Pour une démocratie directe

Épisode 7 : La démagogie

Des promesses

On va commencer par le mensonge, parce que la démagogie commence toujours par du mensonge et de la tromperie. Logique : c’est essentiel que les gens soient mal informé·e·s et croient des trucs faux, croient surtout les trucs qui vous arrangent, ça facilite énormément la manipulation.

En gros, le public ne pourra pas prendre de bonnes décisions si il est mal informé.

Du coup, parlons un peu du mensonge. Tout le monde sait que les politicien·ne·s mentent, mais on analyse pas toujours comment.

Tout le monde ment

Généralement quand on parle de mensonge en politique, on pense spontanément aux gros·ses menteurs·euses, les Sarkozy, Valls, Macron, Le Pen, Trump, etc., tous ces gens qui mentent comme iels respirent, de façon hyper évidente et décomplexée, et ça se voit.

Celleux-là peuvent se permettre de mentir aussi ouvertement parce que leur base électorale est plus fanatisée que les autres, et continue de les suivre malgré leurs mensonges, mais ce serait vraiment une grosse erreur d’analyse de croire que ce serait les seul·e·s à mentir, c’est juste les plus visibles.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que c’est l’ensemble de la classe politique qui ment. En fait la plupart des politicien·ne·s évitent de mentir de façon aussi évidente, parce qu’iels peuvent pas se le permettre, mais tou·te·s mentent quand même, de façon plus subtile et détournée.

Déjà au minimum iels sont tou·te·s obligé·e·s de mentir sur leurs intentions et leur motivation : vu que, quel que soit le parti ou la personne, leur but c’est toujours de se servir au maximum (et de servir leurs potes), et qu’iels savent à l’avance qu’iels feront une politique que l’écrasante majorité de la population rejettera, iels peuvent évidemment pas avouer tout ça publiquement, sinon iels seraient jamais élu·e·s. Donc c’est super important pour elleux de passer pour des gens qui ont des convictions et qui seraient motivé·e par leurs convictions plutôt que par l’appât du gain, et iels vont faire beaucoup d’efforts pour ça, pour nous donner l’impression qu’iels croient en ce qu’iels disent.

Promettre le changement

Le mensonge commence toujours dans l’opposition, parce que les politicien·ne·s commencent leur carrière dans l’opposition. Or, si vous êtes dans l’opposition et que vous voulez être élu·e, c’est important de faire croire que vous avez l’intention de faire une politique différente de ce que fait la majorité au pouvoir actuellement. La politique menée à un moment donné est toujours impopulaire, on le sait, et les politicien·ne·s (qu’iels soient au pouvoir ou dans l’opposition) le savent aussi. Iels sont tout à fait conscient·e·s de ça, et iels sont tout à fait conscient·e·s aussi de pourquoi cette politique est impopulaire…

Du coup, quand on est dans l’opposition, c’est important de faire croire qu’on est pas d’accord avec ce que fait la majorité au pouvoir, et qu’une fois au pouvoir on mènera une politique différente de ce qui se fait actuellement (même si c’est évidemment faux, et que l’ensemble des politicien·ne·s ont toujours l’intention de faire à peu près la même chose quand iels seront élu·e·s, mais l’important c’est que la population le croit).

Et je crois qu’un truc qui illustre bien ça, et qui illustre bien à quel point tout le monde ment, c’est à quel point le thème du « changement » est un argument électoral en soi, et repris par tou·te·s les politicien·ne·s du monde tout le temps. Promettre le « changement », c’est un grand classique, un thème omniprésent dans énormément de campagnes électorales. L’exemple le plus récent et proche de nous en France, c’est évidemment « Le changement, c'est maintenant », de François Hollande en 2012, qui était carrément son principal slogan de campagne (et en fait à peu près le seul truc que les gens ont retenu de lui, du coup), mais c’est pas la première fois que le Parti Socialiste promet du changement :

Mais le Parti Socialiste est pas du tout le seul à promettre le changement tout le temps, hein. François Bayrou en 2002 promettait lui aussi « La relève, le changement », et Eva Joly en 2012, un de ses slogans c’était « L’écologie, le vrai changement ».

Comme quoi tout le monde en politique aime le changement. Il y en a même qui osent promettre du changement alors que c’est leur équipe qui est aux manettes :

Donc promettre du « changement » c’est un grand classique, et pas seulement en France hein :

Aux États-Unis :

Donc ce thème du changement, c’est un classique international et indémodable, parce que ça permet à l’opposition de capitaliser à fond sur l’impopularité de la majorité au pouvoir à un moment donné. « Vous aimez pas l’équipe au pouvoir ? Hé ben nous non plus, et le meilleur moyen de vous en débarrasser c’est de voter pour nous, et promis, une fois au pouvoir, on fera pas la même chose qu’elleux. »

Inutile de dire qu’aucun de ces gens-là qui avaient promis un « changement » ont changé quoi que ce soit une fois aux manettes, et qu’en pratique iels ont tou·te·s mené à peu près la même politique que leurs prédécesseur·e·s, mais bon quand on est dans l’opposition, c’est logique de capitaliser sur l’impopularité de la majorité actuelle, et de faire croire qu’on est pas d’accord avec ce qu’elle fait : après tout, elle est impopulaire, ce serait vraiment bête de pas en profiter.

Capitaliser sur l’impopularité de la majorité en place

Bien sûr, il faut que ces promesses de « changement » aient l’air crédibles, sinon ça sert à rien. Du coup l’opposition élue va passer pas mal de temps à faire semblant de s’opposer à la politique menée par la majorité, et faire semblant de critiquer avec force cette politique, en surjouant souvent l’indignation devant les mesures les plus impopulaires. Même si en pratique iels s’en foutent, le but est de se donner un air crédible, de donner à l’électorat l’impression qu’on est vraiment contre et vraiment indigné par la politique injuste menée.

Et c’est assez facile de faire une critique crédible, parce qu’iels savent tout à fait ce qui est injuste dans la politique menée hein, mais ça veut pas dire qu’iels ont vraiment l’intention de faire une politique différente quand iels seront au pouvoir. C’est juste que c’est logique pour l’opposition de tenter de profiter au maximum de l’impopularité du pouvoir en place.

Par exemple, quand la droite officielle est au pouvoir, et attaque les droits des travailleurs·euses, ou baisse les impôts des riches, c’est forcément impopulaire, et la « gauche » électorale (dans l’opposition donc) va pouvoir dénoncer « une politique qui est faite uniquement pour les riches » (ce qui est vrai), « une politique qui précarise encore les plus pauvres » (ce qui est vrai aussi), va expliquer que c’est pas en augmentant le temps de travail ou en attaquant le droit du travail qu’on va résoudre le problème du chômage, etc. Et tout ça est vrai évidemment, ces critiques sont fondées et donc ont l’air crédibles. Souvent iels vont monter sur leurs grands chevaux et utiliser des mots très forts pour montrer à quel point iels sont pas d’accord : « la gauche dénonce l’attitude “irresponsable” et “inacceptable” de l’exécutif » sur le refus d’accueillir l’Aquarius. Autre exemple : la gauche dénonce le « scandale » de l’évacuation des manifestations non violentes par la police, etc. Donc tous ces termes sont très forts : « scandale », attitude « irresponsable », on entend aussi souvent « faute politique », « politique destructrice », « trahison », etc., des mots extrêmement forts pour montrer à quel point on est pas d’accord, et tout ça est généralement servi par une attitude théâtrale, un ton de voix, une gestuelle, bref un jeu d’acteur·trice qui vise à faire croire que, vraiment, vous êtes choqué·e·s et indigné·e par ce que fait le gouvernement.

Et certain·e·s sont très bon d’ailleurs à ça, et arrivent à avoir l’air très crédibles dans leur prétendue dénonciation. Prenez François Ruffin par exemple, un mec qui est assez populaire à « gauche », il a vraiment l’air d’y croire. Par exemple en octobre 2018, quand la majorité LREM au pouvoir rejette une proposition de loi qui visait à améliorer un peu la prise en charge des élèves en situation de handicap, Ruffin dénonce carrément « un vote qui vous collera à la peau comme une infamie » ! Un peu plus tard, en février 2019, pendant une séance de questions au gouvernement, voilà le même François Ruffin tellement « écœuré » des mensonges de la macronie qu’il se sent obligé de « sortir » de la séance car il avait besoin de prendre « un gros bol d’air » face à tous ces mensonges (le pauvre). Et puis en septembre, lors d’une audition à l’assemblée du PDG de Total, François Ruffin lui assène : « vous préparez un monde de merde pour nos enfants » !

Donc les mots qu’il utilise sont à chaque fois très forts : voilà quelqu’un qui a l’air authentiquement choqué et indigné de la politique du gouvernement et de la majorité, indigné du comportement des multinationales qui polluent, voilà quelqu’un à qui tout ça tient à cœur !

Sauf que… ça l’empêche pas dans le même temps de s’afficher tout sourire avec des député·e·s de la majorité (eux aussi tout sourire), dans une sorte de blague / tentative de com’ / second degré / autodérision minable, où, je le cite, il « offre des boules Quies » à des député·e·s de la majorité qui lui avaient dit de « baisser d’un ton Monsieur Ruffin ». Le mec publie sur son compte Twitter une photo où lui et deux député·e·s de la majorité sont tout sourire avec leurs boules Quiès bien en évidence, pour la blague. Alors on me dira que c’est de l’autodérision, de l’humour, tout ça, qu’il faut pas y accorder trop d’importance, mais je suis pas d’accord. Ce que ça dit en vrai, c’est que le mec ça le gêne pas de poser tout sourire, tout fier de sa blague, avec des gens responsables d’une politique qu’il sait ultra-violente et criminelle contre les pauvres et les personnes vulnérables, contre les sans-papiers, etc. Des gens crèvent, mais pour François Ruffin ça a limite l’air d’être un jeu, tout ça a pas vraiment d’importance, on peut se fendre la pêche avec les responsables. Non-seulement c’est indécent, mais c’est en plus absolument contradictoire avec le fait d’accuser les mêmes personnes d’« infâmie » pour leur politique dégueulasse, c’est absolument contradictoire avec la fois où il prétendait qu’il était tellement « écœuré » par les mensonges des macronistes qu’il en a été obligé de quitter la séance et d’aller prendre l’air (selon ses propres mots). Bref, ce genre de coup de com’ et de blague, ça contredit totalement sa prétendue indignation, et ça montre que cette indignation était juste une posture, qu’elle était complètement simulée et surjouée, et qu’il y croit pas une seule seconde.

Et là c’est juste une bourde de Ruffin (pas la seule d’ailleurs) où il trahit son absence de convictions pour un (mauvais) coup de com’, c’est pour ça que j’ai choisi cet exemple parce qu’il illustre bien le problème. Mais les autres politicien·ne·s c’est pareil évidemment : même si publiquement iels font semblant de s’indigner et de dénoncer leurs prétendu·e·s adversaires au pouvoir, ça nous garantit pas que le lendemain iels vont pas trinquer ensemble, et rigoler ensemble de telle bonne blague qu’untel a faite à la tribune.

Donc il faut bien comprendre que tout ça, cette indignation, ces dénonciations, ces coups de colère, ces trémolos dans la voix, ce n’est rien de plus que du théâtre et du jeu d’acteur·trice.

Proposer des lois dont on ne veut pas vraiment

Alors, ceci dit, l’idée c’est quand même de rendre ses promesses et ses mensonges les plus crédibles possibles. Il faut que le public croie que vous avez vraiment l’intention de faire ce que vous promettez de faire (sinon ça sert à rien).

Quand vous êtes dans l’opposition, une autre technique très efficace pour faire croire que vous avez vraiment l’intention de mener une politique différente de celle actuellement menée, c’est carrément de proposer des lois dont vous ne voulez pas vraiment (mais que la population voudrait, comme le non-cumul des mandats, des lois pour plus de transparence dans la vie politique, etc.), mais que vous savez que la majorité au pouvoir va forcément rejeter, parce qu’elles sont pas dans son intérêt non plus. Comme ça vous pouvez vous indigner pour pas cher que la majorité au pouvoir rejette une loi que pourtant le peuple voudrait, mais que vous vous essayez courageusement de faire passer malgré tout !

Exemple : fin 2010, le Parti Socialiste fait une proposition de loi pour interdire le cumul des mandats, proposition présentée par de nombreux·ses sénateurs·trices et député·e·s du PS. Genre vraiment, le cumul on est contre, comme l’ensemble de la population, voyez. Bon la proposition en question est évidemment rejetée par la droite majoritaire, mais le PS dans l’opposition avait quand même essayé, fait tout ce qui était en son pouvoir pour lutter contre le cumul des mandats. Preuve qu’il était du côté du peuple, et que c’est juste la droite égoïste qui l’empêchait de faire les lois que le peuple veut. Cette promesse de non-cumul des mandats est même ensuite devenue un des principaux arguments de campagne pour François Hollande en 2012… Sauf que, on connaît la suite, iels l’ont évidemment pas fait quand iels sont arrivé·e·s au pouvoir. Iels l’ont d’abord repoussé à 2017 (dans un premier temps, alors que le non-cumul était en théorie promis « dès 2012 »…), avec l’intention de le re-repousser ensuite à plus tard et à la Saint-Glinglin.

Donc c’est pas parce qu’on a fait des propositions de lois dans un sens quand on a pas le pouvoir qu’on a véritablement l’intention de faire ces lois quand on l’aura.

En fait le PS nous a fait le coup plein de fois, quand il était dans l’opposition. Il a fait notamment plusieurs fois des propositions de loi pour le droit de vote des étrangèr·e·s, par exemple fin 2002 (alors qu’iels sortaient de cinq années de pouvoir et auraient pu le faire à ce moment-là, mais bon on est pas à ça près…), et puis une autre proposition en 2011.

Là aussi, ces deux propositions ont évidemment été rejetées par la droite au pouvoir. Et là aussi, le PS ne l’a absolument pas fait quand il est revenu au pouvoir en 2012… (D’ailleurs ce droit de vote des étrangèr·e·s c’est un truc que le PS promet régulièrement depuis… 1981 ! Donc ça fait presque quarante ans, sans jamais le faire quand iels ont l’occasion ! Donc c’est pas parce qu’un parti promet un truc régulièrement et depuis longtemps qu’il a vraiment l’intention de le faire hein ! Je pense au FN qui promet depuis des années des « référendums d’initiative populaire », ça n’a pas plus de valeur que ça…)

Et puis là j’ai cité que le PS parce que c’est les exemples les plus récents que j’ai trouvés, et qui sont encore frais dans ma mémoire, vu qu’on sort de cinq ans de PS au pouvoir, mais des gens de tous les partis peuvent faire ça, hein.

Autre exemple, le Front National, qui avait toujours critiqué le cumul des mandats des autres partis depuis des décennies, tant qu’il restait plus ou moins exclu des institutions, avec des mots très durs, en dénonçant par exemple des « élus à temps partiel ». Et, en 2013, ses deux seul·e·s député·e·s d’alors (Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard) avaient même voté la loi du PS contre le cumul, mais en regrettant qu’elle ne s’applique qu’en 2017. Sous-entendu : si c’était nous au pouvoir, on le ferait tout de suite hein, le non-cumul ! Donc le FN très engagé contre le cumul, voyez. Hé bien, ça va certainement vous surprendre, mais le parti s’est mis à changer subitement de discours dès l’année suivante, en 2014, dès qu’il a été en position d’avoir des élu·e·s cumulards en fait, et Marine Le Pen avait même dit à ce moment-là qu’iels « s’appliqueraient le non-cumul quand les autres partis se l’appliqueront eux aussi », ce qui est en fait exactement la même excuse qu’utilisent tous les autres partis qui se prétendent opposés au cumul mais qui le pratiquent quand même.

Donc voilà, ce n’est pas parce qu’on promet très fort quelque chose, et qu’on dénonce une situation avec des mots très durs, qu’on y croit vraiment, et qu’on a vraiment l’intention de faire ce qu’on promet. Et même le fait de faire des propositions de lois ne prouve absolument pas que vous êtes sincère. Quand on est dans l’opposition, on peut parfaitement faire des propositions de lois dont on ne veut pas vraiment, en sachant qu’elles seront rejetées par la majorité au pouvoir, histoire de se donner un peu de crédibilité pour pas cher parce que en apparence vous avez fait tout ce qui était en votre pouvoir pour que tout ça devienne réalité, et c’est juste les gens au pouvoir actuellement qui vous en ont empêché·e parce qu’iels sont égoïstes. Et puis si vous arrivez un jour au pouvoir, soit les gens auront oublié, soit on trouvera toujours des excuses ou des prétextes pour ne pas le faire, ou pour le faire à minima…