Pour une démocratie directe

Épisode 7 : La démagogie

L’élection : un faux dilemme

Bref il y a énormément de choses dans le principe de l’élection qui contribuent à l’efficacité de la démagogie et de la manipulation, je ne peux absolument pas tout citer.

Mais il reste un dernier truc très important, peut-être le plus important, sur lequel je vais finir : le fait que les gens ne voient pas d’autre alternative que l’élection. On est tou·te·s matrixé·e·s, conditionné·e·s à croire qu’il n’y aurait rien en dehors des élections, et donc on n’envisage même pas qu’il puisse y avoir d’autre système possible et d’autre solution possible que de choisir nos chef·fe·s.

Et ce fait qu’on soit à ce point matrixés et conditionnés, ça entraîne tout le reste, et surtout ça fait que les gens vont s’auto-persuader que leur choix est le bon, et le rationaliser, c’est à dire lui trouver des prétextes.

Imaginez que dans votre vie, à un moment donné, vous vous retrouvez dans une mauvaise situation, une situation tellement mauvaise que vous avez le choix qu’entre que des « mauvaises » alternatives et des « mauvaises » solutions, c’est à dire que tous les choix qui sont devant vous présentent des gros inconvénients (pour vous et peut-être d’autres personnes, votre entourage, etc.). En fait tous les choix face à vous sont tellement mauvais que vous n’arrivez même pas à savoir lequel est le moins pire, mais sauf que vous êtes obligé·e d’en choisir un quand même.

Qu’est-ce que vous pouvez bien faire dans cette situation horrible ? Hé bien d’abord vous allez quand même vous forcer à en choisir un, parce que vous êtes obligé·e comme je l’ai dit, même si vous êtes pas absolument certain·e. Et puis après, vous allez essayer de rationaliser votre choix, de vous rassurez en vous disant que vous avez fait le « meilleur » choix, que les autres étaient sûrement encore pires, même si vous êtes bien conscient·e que le choix que vous avez fait est merdique quand même.

Hé bien pour les élections, c’est pareil. Le modèle électoral nous conditionne à penser que la seule possibilité, ce serait de choisir un·e chef·fe parmi ce qu’on nous propose, et toute la société nous répète ce mensonge en boucle jusqu’à nous le faire avaler et digérer. Et si la seule possibilité, c’est de choisir un chef entre des Sarkozy, Hollande, Le Pen, Macron, Mélenchon, etc., hé bien le seul choix logique et rationnel, c’est d’essayer de trouver la·le moins pire parmi tou·te·s celleux-là. Donc les gens choisissent cellui dont iels se sentent le plus proche (ou le moins loin…), et vont donc naturellement considérer que c’est le « moins pire », même s’iels sont souvent conscient·e·s d’une partie de ses défauts, mensonges, trahisons, etc. Sauf que les autres en face sont aussi des menteurs, des traîtres, des salauds de toute façon hein, faut pas oublier. Donc tout ça aide à fond à relativiser les dégueulasseries de votre propre candidat·e.

Et on peut être en désaccord avec leur choix hein, mais c’est logique que les gens réagissent comme ça, parce que c’est ça, ou pire (de leur point de vue) en face.

Et une fois qu’iels l’ont choisi·e, leur « moins pire », iels vont ensuite rationaliser leur choix (c’est à dire lui chercher des raisons, des prétextes, et des justifications), parce que c’est la seule chose à faire. Et c’est facile de rationaliser, vu qu’en face vous avez des salauds aussi de toute façon. Les fans de Hollande, qui après 2012, ne se sont pas remis·es en cause et ont minimisé la violence de sa politique, iels l’ont fait sous le prétexte que « avec Sarkozy ça aurait été encore pire ». Ce qui est invérifiable bien sûr, mais le fait qu’on ait un choix restreint entre Hollande et Sarkozy, donc entre deux mauvais choix, encourage évidemment à fond cette rationalisation.

Et même si ce qu’il y a en face n’est pas vraiment « pire », c’est quand même des salauds aussi, donc ça permet ici encore de minimiser et de relativiser facilement même les pires trucs.

Je vais prendre l’exemple extrême des fans de Donald Trump. Les fans de Trump, quand iels lisent des critiques sur sa politique d’immigration criminelle, iels répondent « oui mais Obama lui aussi menait une politique violente contre les immigré·e·s ». Hé bien désolé, mais moi je ne vois pas trop comment on peut répondre à ça, tant qu’on reste dans un cadre électoral. C’est vrai que Trump va encore plus loin, et mène une politique encore plus monstrueuse, mais Obama menait déjà une politique dégueulasse, au point qu’il avait été surnommé le « déporteur en chef » par ses opposant·e·s de gauche. Pour donner une idée, l’administration Obama, à elle seule, a déporté plus de sans-papiers que n’importe laquelle des administration précédentes, y compris parfois vers des pays dangereux, en refusant le statut de réfugié·e·s à des gens potentiellement menacé·e·s. Exactement comme le gouvernement « socialiste » des Valls, Cazeneuve et Hollande en fait, qui a expulsé autant ou plus que Sarkozy avant elleux, ont légalisé l’enfermement des enfants, etc. Et si ça avait été Hillary Clinton qui était arrivée au pouvoir à la place de Trump, il y a aucune raison de douter qu’elle aurait elle aussi poursuivi la même politique dégueulasse qu’Obama. Probablement moins monstrueuse que celle de Trump hein, mais dégueulasse quand même, il n’y a aucun doute.

Attention, comprenez-moi bien : ça n’excuse absolument pas les fans de Trump, en particulier ceux qui défendent carrément cette politique, et prônent même d’aller encore plus loin. Ça n’excuse pas, mais ça explique par contre. Ça explique comment iels peuvent en arriver là, à accepter des choses aussi abominables : parce que la « seule » alternative qu’on leur propose, les démocrates, ne sont pas énormément différent·e·s, et quand iels étaient au pouvoir, n’ont pas mené une politique tellement différente, juste à peine moins violente. Donc ça, ça aide énormément l’électorat de Trump à minimiser la violence extrême de sa politique, et à la percevoir comme acceptable. Et c’est logique, tant qu’on ne sort pas du cadre électoral, avec l’impression d’avoir le choix qu’entre juste les Démocrates et les Républicains : puisque le seul choix alternatif à la politique criminelle de Trump, c’est une politique juste un tout petit peu moins criminelle, ça ne peut qu’aider ces gens-là à relativiser.

Je vais prendre un dernier exemple : imaginez que vous ayez une discussion avec un militant sincère de la France Insoumise (par exemple, puisque c’est la principale force de « gauche » actuellement en France). Vous pourrez avoir les meilleurs arguments du monde pour essayer de le convaincre que les cadres de son partis sont des pourris, démontrer comment les Mélenchon, Ruffin, etc. sont des salauds sans scrupules, ont déjà menti, trahi, etc. Même si votre militant est sincère et vraiment critique de sa propre formation politique, et qu’il admet que vos arguments sont valables, il vous répondra : « Et alors ? Et alors, qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? Est-ce que vous préférez encore 5 ans de Macron ? Ou Le Pen à la place ? Non, donc on a pas d’autres choix de voter pour la FI, même si c’est elle est critiquable. »

Et en fait, je suis d’accord avec lui. Malgré toute ma détestation de Méluche, Ruffin et compagnie, je pense que c’est objectivement « moins pire » que Macron ou Le Pen. Tant qu’on reste limité au seul choix du chef, ce militant aurait raison, et quelle que soit la qualité de vos arguments, vous n’arriverez pas à le convaincre, tant que vous n’arrivez pas à démontrer qu’on a d’autres alternatives que ce seul choix du chef.

Vous voyez où je veux en venir ? La foi qu’on a dans l’élection, la confiance qu’on a dans le principe de l’élection, nous enferme en fait dans un faux dilemme. Tant qu’on reste enfermé dans cette illusion qu’on n’aurait que la possibilité de choisir un·e chef·fe ou un·e autre, on est dans une fausse « alternative » réductrice qui nous empêche d’envisager d’autres possibilités. On n’a pas vraiment d’autre choix que de chercher un·e « moins pire », et ensuite de s’y tenir, de rationaliser notre choix, c’est une réaction normale et inévitable. Et donc on va forcément s’auto-convaincre que c’est pas un mauvais choix, même si c’en est objectivement un. On s’auto-convainc que c’est acceptable parce que tous les autres choix sont pires, et donc il faut forcément que ce soit acceptable.

Ça n’excuse pas tout encore une fois, mais ça explique peut-être (en partie) comment on en arrive-là, et comment la masse de la population arrive à s’auto-persuader de voter pour des crapules, mandat après mandat. La démagogie et les manipulations ne peuvent que fonctionner, d’une façon ou d’une autre, puisqu’il faut en choisir un·e, donc on va ne peut qu’accepter de se laisser convaincre par l’un·e ou par l’autre.

Donc cet aveuglement, il est dû au fait qu’on n’envisage pas d’autre possibilité que d’élire des gens, à cette idée que les élections seraient la seule solution, et qu’il y aurait rien d’autre de possible en dehors des élections. C’est pour ça que c’est tellement important de convaincre les gens que les élections sont une arnaque, et pourquoi, et de convaincre qu’il existe des alternatives possibles : c’est la condition pour que la masse des gens puissent commencer à accepter que même « leur » candidat de choix, même leur « moins pire », est pourri aussi, et n’est pas une vraie solution. C’est la condition pour que la masse des gens commencent à envisager d’autres modes d’action, comme la lutte et la grève, et le rapport de forces avec l’État.

Voilà, c’est tout pour cette série sur la démagogie, qui n’était pas du tout trop longue contrairement à une idée reçue. Dans les prochains épisodes je ne sais pas encore de quoi on parlera, mais on en parlera, c’est promis.

À bientôt.