Pour résumer, les élu·e·s ont inévitablement des intérêts très éloignés du reste de la population :
Tout ça, c’est inévitable avec des élections : quoi qu’il arrive, toute personne en position d’élu·e aura forcément des intérêts opposés au reste de la population.
« Bon alors OK, tu nous as convaincu·e·s, les élu·e·s ont des intérêts différents, d’accord, mais ça veut pas forcément dire qu’iels vont prendre des décisions contraires à ce que souhaiterait la population. » (me direz-vous peut-être) Après tout il y a pas que leurs intérêts, iels peuvent avoir des convictions, et ça a existé les exemples de gens célèbres issus plus ou moins de la bourgeoisie (par exemple) et qui ont sincèrement pris parti pour le prolétariat et défendu le prolétariat. Des gens comme Karl Marx, Friedrich Engels ou encore Jean Jaurès pour citer des gens parmi les plus célèbres, mais il doit y en avoir pas mal d’autres.
Cette idée que les élu·e·s décideraient selon leurs convictions et pas leurs intérêts est hyper répandue, et c’est même l’interprétation principale des politiques menées par les divers gouvernements : si Sarkozy a mené une politique d’extrême-droite quand il était au pouvoir, c’est (entre autres) parce qu’il aimait pas les étrangers, et si François Hollande a mené une politique libérale économiquement, c’est parce qu’il y croyait, qu’il a toujours eu des convictions libérales, et qu’il croyait sincèrement que ça allait créer des emplois.
Et ça, c’est l’explication donnée par pratiquement l’ensemble de la gauche institutionnelle, du Front de gauche de Mélenchon à l’« aile gauche » du Parti Socialiste, en passant par la presse de gauche comme Médiapart par exemple : en gros, Hollande, il croyait sincèrement que faire des cadeaux fiscaux au patronat et déréglementer le marché du travail ça allait faire baisser le chômage, et c’est pour ça qu’il l’a fait. Du coup, on entendait qu’il était dans « l’erreur », qu’il se trompait, qu’il faisait « fausse route », et il fallait l’encourager à « changer de cap », et à réorienter sa politique.
Et Sarkozy et François Hollande c’est pas les seuls exemples : tou·te·s les élu·e·s agiraient selon leurs idées politiques uniquement, et s’iels prennent des mauvaises décisions, c’est soit qu’iels se trompent en croyant bien faire, soit qu’iels sont mauvais·e·s et animé·e·s par la haine et le rejet de l’autre (ou parce qu’iels ont des idées réacs), mais jamais par intérêt.
Cette explication, c’est même la ligne de défense standard quand quelqu’un est pris·e en situation de conflit d’intérêts : par exemple si on apprend que tel·le politique chargé·e de rédiger une loi sur l’environnement a des actions dans une compagnie pétrolière, eh bien cette personne va dire que « Oui, certes, j’ai des intérêts dans ce domaine, mais ça n’influe absolument pas sur mon jugement ni sur mes actes voyons, vous me blessez de penser ça ! Promis promis, j’ai pris les décisions sur ce sujet en écoutant seulement mon petit cœur et mes convictions et en me préoccupant uniquement de l’intérêt général. Et si j’ai tout fait pour autoriser (par exemple) la fragmentation hydraulique pour extraire du gaz de schiste, c’est parce que je pense que ça permettra d’avoir plus d’énergie fossile plus facilement pour tout le monde et donc moins cher. Bon, il se trouve que j’ai gagné plein d’argent au passage, mais c’est juste une coïncidence, ne me remerciez pas je vous en prie c’est tout naturel. »
(J’exagère même pas énormément en fait, c’est ça le pire.)
Ce que je veux dire par là c’est qu’il faut jeter définitivement cette idée que les politicien·ne·s agiraient majoritairement par conviction, et que leurs intérêts rentreraient jamais en ligne de compte, c’est une arnaque. Bien sûr que de temps en temps on peut tomber sur des gens qui sont tellement sincères qu’iels sont prêt·e·s à voter des trucs par conviction et contre leurs propres intérêts, et c’est super sympa de leur part, mais globalement c’est rare, c’est très rare.
Pourquoi ? Parce que les gens agissent globalement par intérêt. Même vous et moi, on agit par intérêt dans notre vie de tous les jours. Pas que par intérêt, bien sûr, mais en partie, et ce serait illusoire (et même très dangereux) de croire le contraire.
D’ailleurs même nos luttes sont pas motivées que par notre volonté de justice : quand on se bat pour nos conditions de travail et nos salaires par exemple, c’est en partie parce qu’on considère que c’est juste bien sûr, mais c’est aussi en partie parce que c’est notre intérêt. Et c’est pas grave d’ailleurs. Ça fait pas de nous des salaud·e·s ou des égoïstes, ou des moins bon·ne·s militant·e·s, mais simplement il faut être conscient·e·s qu’on est des êtres humains, et que les êtres humains, ça agit en partie par intérêt, c’est comme ça.
(Je reviendrai là-dessus dans un autre épisode pour creuser un peu, et on verra que c’est pas si grave, et que c’est quand même possible de faire une société juste malgré ça, mais ce sera pour plus tard.)
En attendant, il faut juste bien piger que les gens en général agissent globalement par intérêt.
Mais en plus de ça, les élu·e·s sont en moyenne moins sincères et plus intéressés que le reste de la population.
Je me répète, mais les élu·e·s ne sont pas représentatifs·ves de la population, parce qu’iels sont sélectionné·e·s en amont, avant le moment de l’élection, par le patronat (avec ses médias), et par des élu·e·s déjà en place. Et donc tous ces gens là qui sélectionnent les nouveaux·elles élu·e·s, iels vont évidemment pas choisir des gens sincères et pétris de conviction, parce que ça les emmerderait plus qu’autre chose. Au contraire : iels vont choisir des gens intéressés, des gens qui partagent leurs intérêts à elleux, des gens avec qui iels pourront toujours s’arranger quand iels en auront besoin. Et donc ça veut dire que les élu·e·s vont être globalement très peu motivé·e·s par des convictions ou des idéaux, et encore plus intéressé·e·s que la moyenne de la population, parce qu’iels ont été sélectionné·e·s sur ce critère-là en fait : être intéressé·e·s.
Et même si vous arriviez par miracle à mettre au pouvoir des gens très sincères, vous avez aucune garantie qu’iels restent sincères tout le temps, parce que la sincérité c’est pas un truc immuable, mais c’est quelque chose qui peut évoluer.
Les trahisons ça se fait pas forcément d’un coup : on passe pas du jour au lendemain de « militant·e sincère et dévoué·e à une cause » à « politicien·ne véreux·se prêt·e à toutes les bassesses », c’est pas comme ça que ça marche, c’est plutôt qu’on s’habitue progressivement aux privilèges et on accepte petit à petit de faire des compromis.
Prenez n’importe qui d’à peu près sincère dans nos luttes, et mettez cette personne député·e : au début elle restera probablement sincère, et elle essaiera de continuer à défendre ses convictions comme elle pourra, de sa position de député·e. Mais le problème, c’est qu’elle va quand même être mise dans des conditions matérielles complètement différentes de sa vie d’avant, et ça, ça va la faire changer : elle va avoir un revenu très élevé de député·e, un logement confortable, et tous les autres privilèges déjà cités… Elle va fréquenter de moins en moins son ancien milieu et ses anciens camarades, et va être progressivement entourée plus que de gens qui vivent confortablement et qui s’en satisfont.
Eh bien on s’y habitue à ça. En fait, dans ce sens là, on s’y habitue même très vite. Votre militant·e sincère du départ, iel va commencer à accepter ses nouvelles conditions de vie plus confortables, se dire qu’iel les mérite pas moins qu’un autre (parce qu’après tout, iel est arrivé·e à gagner une élection quand même, ce qui est pas rien), et progressivement, sans s’en rendre compte, elle va changer, et son point de vue va évoluer.
Elle va commencer à y tenir, à ces nouvelles conditions de vie plus confortables, à pas trop vouloir revenir à sa vie de précaire d’avant (ce qui est logique hein, je lui en veux pas), et cette personne va peut-être devenir prête à accepter quelques petits compromis et quelques petits arrangements sur ses idées de temps en temps, si ça peut lui permettre de conserver sa place. Ça veut pas dire que cette personne sera devenue une pourriture totale d’un coup, du jour au lendemain, ou qu’elle trahira totalement la cause qu’elle voulait défendre au départ, mais simplement qu’après plusieurs années à ce régime-là, après un mandat voire deux, inévitablement elle se sera (au minimum) moins sincère qu’à son arrivée.
Donc l’idée qu’on pourrait confier le pouvoir à des gens sincères pour qu’iels décident pour nous, c’est largement illusoire. Parce que, même dans toute la population, il existe presque personne qui soit tellement sincère qu’iel sera jamais tenté de servir ses propres intérêts plutôt que l’intérêt général, mais même si ça existait, l’élection serait clairement pas un bon moyen de trouver ces personnes sincères.
Croire que les élu·e·s pourraient agir majoritairement par conviction et qu’iels « se trompent » juste, c’est dangereusement naïf : c’est parce qu’iels ont des intérêts différents du reste de la population qu’iels agissent contre le reste de la population. Et là encore, ce n’est pas un problème de personne, c’est un problème structurel : les élections, ça mettra toujours au pouvoir des gens qui auront toujours des intérêts différents du reste de la population, c’est inévitable, et c’est pour ça que la plupart des lois votées sont à ce point contraires à l’intérêt général.
Voilà, c’est tout pour cet épisode. Dans l’épisode prochain, on parlera de la corruption, et on verra que, contrairement à ce qu’on essaye de nous faire croire, la corruption est pas exceptionnelle, mais est généralisée, et concerne pratiquement toute la classe politique.
À bientôt.