Autres exemples de gros cadeaux faits au privé : tout ce qui est privatisation de services publics ou d’entreprises publiques, ou quand l’État vend pour une bouchée de pain à des entreprises privées des infrastructures financées au départ par l’argent public, comme les autoroutes.
Je sais pas si vous vous rappelez la privatisation des autoroutes, mais l’exemple est parlant, parce qu’il y a eu (comme dans beaucoup d’autres cas) une continuité entre les gouvernements prétendument de « gauche » et puis ceux officiellement de droite : l’« ouverture du capital » (comme iels disent pudiquement) avait été lancée par le gouvernement Jospin dès le début des années 2000 (l’État restant majoritaire à ce moment-là), et puis la privatisation totale a été finalisée par la droite en 2006, sous prétexte de renflouer les caisses de l’État… alors qu’il y avait une étude qui démontrait au contraire que les autoroutes n’étaient pas du tout un coût, mais au contraire une manne financière pour l’État, et rapportaient en fait de l’argent ! Les autoroutes ont donc été vendues en 2006 pour 14.8 milliards d’euros au total aux groupes privés Vinci, Eiffage et Abertis, bien en dessous de leur valeur réelle estimée alors, qui était au moins de 24 milliards d’euros. Et c’est sans compter toutes les recettes que les autoroutes généraient pour l’État et auraient généré sur les années suivantes !
Ce qui est formidable, c’est qu’ensuite il y a eu une tentative de rachat par l’État, en 2014, qui a capoté parce que (soi-disant…) la marge de manœuvre de l’État était quasiment nulle… Sauf que la représentante de l’État dans ces négociations c’était Elisabeth Borne, la ministre des transports du moment… qui se trouvait être, coïncidence rigolote, une ancienne directrice des concessions chez Eiffage en 2007-2008 ! C’est fou comme le hasard fait bien les choses quand même, vous trouvez pas ?
Et bien sûr, cette même Elisabeth Borne a expliqué que oups-malheureusement-pas-de-chance, l’État ne pouvait pas les racheter finalement, ces autoroutes. Le tout fait sans aucune transparence évidemment, puisqu’une partie des protocoles d’accord ont été tenus secrets pendant des années, etc. bref ici encore, la façon dont l’argent public est employé dépend de la bonne volonté de gens qui ont des intérêts dans des entreprises privées.
Dans un autre style, l’État n’hésite pas non plus à brader les ressources naturelles au privé (forêts, rivières, lacs, puits de pétrole, mines d’or et d’uranium… tout ce que vous voulez), en permettant au privé de les exploiter, de déboiser pour construire des centres commerciaux ou des aéroports, etc., même si ça met en danger l’environnement et les êtres humains autour, évidemment, on va pas s’arrêter à ça.
C’est comme ça que l’ONF (l’Office national des Forêts) est en train d’être privatisé progressivement, avec notamment un projet de loi début 2020 qui permet de confier à des agents de droit privé la plupart des missions qui étaient jusqu’alors dévolues aux fonctionnaires, y compris les missions de contrôle et de sanctions… avec le risque d’aboutir à une surexploitation des forêts (ou plutôt de l’aggraver encore, vu que cette surexploitation existe déjà…). Et à la clé toujours plus de destructions de l’environnement pour le profit des entreprises privées.
Autre exemple : récemment en Guyane, la Commission départementale des mines (la CDM de Guyane) a validé une énorme concession minière, malgré l’opposition des associations de défense de l’environnement, et malgré le fait que le dossier minier ne remplissait pas les conditions environnementales (théoriquement) exigées dans la réglementation, le tout au profit d’une société privée qui est par ailleurs poursuivie pour suspicion de pollution environnementale. Hé bien, coïncidence rigolote ici encore, la dirigeante de la société privée en question se trouve être aussi membre de la… (roulements de tambour) …Commission départementale des mines de Guyane ! Hé oui, l’organisme qui a donné son autorisation !
Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, le monde est petit…
Sinon l’État passe aussi son temps à attaquer les services publics et les mécanismes de solidarité pour les démanteler, parce que ça permet de faire coup double :
Très souvent la stratégie qui est utilisée pour démanteler des services publics, c’est qu’on va progressivement les mettre en concurrence avec le privé et / ou les appauvrir exprès (sous différents prétextes) pour qu’ils fonctionnent de plus en plus mal à cause du manque de moyens, pour ensuite avoir un prétexte pour les privatiser pour une bouchée de pain.
On va prendre le cas du prétendu « trou » de la Sécu, vu qu’on nous bassine avec. Hé bien il faut savoir que ce fameux « trou » est en fait largement artificiel.
Vous savez qu’on nous explique régulièrement que le déficit de la Sécurité Sociale serait une sorte de truc impossible à résorber, à cause de dépenses toujours trop élevées, à cause des patient·e·s qui abuseraient des visites chez le médecin, des hôpitaux qui gaspilleraient, etc. L’idée sous-entendue, là, c’est une idée de droite bien sûr, l’idée que les gens seraient trop égoïstes pour que les mécanismes de solidarité fonctionnent vraiment en pratique, et que du coup ces mécanismes de solidarité seraient un peu des sortes d’utopies irréalistes en fait : des idées théoriquement bien, mais qui dans la pratique ne fonctionneraient pas.
Et tout ça sert de prétexte à tout un tas de réformes qui attaquent la Sécu et la qualité de l’offre de soins pour tout le monde. Par exemple, les hôpitaux qui voient leur budget limité selon des logiques purement comptables, sont en sous-effectif permanent, etc. et donc sont de moins en moins capables de répondre à la demande de soins de la population, avec le résultat concret que de plus en plus de gens sont mal soigné·e·s, voire carrément obligé·e·s de renoncer à des soins dont iels auraient besoin, et donc pas soigné·e·s du tout…
Sauf que ce déficit de la Sécurité sociale est pas tant que ça dû à des dépenses trop élevées, mais surtout à des recettes insuffisantes, et qui sont volontairement maintenues insuffisantes par l’État, notamment à cause de toutes les baisses de cotisations que l’État arrête pas de faire au profit des entreprises (comme le CICE dont je parlais tout à l’heure), cotisations qui alimentent en fait le budget de la sécu, et que l’État n’arrête pas de diminuer sans jamais compenser la différence ! Et donc forcément : moins de rentrées d’argent, mais toujours autant de dépenses = déficit !
(C’est pour ça que je disais tout à l’heure qu’il faut pas baisser le niveau des prélèvements obligatoires en général, mais qu’il faut mieux les répartir : parce que cet argent disparaît pas dans un puits sans fond, mais finance des choses concrètes et importantes pour tout le monde !)
Et hop, d’une pierre deux coups : non seulement on fait des cadeaux fiscaux au patronat avec des baisses de cotisations, mais en même temps on appauvrit toujours plus la Sécurité sociale, en présentant son déficit comme une sorte de fatalité, un truc qui serait impossible à combler, pour justifier son démantèlement progressif !
(À lire aussi sur le sujet : Le mythe du « trou de la sécu », Julien Duval.)
Et ce démantèlement des services publics se fait à tous les niveaux, avec des conséquences concrètes pour les travailleurs·euses et les usagèr·e·s. Dans les hôpitaux, c’est près de 100 000 lits d’hospitalisation qui ont été supprimés en 25 ans en tout, entre 1993 et 2018, et l’accueil du public s’est d’autant dégradé, alors que le personnel soignant est en sous-effectif chronique et à bout de nerf. En fait ça fait des années que les soignant·e·s alertent sur le sujet et dénoncent leurs conditions de travail impossibles, qui mettent aussi par ricochet la santé des patient·e·s en danger.
Pour donner une idée, il y a un rapport de 2019 de l’Académie de médecine qui dénonçait une « surchauffe » des hôpitaux publics à cause (entre autres) du sous-effectif donc et du manque de lits. Ce rapport citait un taux d’occupation des lits très élevé, de 83 % en moyenne… en alertant sur le fait que les hôpitaux étaient du coup pas du tout prêts à faire face aux épidémies et à l’afflux de patient·e·s que ça entraînerait. Et en 2020, l’année suivante, l’épidémie de Covid leur donne (malheureusement) raison, avec un manque de places d’accueil et de personnel criant…
Et pourtant, que fait l’État ? Il continue de réduire les moyens de l’hôpital public, et d’annoncer des milliers de suppressions de lits supplémentaires, en pleine crise sanitaire, alors que les cadavres s’entassent déjà devant la porte !
Donc c’est incroyablement indécent et immonde, puisque sous prétexte de faire des économies, iels réduisent encore les moyens, alors que ce manque de moyens a contribué à la mauvaise prise en charge des patient·e·s et aux dizaines de milliers de mort·e·s du Covid ! Les mêmes qui font hypocritement applaudir les soignant·e·s à 20h le soir, hein, alors que beaucoup de soignant·e·s sont à bout à cause des conditions de travail abominables.
Et cette logique immonde, elle se retrouve partout et dans tous les services de l’État et des collectivités, où on arrête pas de réduire les moyens à marche forcée, en comptant sur le dévouement ou la passion des gens pour que ça tienne. C’est pareil à l’université par exemple, où vous avez énormément d’enseignant·e·s qui sont en fait des vacataires, qui ont très souvent des contrats précaires (voire pas de contrats du tout : certain·e·s sont forcé·e·s d’avoir un statut d’« auto-entrepreneur·euse »), sont sous-payé·e·s, et dont les salaires sont versés avec des mois de retard (voire un an de retard parfois !).
Mais bien sûr, ces économies de moyens sur les services publics, c’est surtout les pauvres et les « classes moyennes » qui vont en subir les conséquences (donc la masse de la population), mais pas les bourgeois·es ou leurs laquais, parce que ces gens-là ont des passe droits de toute façon et seront toujours prioritaires à cause de leur position sociale et de leur argent.
Par exemple si les transports en commun deviennent de plus en plus chers pour la masse de la population, les métros de plus en plus bondés, etc., hé ben les riches s’en foutent un peu vu que quand iels prennent le train, c’est en première classe (et que sinon iels prennent le taxi ou l’avion). Si les écoles publiques ont de plus en plus d’enfants par classes, et de moins en moins de moyens en général, au point que certaines salles de classe ne sont même pas chauffées en hiver… ben pareil, les gosses de riches ça les touche pas vu qu’on les envoie dans des écoles privées.
Pareil pour les hôpitaux : quand on réduit les moyens des hôpitaux, ça fait que de moins en moins de patient·e·s peuvent être pris·es en charge en général (et qu’iels seront pris·es en charge dans des moins bonnes conditions en moyenne), mais les bourgeois·es elleux auront toujours priorité quand iels tombent malades : regardez le premier ministre britannique Boris Johnson, quand il a chopé le Covid en pleine crise sanitaire, il a été pris en charge à l’hôpital tout de suite, en grillant probablement la priorité à des dizaines d’autres patient·e·s qui attendaient depuis plus longtemps que lui !
Donc voyez, les riches s’en foutent un peu que les services publics aient de moins en moins de moyens pour traiter la masse de la population, vu qu’iels peuvent acheter leur place prioritaire et leur traitement de faveur quand iels en ont besoin !