Pour une démocratie directe

Épisode 2 : Les médias et l’élection

Faux pluralisme et vraie propagande

Alors, il y a parfois des débats à la télé, ou à la radio, ou quelques critiques du pouvoir, mais généralement c’est de la poudre aux yeux, parce que les gens qui sont invités à « débattre » sont en fait d’accord entre eux sur l’essentiel, et vont du coup discuter et débattre que de détails qui ont pas de réel impact. Ces faux débats servent juste à donner une apparence de pluralisme, et à détourner l’attention des enjeux les plus importants.

Parfois (rarement…), il arrive qu’il y ait des débats avec des intervenant·e·s véritablement pas d’accord, mais c’est souvent dans des mauvaises conditions.

Par exemple, la militante afro-féministe Rokhaya Diallo, invitée à s’exprimer sur i-Télé en décembre 2016 : on se dit « cool, enfin un point de vue différent… » …sauf que dans ce pseudo-débat, elle s’était retrouvée toute seule face à quatre contradicteurs tous d’accord entre eux, très agressifs, et qui l’interrompent sans arrêt et ne la laissent pas parler. Du coup, seule face à quatre contradicteurs, ça lui faisait moins de temps de parole pour elle en pratique, et surtout ça donnait l’impression que son point de vue était ultra-minoritaire. Les conditions du débat sont si mauvaises qu’elle peut pas réellement développer son point de vue. En fait, comme on la laisse pas parler, ça donne même l’impression que son point de vue serait illégitime, tellement illégitime que ce point de vue mériterait même pas d’être exprimé !

Autre exemple dans le même genre, le politologue Clément Viktorovitch, sur le plateau de C-News en mai 2018, qui se fait contredire et crier dessus par 4 contradicteurs (dont le présentateur, censé pourtant être impartial…) au point qu’on le laisse même pas parler, parce qu’il avait simplement osé rappeler que les musulmanes ont le droit de s’habiller comme elles veulent, et de porter le foulard si elles veulent.

Donc même quand il y a des intervenant·e·s qui sont vraiment pas d’accord, ça reste des faux débats, car les conditions sont trop mauvaises, et les armes trop inégales…

Autres exemples de faux-pluralisme : les émissions comme « les auditeurs ont la parole ». Comme le nom l’indique, ces émissions prétendent donner la parole à « tout le monde », et donc à des non-professionnel·le·s des médias, ce qui a l’air plutôt bien et est censé permettre d’entendre des points de vue un peu différents de ce qu’on entend d’habitude. Sauf que, ici aussi il y a une arnaque, parce qu’il y a une sélection des interventions, une sélection qu’on ne voit pas. Ces émissions ont plusieurs centaines de milliers d’auditeurs·trices, et doivent avoir plusieurs dizaines ou centaines d’appels au standard chaque minute. Évidemment, elles ne peuvent donner la parole qu’à un petit nombre de personnes sur tous les gens qui appellent. Le problème c’est que, ce petit nombre de personnes, on va le choisir comme on veut.

Parmi tous les gens qui appellent, il va y en avoir évidemment beaucoup qui vont avoir le même point de vue, et donc, pour chaque point de vue, on va pouvoir choisir entre plein de profils différents : certaines personnes vont être bonnes pédagogues, vont s’exprimer bien et clairement, et savoir expliquer leurs idées de manière compréhensible… et d’autres personnes vont au contraire avoir du mal à trouver leurs mots, vont être très agressives ou arrogant·e·s, ou vont dire tout simplement de la merde. Eh bien, selon l’image qu’on veut donner de tel ou tel point de vue, on va pouvoir choisir à quel genre de profil on donne la parole. Par exemple si j’ai 200 auditeurs·trices qui appellent et qui sont favorables aux grèves, parmi tous ceux-là, je vais donner la parole à celleux qui sont les moins formé·e·s politiquement, qui savent pas forcément bien expliquer pourquoi iels font grève, qui sont énervés, etc. et qui donneront une mauvaise image des grévistes et donneront l’impression que la grève est pas justifiée, faite pour des motifs égoïstes et contre les usagèr·e·s.

C’est d’ailleurs pour ça que parfois des gens mentent au standard de ces émissions pour pouvoir passer à l’antenne. Vous savez, des fois, le présentateur ou la présentatrice annonce une intervention sur un sujet et sous un angle donné, et en fait la personne qui prend la parole fait une intervention complètement différente que ce qui a été annoncée ? Eh bien c’est parce que cette personne a menti au standard pour pouvoir passer.

Cette sélection des gens à qui on donne la parole, elle se produit dans d’autres émissions et dans d’autres contextes, comme les micro-trottoirs par exemple : les micro-trottoirs, sur toutes les personnes qui sont interrogées, on passe à l’antenne que celles qu’on a envie de passer. Et comme cette sélection est invisible de l’extérieur, ici encore, on a l’apparence du pluralisme, et une parole qui apparaît légitime, puisque celle de Monsieur ou Madame tout le monde, donc en apparence, la parole du peuple.

Ces faux débats, ce faux pluralisme, ça sert à masquer le fait que les médias nous servent en réalité un discours qui va toujours dans le même sens : celui que souhaitent les groupes dominants et le patronat. Un discours qui vise avant tout à légitimer et à protéger l’ordre établi.

Ce discours, à force d’être matraqué du matin au soir et répété en boucle, sans vraie contradiction en face, ça donne l’impression au public d’un point de vue qui serait ultra répandu dans la population, alors que ce point de vue est surtout répandu dans les lieux de pouvoir.

Ce matraquage, même si ça ne convainc pas forcément le public, ça fait quand passer ces idées pour acceptables, ça va faire qu’on se révolte pas contre des trucs qui devraient nous révolter. Si on a l’impression que tout le monde est d’accord avec telle idée ou l’accepte, alors la révolte contre cette idée apparaît pas légitime (hein puisque tout le monde est censé être d’accord avec…), et la révolte apparaîtra surtout pas réaliste, et perdue d’avance.

Et c’est comme ça qu’on nous fait accepter des trucs comme l’idée qu’on aurait pas d’autre choix que de travailler plus pour moins cher, ou l’idée qu’on devrait forcément abandonner certaines libertés fondamentales pour lutter contre le terrorisme.

Donc le rôle des médias, c’est de faire accepter au peuple des politiques dégueulasses, faire que le peuple se révolte pas contre ces idées.