Pour une démocratie directe

Épisode 5 : La corruption

Quelle proportion de corrompu·e·s ?

Bon OK, on a vu pas mal d’exemples de corruption, et de stratégies utilisées pour corrompre, et on a vu que beaucoup d’élu·e·s étaient concerné·e·s, mais ça nous renseigne pas vraiment sur leur proportion exacte.

Et c’est bien le problème quand on parle de corruption, c’est que à première vue, c’est difficile d’avoir une idée globale du phénomène, parce que la corruption se fait évidemment dans l’ombre, et les corrupteurs·trices et corrompu·e·s essayent évidemment de pas se faire prendre. Déjà quand c’est légal, comme le lobbying, iels s’en vantent pas trop, et essayent de rester discret·e·s autant que possible, mais pour la corruption ouverte, iels font évidemment encore plus attention.

Bien sûr, de temps en temps, il y a quand même quelques scandales de corruption qui éclatent, mais il faut bien comprendre que ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, comme on dit… La plupart des affaires de corruption seront en fait jamais découvertes, et resteront ignorées du public. Du coup, on peut pas savoir la proportion réelle exacte de corrompu·e·s, on peut pas savoir si pour un scandale qui est découvert il y en a un autre qu’on ignore, ou cinq autres, ou dix autres qu’on ignore, ou cent autres affaires dont on saura jamais rien.

Et ça, cette impossibilité d’avoir une vision globale du truc, ça fait que la corruption est presque toujours abordée sous l’angle du problème individuel.

Il existe bien des initiative du type visualiserlacorruption.fr de l’ONG Transparency international, mais ça suffit pas. Pour faire simple, « Visualiser la corruption » c’est une carte Google Maps qui vise justement à donner une vision plus large et plus globale des affaires de corruption connues, et de où elles ont eu lieu, histoire de montrer que c’est pas que des histoires isolées. La carte en question montre d’ailleurs des centaines et des centaines d’affaires, réparties un peu partout sur le territoire français, avec des statistiques de corruption selon la région ou le département donné.

Mais ici encore, le problème c’est qu’on ne peut voir (évidemment) que les affaires de corruption qui ont été découvertes, et ça nous renseigne donc pas sur le nombre des affaires non connues. En plus pour le coup, Transparency international a décidé de ne lister que les affaires qui ont donné lieu à une condamnation judiciaire… sauf que vu le laxisme de la justice en matière de corruption, c’est loin d’être le cas de toutes les affaires. Donc même ce genre d’initiative qui se veut « exhaustive » ne peut donner qu’une vision très partielle du problème.

Autre approche pour dénoncer la corruption, il y a parfois des tentatives de démontrer que les élus sont corruptibles en les piégeant. Ça arrive que des journalistes se fassent passer pour des lobbyistes, et arrivent donc à piéger des élu·e·s en train d’accepter des pots de vin avec une caméra cachée. C’est arrivé à trois eurodéputé·e·s en mars 2011, qui ont accepté de déposer des amendements contre de l’argent, ou aussi, en juin 2013, à des parlementaires britanniques, qui ont dû démissionner

Or c’est très bien tout ça, de tenter de montrer que les élu·e·s sont corruptibles, mais le souci est toujours le même : ça réduit la corruption à un problème individuel, et ça ne peut pas nous en donner une vision globale.

En pratique, ces tentatives ne peuvent réussir à piéger que les élu·e·s les moins prudent·e·s, parce que la plupart des élu·e·s sont pas aussi naïfs·ves que ça, et se méfient un peu justement pour pas se faire prendre, et donc vont accepter des pots-de-vin que venant de personnes à qui iels font déjà confiance. Autrement dit, la plupart des élu·e·s vont pas négocier des trucs illégaux avec la·le premier·e venu, mais seulement avec des lobbyistes qui’iels connaissent depuis déjà assez longtemps, ou au minimum, avec des gens dont il facile de vérifier qu’iels travaillent bien pour l’entreprise qu’iels prétendent défendre, et depuis un certain temps.

Du coup, ce serait donc difficile de piéger la plupart des élu·e·s prêt·e·s à accepter la corruption (ou déjà corrompu·e·s). Et en fait, le lobbying est aussi (voire peut-être principalement) un moyen d’établir une relation de confiance entre les entreprises corruptrices et les élu·e·s corrompu·e·s, parce que le lobbying, lui peut se permettre d’exister au grand jour.

Mais tout ça nous dit toujours rien sur la taille de l’iceberg : combien est-ce qu’il y a d’affaires de corruption qu’on ignore ? Est-ce qu’il y en a juste quelques unes ou est-ce qu’il y en a beaucoup ? On pourra jamais le savoir avec précision.

Pourtant on peut quand même soupçonner qu’il y en a beaucoup qui sont pas découvertes, beaucoup beaucoup même j’ai envie de dire, pour une raison simple, c’est que c’est en fait extrêmement facile de corrompre et de verser de l’argent à quelqu’un sans se faire prendre, et si vous êtes suffisamment prudent·e, vous vous ferez jamais choper. Les élu·e·s, pour exercer leur mandat d’élu·e, ne travaillent pas en public en permanence, loin de là, et donc en pratique il y a plein de moments où iels sont pas surveillé·e·s et où iels peuvent rencontrer n’importe qui en privé, avec qui iels peuvent négocier n’importe quoi, dont évidemment des trucs illégaux.

Iels peuvent également être contacté·e·s par des lobbyistes par téléphone ou par mail par exemple (éventuellement après une première rencontre en personne pour établir la confiance), mais bref, l’idée c’est que la seule façon de les en empêcher avec certitude, ce serait de surveiller ce qu’iels font 24 heures sur 24 et de leur laisser aucune vie privée, ce qui serait évidemment pas acceptable. Du coup les élu·e·s ont en pratique plein d’occasions de magouiller sans même être soupçonné·e·s, et si iels sont suffisamment intelligent·e·s et prudent·e·s dans leur magouille, iels se feront jamais prendre, et le public en saura probablement jamais quoi que ce soit. Et je pense que c’est illustré d’ailleurs par la durée de certaines affaires qu’on connaît, et qui montrent qu’on peut corrompre beaucoup de monde tranquillement pendant longtemps sans être inquiété.

L’affaire des enveloppes au Parti Populaire espagnol, dont j’ai déjà parlé tout à l’heure, elle a concerné beaucoup de dignitaires de ce parti, et elle a quand même duré dix-neuf ans avant d’être découverte. Même durée pour l’affaire Urba en France, une affaire de financement occulte du Parti Socialiste, qui a duré 19 ans aussi donc, de 1971 à 1990, et qui n’a été découverte que par hasard, à cause d’un accident du travail mortel en juin 1990, accident qui a déclenché une enquête pour homicide involontaire, et c’est seulement au cours de cette enquête que le juge d’instruction a fini par tomber sur l’affaire en question.

On a aussi l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, qui a duré dix ans (de 1986 à 1996), ou l’affaire des marchés publics d'Île-de-France, qui a duré neuf ans (de 1988 à 1997), et il y a plein d’autres exemples qui montrent que c’est tout à fait possible de magouiller pendant des années sans se faire prendre, si on a pas la malchance que quelqu’un d’extérieur tombe dessus par hasard.

Donc je pense qu’il y a beaucoup, beaucoup plus d’affaires qu’on ignore que d’affaires qu’on connaît, et que même si le hasard fait que parfois un scandale éclate, la plupart des scandales de corruption resteront secrets et ignorés du public.