Voilà, ça c’était pour les sondages d’opinion, il existe d’autres types de sondage, par exemple les sondages d’intentions de vote, ou popularité des personnalités politiques par exemple. Je vais pas forcément trop m’attarder sur ces sondages, ils servent eux aussi à légitimer telle ou telle personnalité politique et à en délégitimer d’autres, avec des mécanismes proches de ce qu’on a vu.
Les sondages d’intentions de vote déjà, ils sont importants parce qu’ils vont orienter le vote réel lors de l’élection en faveur des candidat·e·s en tête, à cause de la nécessité de voter « utile » : si vous votez pour de l’extrême-gauche à la Philippe Poutou ou Nathalie Arthaud, qui ont aucune chance d’arriver, eh bien en pratique votre voix est perdue. Donc si vous voulez que votre voix serve à quelque chose (du point de vue électoral), vous devez accepter de voter pour un·e candidat·e de centre-gauche (à la Hamon, Mélenchon, Hollande…), parce que elleux au moins ont une chance d’arriver, et donc d’appliquer leur programme, alors que les candidat·e·s d’extrême-gauche ont évidemment aucune chance d’arriver.
(Je vais pas débattre ici de la question du vote « utile », c’est pas le sujet, et de toute façon ma position c’est que c’est les élections en général qui sont de la merde, quel que soit le mode de scrutin.) Mais le fait est que de toute façon plein de monde adhère à cette idée du vote « utile », et vont orienter leur vote selon ça, vont voter en priorité pour un·e de ces candidat·e·s qui sont en tête. Or, ces candidat·e·s qui seront en tête, le seul moyen de les connaître avant l’élection, c’est les sondages d’intentions de vote.
Du coup, ces sondages vont influencer à mort sur le vote des gens, un petit peu à la manière d’une prophétie auto-réalisatrice : comme la majorité des gens pensent que Untel et Untel vont être en tête, eh bien ils vont voter en masse pour l’un·e des deux, cellui qu’ils considèrent le « moins pire », et au final c’est bien ces deux candidat·e.s qui vont être les premièr·e·s. Mais c’est en grande partie parce qu’iels étaient en tête des sondages, et pas tant que ça parce que les gens adhéreraient vraiment à leur personne ou à leur programme.
Et le fait d’être en tête des sondages, c’est même un argument utilisé par les politiques elleux-mêmes. Par exemple, en 2011, pour les primaires du Parti Socialiste, le candidat François Hollande se présentait (et était présenté par ses soutiens) comme le meilleur candidat pour battre Sarkozy un an plus tard, autrement dit, celui qui était le mieux placé au deuxième tour d’après des sondages d’intentions de vote, dans le cas d’un deuxième tour face à Nicolas Sarkozy. Et ça, ça a été un des principaux arguments pour lui (et probablement la principale raison pour laquelle il a gagné ces fameuses primaires).
Dans tous les cas, même si y avait pas de nécessité de vote utile (par exemple si le scrutin était à la proportionnelle « intégrale »), les sondages d’intention de vote ou de popularité donneraient quand même de la légitimité aux candidatures les plus populaires, pour la même raison que les autres sondages donnent de la légitimité aux idées auxquelles les personnes interrogées adhèrent : parce qu’elles apparaissent comme « soutenues par le peuple », ou au moins soutenues par une grande part de la population. Du coup même avec d’autres modes de scrutin, ce type de sondages donnerait quand même inévitablement de la légitimité aux personnalités qui sont en tête.
Donc ces sondages influencent énormément le vote lors des élections. Mais ces sondages ils sont pas neutres non plus, évidemment.
En fait, ils peuvent être orientés de plein de façons différentes. Par exemple, déjà quand on fait un sondage d’intentions de vote ou de popularité en général, on propose que quelques personnalités, souvent moins d’une dizaine, parce qu’on peut évidemment pas demander aux gens d’évaluer des centaines de personnalités politiques. Du coup, ces sondages proposent uniquement les « principales » personnalités politiques du moment, ou les « principales·aux » candidat·e·s à une élection, parfois pas plus de quatre ou cinq candidat·e·s.
Et c’est notamment le cas quand on demande aux gens de trancher pour le deuxième tour, avec des questions du style « pour qui voteriez-vous dans telle ou telle hypothèse au deuxième tour de la prochaine élection », généralement on propose des hypothèses du style Le Pen vs Fillon, Le Pen contre Macron, Macron contre Mélenchon, Mélenchon contre Fillon, etc. mais jamais avec Poutou ou Arthaud, voyez ?
Eh bien ça, ça sous-entend déjà que celleux qu’on propose c’est les seul·e·s légitimes, les « principales·aux », les seul·e·s qui ont une chance d’arriver au deuxième tour.
Et pareil quand on fait des sondages de popularité en dehors des périodes électorales, on va beaucoup plus souvent interroger les gens à propos des « poids lourds » de la politique dont on entend tout le temps parler, que sur des personnalités peu connues.
Or, ces fameux « poids-lourds », ces candidat·e·s « principales·aux » à propos desquel·le·s on interroge le plus les gens, qui les choisit ? Et sur quels critères ? En pratique, c’est justement souvent les plus connu·e·s, donc celleux à qui on donne le plus la parole à la télé ou à la radio, ou dont on parle le plus… et qui sont généralement ceux qui défendent les intérêts du patronat, comme on l’a déjà vu. Et donc l’écrasante majorité du temps, on demande leur avis aux gens que sur une poignée de personnalités, toutes favorables au patronat.
Mais même quand des sondages incluent des « petit·e·s » candidat·e·s (par exemple parce qu’on est à trois mois des élections, et qu’on connaît enfin la liste complète des candidatures), eh bien le résultat de ces sondages est quand même influencé inconsciemment par les différences de traitement médiatique entre les différent·e·s candidat·e·s, et aussi par les sondages de popularité qui sont faits tout le reste du temps.
C’est évident par exemple qu’une personnalité qu’on voit tout le temps et dont on entend tout le temps parler va avoir plus de légitimité apparente que des quasi-inconnu·e·s qu’on voit qu’une fois tous les cinq ans, et donc va faire des bien meilleurs scores dans les sondages.
Du coup on a en fait une sorte d’effet boule de neige : les candidat·e·s les plus connus médiatiquement sont les seul·e·s à pouvoir se démarquer dans les sondages d’intention de vote, et ensuite, le résultat de ces sondages leur garantit (et légitime) une plus grande présence médiatique, du fait notamment de la course à l’audience qu’on a déjà vue, qui va pousser les médias à donner la parole aux candidat·e·s qui font le plus réagir. Du coup, voilà comment on légitime une candidature, parfois à partir de rien : il suffit d’en parler beaucoup, de lui donner beaucoup la parole, ce qui va générer des sondages d’intention de vote en hausse, qui vont eux-mêmes justifier une présence médiatique plus importante, etc.
L’exemple le plus visible de ça, c’est Macron. Macron, c’est un pur produit de ce marketting médiatique et sondagier : le mec avait aucune légitimité réelle (même selon critères électoraux classiques), il est sorti de nulle part et a été nommé ministre, alors qu’il s’était jamais présenté à la moindre élection, et s’était du coup jamais soumis au jugement du peuple à aucun moment, et au final il a quand même été propulsé président de la République à partir de rien. Alors que au départ, Macron c’est un énarque tout ce qu’il y a de plus classique, dans la continuité exacte des Hollande, Sarkozy et consorts, mais qui a été présenté comme « iconoclaste », « anti-système », qui « bousculerait les habitudes et la vie politique », etc. et qui a réussi à avoir cette image de nouveauté et de changement uniquement parce que ça a été répété en boucle qu’il était pas comme les autres.
Entre 2015 et 2017, Emmanuel Macron a bénéficié d’une surexposition médiatique. Sur cette période, à lui seul, Emmanuel Macron a été mentionné dans plus d’articles de presse que Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon cumulés, les trois principaux candidats potentiels de « gauche » à ce moment-là, et qui avaient tous beaucoup plus de légitimité que lui. (Je dis pas du tout ça pour défendre Montebourg, Hamon ou Mélenchon hein, j’ai déjà dit ce que je pensais d’eux. Ce que je veux juste dire, c’est que les médias font, ici encore, le choix de soutenir le plus à droite de tous, un mec ultra-libéral qui sort de nulle part, face à des candidats qui auraient plus de légitimité (électorale) mais étiquetés à gauche.)
Et du coup, à force de ce matraquage, à force du suspens qui a été entretenu autour de sa candidature, à force de le présenter comme le meilleur rempart face au Front National… eh bien il est devenu le choix de la majorité de l’électorat, pas tant par adhésion, mais plutôt par défaut, mais peu importe : il a fini par avoir ces sondages d’intentions de vote favorables, et au final ça en a fait un président, alors que le mec a quasiment rien pour lui, à part sa jeunesse et son sourire Colgate.
Mais il faut bien comprendre que Macron est pas du tout le seul dans ce cas. J’ai juste pris l’exemple le plus visible, mais quand on regarde mieux, on se rend compte que pratiquement toutes les personnalités politiques tirent leur légitimité apparente des médias, et du fait que les médias leur donnent la parole ou parlent d’elleux sans arrêt…
Au final, cet ensemble médias+sondages est super efficace pour orienter l’électorat. Les sondages viennent en quelque sorte amplifier l’impact des médias, et surtout faire croire que c’est la population qui soutiendrait spontanément certaines personnalités politiques, ou qu’elle adhérerait d’elle-même à certaines idées, alors que tout ça est juste le résultat du matraquage.
Voilà, c’est fini pour cet épisode.
Dans l’épisode prochain on parlera un peu des élu·e·s, et surtout de leurs intérêts, et on verra que, dans n’importe quel système électoral, les élu·e·s ont toujours des intérêts différents du reste de la population, et que c’est pour ça qu’iels votent des lois qui ne vont pas dans l’intérêt général.
À bientôt.