Et une des conséquences de tout ça, c’est aussi que les médias vont avoir une influence indirecte sur la classe politique, parce qu’ils influencent l’opinion publique.
Cet unanimisme médiatique qu’on a vu, donne une fausse image de ce que le public attend et souhaite réellement. Ça donne l’image d’une population qui adhérerait largement au point de vue des dominants, et donc les politiques vont tenter de s’approcher au plus près des attentes de ce public (ou de l’image qu’ils en ont), et vont donc calquer leur discours sur celui de la classe dominante.
En fait ce discours dominant est tellement répandu et jamais contredit dans les médias, que ça donne l’impression d’un consensus, et toute personne qui s’éloignerait trop de ce consensus va être perçue comme trop radicale, extrémiste, ou irréaliste.
Je prends l’exemple de l’immigration : le consensus médiatique c’est qu’il y aurait beaucoup trop d’immigration, et qu’il faudrait absolument la réguler, et donc les positions ressenties comme « acceptables » par le public vont aller de « il faut expulser un peu moins de sans-papiers » à « il faut en expulser encore plus » mais c’est tout. Quelqu’un qui dirait « ouvrons les frontières et arrêtons totalement de faire la chasse aux immigré·e·s » par exemple se décrédibiliserait tout seul, parce que sa position serait perçue comme non réaliste, « laxiste », « bisounours », etc. C’est pour ça que même les politiques les plus « progressistes » (avec beaucoup de guillemets…) qui parlent d’immigration diront toujours qu’il faudrait juste expulser un peu moins de sans-papiers, et les expulser « humainement » (même si en réalité ça veut rien dire, et qu’on expulse pas des gens humainement).
Pareil sur le travail : le consensus médiatique, c’est qu’il faudrait accepter de bosser plus pour moins cher et dans des conditions pires, pour être plus compétitifs·ves. Du coup, le discours de l’« extrême-gauche », qui explique en gros qu’il faudrait au contraire travailler moins et augmenter les salaires, ça paraît forcément irréaliste. C’est pour ça que les candidat·e·s d’extrême-gauche, genre Nathalie Arthaud ou Philippe Poutou, ont à peu près aucune chance de faire un score honorable aux élections : leurs discours sont perçus comme farfelus et irréalistes, pas parce qu’ils le seraient, mais tout simplement parce que ces discours sont trop éloignés du consensus médiatique. Ces discours vont être décrédibilisés à l’avance, avant même qu’on les entende, parce qu’à force de répétition, on a assimilé et accepté cette idée de travailler plus.
Évidemment, il y a plein d’autres exemples : les retraites (qu’on peut soi-disant pas financer et dont il faudra forcément repousser l’âge d’une façon ou d’une autre), idem pour la Sécu (et son déficit), idem pour les services publics en général (qui nous coûtent trop cher), idem pour la supposée montée de l’insécurité, etc.
Autrement dit, même s’il arrive pas complètement à convaincre, ce consensus médiatique fixe les limites acceptables du « débat » : on peut éventuellement débattre dans les médias, tant que vous restez dans ces limites, tant que vous remettez pas en cause le capitalisme, le travail, la police, etc. Ce consensus médiatique va forcément influer sur les femmes et hommes politiques qui veulent être élu·e·s, même ceux qui se prétendent de gauche, parce que tou·te·s vont essayer de se rapprocher de ces discours-là, ou au moins de pas trop s’en éloigner, par volonté de plaire, et surtout de ne pas être exclu·e, de ne pas s’exclure eux-mêmes du jeu électoral par un discours trop éloigné de ce que la population a l’habitude d’entendre en boucle. Et c’est d’ailleurs souvent une justification des politicien·ne·s qui se prétendent de « gauche » quand on leur reproche de dire des trucs de droite, c’est l’argument du prétendu « pragmatisme » : « si on veut être élus et pouvoir appliquer nos idées un peu de gauche, il faut d’abord accepter de dire des trucs pas trop de gauche, voire carrément de droite, pour pas choquer l’électorat, parce que c’est ça que l’électorat est habitué à entendre »
Donc, pour résumer, le discours médiatique influence indirectement l’ensemble de la classe politique, en influençant l’opinion. Mais les médias influencent aussi plus directement le résultat des élections, par les informations qu’ils choisissent ou non de diffuser, et la façon dont ils traitent les différentes candidatures.
J’en ai déjà parlé vite fait, mais juste pour rappel, les médias de masse sont la principale source d’information de l’électorat sur les candidats et candidates. Et l’électorat vote selon les informations qu’il a, évidemment, donc les médias ont un impact considérable sur le résultat des élections.
Et comme les médias sont pas du tout neutres, leur soutien ou leur hostilité à tel ou telle candidat·e va influer énormément sur les chances de chacun·e d’être élu·e ou non.
Les médias peuvent influer directement sur l’élection de plein de façons différentes :
Pour illustrer ça, on peut comparer le traitement médiatique très négatif que subissent des gens comme Philippe Poutou en France, ou Bernie Sanders aux États-Unis, à la complaisance médiatique avec la plupart des personnalités politiques qui défendent ouvertement les intérêts du patronat.
Philippe Poutou par exemple a eu extrêmement peu de temps de parole, et souvent dans des mauvaises conditions : plusieurs médias se sont ouvertement moqués de lui plusieurs fois ou l’ont ridiculisé, sous divers prétextes, ou encore l’ont dénigré pour des questions accessoires (par exemple parce qu’il ne portait pas de cravate à un débat… ce qui leur évitait aussi de parler du fond de ce qu’il disait). Pareil pour Bernie Sanders (si vous connaissez pas Bernie Sanders, c’est un candidat bien plus à gauche que Hillary Clinton, et qui avait été son opposant lors des primaires démocrates américaines en 2015). Sanders donc, les médias américains ont très peu parlé de lui pendant les primaires américaines, alors qu’il était en fait plus populaire que Trump ou que Clinton, et que sa campagne avait une vraie dynamique et que ses meetings rassemblaient les plus grandes foules, mais les médias ont parlé de lui au moins six fois moins que de Clinton, et quinze fois moins que de Trump… Alors ça veut pas dire que Sanders aurait forcément fait une politique vraiment de gauche s’il avait été élu, hein, mais c’est pas le sujet : le simple fait de promettre des trucs de gauche, a été éliminatoire. Et le biais est flagrant si on compare ça avec le traitement dont bénéficient beaucoup de politicien·ne·s (les Sarkozy, Valls, Macron, Le Pen et compagnie en France, ou des gens comme Clinton et Trump aux US…) à qui on donne énormément d’exposition médiatique et de temps de parole, qui sont souvent encensé·e·s voire flatté·e·s par les commentateurs·trices divers·es, et qu’on invite souvent sans même de contradiction en face. Du coup on comprend facilement que tous ces gens-là ont pas exactement les mêmes chances d’être élu·e·s.
Évidemment, cette indulgence ou cette sévérité des médias envers les candidats et candidates, elle se fait encore et toujours selon les mêmes critères : c’est celleux qui défendent le mieux les intérêts du patronat et de la classe dominante qui bénéficieront du meilleur traitement, et si jamais il y en a qui critiquent vraiment et attaquent vraiment ces intérêts, iels seront au contraire dénigré·e·s ou ignoré·e·s.
C’est aussi pour ça que les médias mettent systématiquement sur le même plan l’extrême-droite et la gauche radicale par exemple, alors que les deux ont rien à voir : ça sert à décrédibiliser la gauche radicale, en la comparant à des partis qui font peur et qui sont rejetés par une grande part de l’électorat (à raison).
Pour résumer, les médias ont deux types d’influence sur la politique : une influence directe, et une influence indirecte.
Voilà, ce sera tout pour aujourd’hui et pour la question des médias. Dans l’épisode prochain, qui sera un peu plus court, on parlera des sondages, et on verra que c’est pas un outil d’information neutre, mais au contraire un outil de manipulation supplémentaire.
À bientôt.