Pour une démocratie directe

Épisode 3 : Les sondages

Les sondages sondent nos idées reçues

Enfin, même sans tout ça, même si les questions étaient pas orientées, et que la présentation des résultats était pas partiale, le vrai gros problème des sondages, c’est qu’ils sondent les préjugés et les idées reçues des gens, plutôt que leur opinion réfléchie et informée, pour une raison très simple, c’est qu’on demande aux gens de répondre tout de suite. Quand on pose une question dans un sondage, on demande pas aux personnes interrogées « renseignez-vous sur tel sujet, discutez avec des gens qui ont pas les mêmes opinions que vous, pesez soigneusement le pour et le contre, et revenez nous voir dans 15 jours avec votre réponse éclairée ». Non c’est pas ça qu’on demande. Ce qu’on demande au contraire, c’est une réponse immédiate.

Et comme on connaît peu (voire pas du tout) la plupart des sujets sur lesquels on nous interroge, le résultat de ça c’est qu’en général on va donner une réponse instinctive, selon la première impression qu’on a du sujet en question. Du coup évidemment dans cette réponse instinctive, il y aura surtout nos idées reçues et nos préjugés, qui peuvent être très éloignés de la réalité, ce qui est particulièrement visible quand on demande aux gens non pas leur avis sur un sujet, mais qu’on teste leurs connaissances. Par exemple, quand on demande aux Français·es d’estimer la proportion de musulman·e·s en France, ils vont dire en moyenne 31% (donc presque un tiers de la population !), alors qu’en vrai il y a que 8 % environ de la population qui est de confession musulmane. Et encore, ces 31 %, c’est qu’une moyenne, donc dans le lot il doit y avoir pas mal de gens qui ont dû dire beaucoup plus, genre 40 % ou 50 %…

Donc il y a un écart énorme entre la réalité d’un côté, et l’impression qu’ont les gens de l’autre, avec énormément de préjugés, d’idées reçues, et de fantasmes, qui influent sur leurs réponses.

Mais tout ça, c’est logique en fait, et c’est pas la faute des gens, c’est la faute de ceux qui sont censés nous informer : les médias. Dans cet exemple, si la plupart des gens surestiment à ce point le nombre de musulman·e·s qui vivent en France, eh ben c’est peut-être parce que les médias parlent d’Islam matin, midi, et soir, avec une nouvelle polémique stigmatisante tous les deux jours, et c’est ça qui va donner l’impression qu’il y aurait des musulman·e·s partout.

Du coup, toutes ces idées reçues et ces impressions, elles sont en grande partie le résultat de la désinformation de masse et du matraquage médiatique, mais le problème, c’est que les sondages vont interroger que ces idées reçues, précisément parce que leur mode de fonctionnement, c’est de demander une réponse immédiate. Et donc au final, les sondages vont donner de la légitimité à ces idées reçues, parce qu’ils apparaissent quand même comme la parole du « peuple ». Du coup, ça légitime à mort le résultat.

Au final, ces sondages jouent un rôle dans la manipulation médiatique : ils servent à valider et à légitimer un peu plus des idées qu’on a fait rentrer dans la tête des gens à force de matraquage, et à présenter ces idées-là comme si elles venaient du peuple, alors qu’en fait elles sont juste le résultat d’une manipulation. On a vu dans l’épisode précédent à quel point les médias étaient pas neutres ni objectifs, mais au contraire ultra-orientés, eh bien les sondages viennent compléter ça.

Quand on demande aux gens dans un sondage si telle grève est justifiée, par exemple à la SNCF, après leur avoir répété en boucle que les cheminot·e·s seraient des « privilégié·e·s », c’est logique que les gens répondent non. Même chose quand on demande aux gens s’iels sont prêt·e·s à accepter de sacrifier quelques libertés pour plus de sécurité, après des mois de reportages anxiogènes et de désinformation sur la délinquance ou le terrorisme. Même chose quand on demande aux gens s’ils ont le sentiment que l’immigration est trop importante, alors qu’on les expose à des discours racistes en permanence ou à des reportages sur les camps de migrant·e·s entassé·e·s à Calais (ou ailleurs) dans des conditions inhumaines, mais sans parler du fait que si on en arrive là, c’est avant tout parce que les pouvoirs publics font pas leur job d’accueil, et font au contraire tout pour que la sitation empire et dégénère (pour avoir ensuite des prétextes pour réprimer et expulser).

Et il faut pas croire que tout ça fonctionnerait juste parce que les gens seraient naïfs·ves ou manipulables : on est exposé·e·s à une telle quantité de propagande que ce serait impossible de pas être influencé, même un peu.

Je vais prendre un dernier exemple, encore une fois sur la question du travail : on nous répète sans arrêt qu’on est pas assez productifs·ves, trop exigeant·e·s niveau salaire, que le seul horizon, ce serait la compétition avec les autres, la mise en concurrence des travailleurs·euses entre elleux, la course à la compétitivité et au coût du travail le plus bas entre les pays. On nous répète que ce serait limite indécent de se plaindre de ses conditions de travail alors qu’il y a tellement de gens au chômage, que de toute façon tout le monde est et va être de plus en plus précaire, c’est comme ça, et qu’il faudrait juste l’accepter, et en fait on devrait s’estimer heureux·ses d’avoir un boulot de merde payé au lance pierre, parce qu’au moins on a un boulot. Et tout ça on va nous le répéter en boucle du matin au soir et nous le matraquer en permanence.

Du coup quand on fera un sondage pour vous demander si vous êtes prêt·e·s à travailler plus pour moins cher pour éviter des délocalisations, vous serez peut-être tenté·e d’accepter, parce qu’on vous aura répété sans arrêt qu’il y aurait pas d’autre possibilité. Et ensuite des expert·e·s en costard iront commenter ce sondage dans les médias, et se féliciteront que de plus en plus de Français·es soient « prêt·e·s à faire des sacrifices », « comprennent que des efforts sont nécessaires », etc.

Mais évidemment ! Vu le matraquage, vue l’ampleur des moyens utilisés pour nous faire accepter ces idées, c’est logique que ça finisse par rentrer. C’est pas pour autant que ce serait juste ou justifié hein, mais l’ensemble du système médiatique est organisé pour nous faire accepter ce genre d’idées, et les sondages derrière viennent les valider, et vont donner une grosse légitimité à ces idées, parce qu’ils donnent l’illusion que ces idées viendraient du peuple, que c’est la parole et la volonté du peuple, alors que c’est juste le résultat d’une manipulation.