Du coup, à cause de tout ça, il ne sera jamais possible de faire une liste exhaustive de l’ensemble des corrompu·e·s, et donc d’avoir une vision vraiment globale de qui l’est et qui ne l’est pas, parce que la grosse majorité des affaires de corruption, on n’en saura jamais rien.
Malgré ça, on peut quand même prouver que la majorité des élus est concernée par la corruption, mais d’une autre manière : il faut prendre le problème à l’envers, et regarder leurs actes d’élu·e·s, parce que leurs actes permettent de comprendre quels sont leurs intérêts.
Je pense qu’il y a en fait deux gros arguments qui prouvent que la corruption est généralisée : d’une part, le fait que le lobbying fonctionne, et que les élu·e·s votent le plus souvent les lois que veulent les lobbyistes, et d’autre part, le laxisme des élu·e·s face à la corruption en général, alors qu’iels devraient la combattre.
Alors déjà, le fait que le lobbying fonctionne, et surtout à quel point il fonctionne, ça devrait interpeller tout le monde.
Les lois voulues par les lobbyistes sont globalement votées, très très souvent.
Et votées, ça veut dire quoi ? Ça veut dire forcément qu’une majorité des élu·e·s les a votées (puisque à l’Assemblée nationale, au parlement Européen, etc., les décisions se prennent à la majorité des député·e·s). Donc ça veut dire que la majorité des élus acceptent ce que veulent les lobbyistes. D’ailleurs l’une des meilleures preuves que le lobbying fonctionne, c’est les sommes en jeu. On a dit que le lobbying, rien qu’à Bruxelles, c’était un budget qui se chiffrait en milliards d’euros annuels, et qu’il y avait entre quinze et trente mille lobbyistes à plein temps rien que sur la ville de Bruxelles.
Or, des entreprises (dont la raison d’être est le profit je rappelle), dépenseraient pas chaque année en tout des sommes aussi importantes si ça marchait pas : elles auraient arrêté depuis longtemps.
Bon alors en pratique ça ne fonctionne pas dans 100 % des cas bien sûr. Il arrive que le lobbying ne permette pas aux entreprises d’obtenir ce qu’elles veulent, pour plein de raisons, par exemple parce que certaines de ces entreprises s’y prennent mal, ont pas assez de réseau relationnel, ou (surtout) pas assez de budget. Il faut pas oublier non plus que toutes les entreprises n’ont pas exactement les mêmes intérêts d’un point de vue législatif, selon leurs secteurs d’activité, selon qu’elles sont ou non en position de monopole, selon leur modèle commercial, etc. et donc il arrive que les intérêts de certains lobbies s’opposent entre eux, et qu’il y ait des batailles d’influence entre lobbies pour essayer de tirer la loi dans un sens ou dans l’autre. Dans ce cas évidemment, c’est les plus habiles, celleux qui ont les meilleur·e·s lobbyistes (et surtout le plus gros budget) qui gagnent, et les autres n’obtiennent pas satisfaction.
Pourtant même dans ces cas-là, on peut pas dire que le lobbying ne fonctionnerait pas, au contraire, c’est juste celleux qui sont les « meilleur·e·s » dans ce domaine qui gagnent.
Donc globalement, le lobbying fonctionne quand même, et la plupart du temps, il permet aux entreprises d’obtenir des résultats, et d’obtenir les lois qui les arrangent.
Et pour qu’il fonctionne, ce lobbying, il faut forcément que les élu·e·s y aient intérêt. Je m’explique : en gros, il existe en théorie 2 moyens pour les lobbyistes de convaincre des élu·e·s de voter dans un sens plutôt qu’un autre :
Et quand on y réfléchit, la partie légale du lobbying ressemble un peu à de la publicité, à du matraquage : en apparence, il s’agit d’essayer de convaincre les élu·e·s que telle décision serait juste et dans l’intérêt général. Et ça peut arriver de temps en temps que ça marche, et qu’iels le croient sur certains sujets. Je doute pas d’ailleurs que les lobbyistes savent convaincre et trouver des arguments en apparence crédibles pour défendre n’importe quelle cause, et qu’iels arrivent de temps en temps à tromper des élu·e·s sincères et à leur faire croire que leurs lois iraient dans le sens de l’intérêt général.
Mais ça ne peut pas être le cas tout le temps.
Même nous, nous qui ne sommes pas élu·e·s et qui ne passons pas notre temps à étudier les propositions de loi dans le détail, on peut se rendre compte souvent assez spontanément que les lois défendues par de nombreuses entreprises vont pas dans l’intérêt général du tout, sans avoir à creuser des heures, parce que leurs intentions et leurs intérêts sont assez limpides quand même. Alors les élu·e·s, c’est à dire des gens qui passent leur temps à s’informer sur ces questions et à y réfléchir, c’est tout simplement pas possible qu’iels l’ignorent et qu’iels soient naïfs·ves tout le temps.
Alors pourquoi est-ce qu’iels les votent quand même, ces lois, s’iels savent que ça va pas dans l’intérêt général ? Notez que, voter des lois qui ne vont « pas dans l’intérêt général », ce n’est pas neutre de leur point de vue d’élu·e·s : même s’iels ont aucun scrupule et qu’iels s’en foutent d’un point de vue moral de mettre en danger l’environnement ou les gens par exemple, voter ce type de lois, ça ne peut que risquer de mécontenter sérieusement leur électorat (pour des raisons évidentes), et donc réduire leurs chances d’être réélu·e·s. Donc clairement, même d’un point de vue super égoïste, les élu·e·s ne devraient pas avoir intérêt à céder aux lobbys, et à voter ces lois.
Et pourtant iels le font quand même : une majorité d’élu·e·s votent quand même ces lois, quasiment tout le temps… Alors pourquoi ? Est-ce qu’iels les votent pour les beaux yeux des lobbyistes ? Non hein, probablement pas…
Donc la seule explication restante, c’est qu’iels y ont tout simplement intérêt, d’une manière ou d’une autre, un intérêt plus important que de maximiser leurs chances d’être réélu·e·s à la fin de leurs mandats, ce qui implique que les lobbys ont une prise sur eux, d’une manière ou d’une autre.
Ça ne veut pas dire tou·te·s les élu·e·s auraient reçu des enveloppes de billets ou des virements hein, mais simplement que ces élu·e·s sont dépendant·e·s d’une manière ou d’une autre des entreprises, et soumis·es à ces entreprises, d’une ou plusieurs façons que j’ai déjà citées : que ce soit du chantage économique, une rémunération en parallèle au mandat, des conflits d’intérêts, des promesses de reconversion en fin de carrière, des échanges de services entre élu·e·s, etc. Peu importe en fait la forme de cette dépendance, mais ce qui est sûr c’est qu’elle existe, et c’est la seule explication possible pour laquelle les élu·e·s votent si souvent des décisions qui vont si frontalement contre l’intérêt général, et donc contre leur propre intérêt qui est d’essayer de maximiser leurs chances d’être réélu·e.s.
Or comme la majorité des élu·e·s votent ces décisions, inévitablement la conclusion c’est que c’est bien la majorité des élu·e·s qui sont en situation de dépendance vis à vis de ces entreprises, et donc de corruption directe ou indirecte.