embaucher !
Et c’est pas fini : l’État et les collectivités trouvent plein d’autres prétextes pour faire travailler des gens pour pas cher (voire gratuitement) :
Alors bon, en théorie, tout ce que je viens de citer là (services civiques et « bénévolat » obligatoire), tout ça est censé être limité à des missions « d’intérêt général », donc aux associations à but non lucratif et aux collectivités, ce genre de trucs. Sauf que… même si c’est le cas, ça permet quand même à l’État et aux collectivités de se désengager et de faire d’énormes économies, en évitant de mettre l’argent qu’elles devraient mettre dans ces associations pour qu’elles embauchent des gens et les payent correctement pour leur travail. Ce qui permet aussi, au passage, de réduire le nombre total de vrais emplois (c’est à dire des emplois payés correctement) qui sont disponibles sur le marché de l’emploi… et donc de faire que le marché de l’emploi continue de rester le plus possible défavorable aux demandeurs·euses (et donc, favorable aux recruteurs·euses).
Dans un autre genre, vous avez aussi pas mal de subventions (ici encore) pour permettre aux entreprises d’embaucher au plus bas coût possible : il existe notamment certains types de subventions, comme les contrats aidés, pour les entreprises qui embauchent certains profils (comme les jeunes en dessous d’un certain âge, les personnes en situation de handicap, les chômeurs·euses de longue durée, etc.) sous prétexte, ici encore, de lutter contre le chômage élevé de ces groupes de la population. Sauf que… ces subventions sont en fait largement inefficaces contre le chômage en général, puisqu’elles ne créent pas d’emplois : elles ne font que déplacer des emplois existants d’un groupe de la population à un autre. En fait on sait que ces dispositifs créent surtout des gros effets d’aubaines pour les entreprises, qui profitent juste de l’existence de ces subventions pour faire payer par l’argent public une partie du salaire d’employé·e·s qu’elles auraient de toute façon embauché !
Donc ici encore, c’est tout bénef pour le patronat.
Mais le summum absolu de la dégueulasserie à ce niveau-là je pense, c’est l’exploitation des détenu·e·s de droit commun sous prétexte de réinsertion (et plus généralement, tout le business immonde lié aux prisons).
Il faut savoir que l’État français autorise des entreprises à faire bosser les détenu·e·s pour un salaire de misère, sans droit du travail, sans salaire minimum (enfin, pour une rémunération minimum théorique de 1.60 € / heure, donc six fois moins que le SMIC !).
Le travail en prison a d’ailleurs été obligatoire en France, « pays des droits de l’homme », jusqu’en 1987 quand même ! Et même s’il l’est plus officiellement depuis cette date, beaucoup de détenu·e·s pauvres n’ont en pratique pas le choix de refuser, vu le coût exorbitant de la vie en prison (dont je reparlerai juste après).
C’est incroyablement dégueulasse, parce que déjà, c’est une double peine pour les pauvres, vu que c’est avant tout les détenu·e·s les plus pauvres qui sont obligé·e·s de bosser dans ces conditions. (En fait, techniquement c’est même une triple peine, vu que la prétendue « justice » enferme plus souvent les pauvres que les riches, mais je reparlerai de ça une autre fois.)
Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est que tout ça sert à fournir aux entreprises une main d’œuvre encore plus corvéable, et qui a encore moins le choix de refuser les conditions de travail infâmes et les salaires misérables qu’on leur impose ! C’est un peu comme une sorte de « délocalisation sur place » en fait. Pour dire à quel point le travail en prison est répandu, malgré donc les salaires misérables et les conditions de travail : en France en 2014, il y avait 68.420 personnes incarcérées, dont environ 20 000 travailleraient (donc presque un tiers), et le chiffre d’affaires total du travail en prison était estimé à cent millions d’euros par an en 2010.
(Tout ça permet aussi à l’État de rentabiliser un peu le coût des prisons au passage, tant qu’à faire.)
Mais même ça c’est qu’un avant goût, et il faut savoir que c’est encore pire ailleurs, par exemple aux États-Unis, qui sont encore plus « avancés » que nous dans le domaine. Aux USA donc, énormément de prisons sont carrément privatisées depuis longtemps (en fait gérées par des entreprises privées « sous contrat » avec l’État), avec des conditions contractuelles hallucinantes, au point que beaucoup d’États se sont même engagés contractuellement à maintenir un taux d’occupation élevé, quel que soit l’évolution du taux de criminalité ! Autrement dit : même si la criminalité baisse, l’État doit se débrouiller pour continuer de remplir les prisons et pour continuer d’enfermer toujours autant de monde, sinon il paye des pénalités aux gestionnaires privés de ses prisons ! Je vous laisse une seconde pour digérer ça.
Du coup, cette logique conduit à une politique carcérale toujours plus violente, et l’industrie des prisons fait même du lobbying actif pour obtenir des lois toujours plus répressives. Par exemple, une partie des lois de répression de l’immigration ont été obtenues comme ça, à force de ce lobbying, notamment certaines lois qui obligent la police à enfermer toute personne qui ne peut pas prouver être entrée sur le territoire américain légalement, ou encore des lois qui obligent les juges à prononcer des peines très importantes en cas de récidive, y compris des fois de perpétuité, même pour des simples délits ! Un exemple célèbre (et monstrueux) de ça, c’est l’histoire de Leandro Andrade, un mec qui a été condamné à 50 années de prison en Californie pour avoir volé pour $ 153 de cassettes vidéos en 1995, juste parce qu’il était en situation de récidive.
Le résultat de tout ça, de cette privatisation des prisons et de leur lobbying pour obtenir des lois toujours plus répressives, c’est que les USA sont aujourd’hui le pays au taux d’incarcération le plus élevé au monde, même devant des régimes autoritaires, avec 660 détenu·e·s pour 100 000 habitant·e·s.
Et là-bas le travail des détenus se fait dans des conditions sanitaires et de sécurité encore pires qu’ici, et même parfois dangereuses, évidemment sans aucun contrôle de l’inspection du travail ou d’aucun autre organisme du même genre. Pour dire jusqu’où ça va, on a eu des exemples de prisonniers rémunérés 5 dollars de l’heure pour trier des résidus de métal dans les cendres d’un incinérateur de déchets, à mains nues et sans aucun équipement de protection, le tout dans un environnement pollué à l’arsenic et à la dioxine. Et on est pas ici dans un cas exceptionnel, mais plutôt représentatif, puisque ces prisons proposent des catalogues d’autres services « à haut risque » du même genre, comme des désamiantages ou de la réfection d’immeubles insalubres !
Alors en France on n’en est pas (encore) là, mais il y a aussi une tendance à la privatisation des prisons qui progresse, et la prison est encore une occasion de distribuer du fric à des capitalistes, puisque par exemple jusqu’en 2012, la « cantine » en prison était gérée par des entreprises privées. Si vous ne connaissez pas, la « cantine », c’est tout ce que les détenu·e·s peuvent acheter, de la bouffe aux produits de première nécessité, comme le papier hygiénique… vu que l’administration pénitentiaire ne fournit pas du tout assez de produits de première nécessité aux détenu·e·s pour une vie un tout petit peu décente. Pour vous donner une idée, dans certaines prisons, les détenu·e·s doivent acheter elleux-mêmes leurs sacs-poubelles s’ils veulent garder leurs cellules un tout petit peu propres ! Et donc cette fameuse « cantine » était, jusqu’à récemment, gérée par des entreprises privées en situation de quasi-monopole, ce qui faisait que le prix des produits vendus aux détenu·e·s était très élevé, beaucoup plus cher qu’à l’extérieur, avec des prix constatés jusqu’à deux à deux ou trois fois plus élevés qu’en supermarché, y compris sur des produits de première nécessité !
Ben oui, en prison, il y a pas de concurrence pour faire baisser les prix : il y a un seul fournisseur qui a un monopole, et une clientèle qui n’a pas d’autre choix que d’acheter, et donc c’était possible pour ces entreprises de pratiquer des prix très élevés et de faire des marges indécentes au passage. Bien sûr, le choix de laisser des entreprises privées gérer ça, c’est encore des cadeaux faits à ces entreprises, au mépris des détenu·e·s les plus pauvres.
L’administration pénitentiaire en a aussi bien profité à certains endroits d’ailleurs, ces charognards, en louant par exemple des téléviseurs aux détenu·e·s jusqu’à 40 euros par mois.
Même chose pour l’enfermement des migrant·e·s en Centre de rétention administrative (CRA), ça aussi ça rapporte, puisqu’une partie de la gestion de ces CRA est sous-traitée au privé, et c’est très lucratif.
En fait, plus généralement, la prison, c’est un énorme business d’une dégueulasserie sans nom, qui sert ici aussi à enrichir des entreprises privées de plein de façons différentes (en plus de la répression des pauvres dont je reparlerai, et qui est un objectif en soi).