Le deuxième gros argument pour dire que la majorité de la classe politique est corrompue, c’est tout simplement l’attitude des élu·e·s par rapport à la corruption et aux situations de conflits d’intérêts en général, et surtout leur laxisme par rapport à ces situations et leur inaction face aux autres élu·e·s corrompu·e·s.
Or, lutter contre la corruption et les conflits d’intérêts, ça devrait être une priorité de la classe politique et des élu·e·s en général, parce que la corruption met en danger la démocratie elle-même, par définition : la corruption permet à des gens qui ont du fric d’imposer des décisions contraires à l’intérêt de la majorité de la population, elle est donc un danger.
Donc, lutter contre la corruption, ça devrait être une priorité. Et d’ailleurs les candidat·e·s divers·e·s l’ont tou·te·s bien compris, puisque à chaque nouvelle élection on nous promet une république « irréprochable », une république « exemplaire », la « moralisation de la vie politique », etc.
Pourtant, que font les élu·e·s une fois au pouvoir contre la corruption ? Est-ce qu’iels essayent autant que possible de lutter contre, avec des lois qui imposeraient le plus possible la transparence dans l’utilisation de l’argent public ou dans le lobbying ? Est-ce qu’iels essayent de mettre en place une justice véritablement indépendante, avec suffisamment de moyens pour traquer et condamner les corrompu·e·s ? Et est-ce qu’elleux-mêmes se montrent intransigeant·e·s avec les autres élu·e·s corrompu·e·s, ou avec les situations de conflit d’intérêts quand iels en découvrent une ?
Non. Absolument pas. Au contraire en fait : tout est fait dans l’organisation des institutions pour éviter que les corrompu·e·s soient condamné·e·s, et les élu·e·s sont elleux-mêmes très complaisant·e·s et laxistes avec leurs collègues corrompu·e·s, ou avec les situations de conflit d’intérêt ouvertes par exemple, même quand iels auraient l’occasion de les empêcher.
Par exemple, quand, en septembre 2015, François Hollande nomme le banquier François Villeroy de Galhau à la tête de la Banque de France, alors que le mec avait été haut responsable pour la banque privée BNP Paribas entre 2003 et 2015, il y a une situation de conflit d’intérêts patente, qui est d’ailleurs à l’époque dénoncée dans une tribune signée par 140 économistes et personnalités du monde académique. Malgré ça, les commissions des finances de l’Assemblée Nationale et du Sénat vont approuver toutes les deux cette nomination, à plus de 80% des voix chacune.
Même chose en 2014 au niveau européen, quand l’Espagnol Miguel Arias Cañete, est proposé, puis nommé, « commissaire à l’énergie et à l’action climatique » par l’ensemble du parlement européen, alors que le mec avait des liens étroits avec l’industrie pétrolière et avec l’industrie agricole (via son épouse), et était empêtré dans une série de magouilles en Espagne… Donc nommer un mec comme ça « commissaire à l’action climatique », théoriquement chargé de la préservation de l’environnement, ça ne s’invente pas, et il faut quand même un sacré niveau de foutage de gueule pour oser le faire, et bien ça a pas empêché le parlement européen de valider cette nomination aux deux tiers des votant·e·s.
Autre exemple d’indulgence qui en dit beaucoup : en septembre 2015, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, et ex-Premier ministre luxembourgeois personnellement mis en cause dans le scandale financier des LuxLeaks, est auditionné par une commission spéciale du Parlement européen justement à ce sujet des LuxLeaks et de son implication dans le truc. Sauf que… cette audition a été faite pour la forme uniquement, mais en pratique elle a été faite de manière à pas gêner véritablement Juncker, et à surtout pas le mettre en difficulté politiquement, sous prétexte par exemple qu’il aurait fait du bon boulot en tant que président de la Commission européenne pour éviter le Grexit, mais aussi et surtout, parce que les principaux partis au pouvoir au Parlement européen ne voulaient pas mettre en danger leur « grande coalition », qui dépendait en partie de lui. Voilà un exemple pratique d’interdépendance des élu·e·s entre elleux : iels ont intérêt à protéger les gens dont iels dépendent électoralement, ou dont dépendent leurs alliances politiques. Du coup les membres de la commission qui ont auditionné Jean-Claude Juncker ont été plutôt clément·e·s, c’est le cas de le dire, puisque iels l’ont même applaudi à un moment pour une de ses interventions, ce qui est quand même fort, puisque le mec est censé être entendu comme témoin ou suspect lié à une affaire de corruption (comme dans un procès), mais les gens qui sont censé·e·s le juger l’applaudissent… donc inutile de dire qu’iels ont pas dû être très sévères avec lui…
Et cette « courtoisie » politique qui veut que des élu·e·s se gênent pas mutuellement lorsque l’un·e d’elleux est impliqué·e dans des scandales, on la retrouve aussi au niveau local. Par exemple à Marseille, quand Dominique Tian, le premier adjoint au maire, est condamné par la Justice à un an de prison avec sursis, trois ans d’inéligibilité, et presque un million et demi d’euros d’amende quand même, pour blanchiment de fraude fiscale, eh bien personne au conseil municipal, ni dans la majorité, ni même dans l’opposition, ne demande sa démission.
Et vous avez plein d’autres exemples de situation de conflits d’intérêts évidents qui posent pourtant aucun problème aux autres élu·e·s en place. On pourrait aussi citer tou·te·s les politiques qui ont été condamnés pour des affaires de corruption, des Patrick Balkany, Gaston Flosse, Harlem Désir, Alain Juppé, Henri Emmanuelli, pour citer seulement certains des plus célèbres, mais qui n’ont non seulement jamais été exclus de leurs partis respectifs, mais en plus à qui leurs partis continuent de confier des mandats ou des investitures en toute décontraction.