Pour une démocratie directe

Épisode 2 : Les médias et l’élection

Le racisme des médias

Et le problème se pose pas seulement avec le capitalisme, mais en fait dès que l’ordre établi est contesté : les médias vont être présents pour légitimer l’ordre établi dans tous les domaines, par exemple l’ordre raciste

Quand la police commet des violences racistes, les médias n’en parleront pas ou peu, et s’ils en parlent, ils reprendront toujours la version policière sans la questionner (alors qu’on sait que ça arrive quand même régulièrement à des flics de mentir, et donc qu’il faudrait au minimum pas présenter tout ce qu’ils disent comme une vérité établie…)

En juillet 2016, quand Adama Traoré est mort à la suite de son interpellation par la gendarmerie, et que sa famille organise un rassemblement de soutien pour exiger la vérité et la justice sur sa mort, rassemblement de soutien qui rassemble plus de 600 personnes, le journal de France 2 va consacrer que 23 secondes au sujet (dans sa rubrique « en bref »), alors que le même journal venait de passer plus d’un quart d’heure au total à parler de sujets futiles comme les bouchons sur les routes ou une recette de cuisine de l’île d’Oléron. Et sur ces 23 pauvres secondes de temps d’antenne, France 2 arrive à mentir plusieurs fois, notamment en affirmant que la justice aurait déjà conclut qu’il y avait eu aucune violence policière, alors que la « justice » avait encore rien tranché du tout.

Autre exemple, lors de la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré en 2005, deux adolescents qui s’étaient cachés dans un transformateur EDF pour échapper à une course-poursuite avec la police, et que les flics avaient laissés sans assistance, alors qu’ils se doutaient qu’ils étaient allés sur le site EDF, la version officielle était mensongère : la police avait prétendu qu’il y avait pas eu de course-poursuite, et avait carrément accusé les deux adolescents d’avoir commis un cambriolage avant l’intervention (ce qui était complètement faux). Cette version mensongère avait été reprise jusqu’au plus haut niveau de l’État, par le ministre de l’intérieur d’alors, N. Sarkozy. Eh bien cette version fausse a aussi été reprise et diffusée sans la questionner par les médias pendant près d’une semaine, alors que dès le début il y avait des éléments qui montraient que c’était faux, et que les flics avaient menti pour se couvrir. C’est d’ailleurs ce mensonge repris par tout le monde qui avait été la cause des émeutes de l’année 2005.

Pareil en Amérique : en 2014 par exemple il y a des émeutes dans la ville de Ferguson, au Missouri, suite à la mort de Michael Brown, un jeune homme noir abattu par un policier blanc. Eh bien au début les médias américain ont très peu parlé des manifestations. Ils ont vraiment commencé à parler des manifestations que parce que deux journalistes qui couvraient le truc avaient été arrêtés par la police sur place… et les médias ont parlé limite plus de ces deux journalistes arrêtés que de la mort de Michael Brown ou des manifestations en elles-mêmes.

Mais c’est pas seulement le racisme de la police qui est passé sous silence dans les médias, mais le racisme de toute la société et dans toutes les institutions, ce qui est illustré par exemple par le traitement médiatique de certains drames dans le domaine de la santé. Le 29 décembre 2017 à Strasbourg, une jeune femme noire de 22 ans, Naomi Musenga, meurt quelques heures après avoir appelé le SAMU, parce que l’opératrice qui lui avait répondu s’était moqué d’elle, et avait refusé de lui envoyer une ambulance, malgré qu’elle l’ait suppliée. Sa mort a déclenché une vague d’indignations sur Twitter, mais aussi une vague de témoignages d’internautes qui dénoncent le racisme dans le milieu médical en général, et notamment le cliché du « syndrome méditerranéen », un préjugé raciste très répandu en médecine, comme quoi les Noir·e·s et les Arabes auraient tendance à se plaindre tout le temps et à exagérer leurs souffrances pour qu’on s’occupe d’eux avant les autres. Ce cliché est responsable d’énormément de mauvais traitements des personnes noires et arabes par le corps médical, voire d’absence de traitements tout court, avec parfois des conséquences dramatiques, comme la mort de Naomi Musenga donc, ou, autre exemple, en 2014, la mort d’un jeune garçon de 10 ans à l’hopital de Saint-Denis, après un autre refus du SAMU d’intervenir. Donc après la mort de Naomi Musenga, des centaines d’internautes témoignent sur les réseaux sociaux pour dénoncer des mauvais traitements de ce type dont iels ont été victimes, ou témoins, pour montrer que c’est pas exceptionnel, mais au contraire très fréquent.

Du coup cette affaire, ça aurait pu, et ça aurait dû, être l’occasion de parler de ce problème de racisme dans le milieu médical. Mais quand les médias sont finalement obligés de parler du drame (à cause du scandale sur Twitter), ils ne parlent absolument pas de racisme, mais tentent au contraire de cacher cette question du racisme, en donnant une autre interprétation à ce drame, en faisant comme si c’était un dysfonctionnement « classique » du SAMU, qui serait dû à un manque de moyens et au stress de l’opératrice. Or bien sûr qu’il y a des manques de moyens dans le SAMU, on le sait, et ça pose des vrais problèmes, mais là c’est pas le sujet. Dans ce cas particulier, c’est vraiment une question de racisme : l’opératrice savait qu’elle avait une personne noire au bout du fil (à cause de son nom de famille, et de son accent), et ça a évidemment pu jouer sur son absence d’empathie…. Donc au minimum les médias auraient évoquer cette hypothèse du racisme, même au conditionnel. Mais sur toute la couverture médiatique de ce drame, aucun média n’en parlera jamais.

Et c’est pas les seul exemples : les médias vont sauter sur le moindre fait divers pour stigmatiser et faire des amalgames, ou encore vont faire des sujets à charge (et souvent mensongers) sur les quartiers populaires.

À l’été 2015 par exemple, il y avait eu une polémique sur « l’affaire du bikini de Reims », où on nous avait dit qu’une jeune femme s’était faite agressée dans un parc de Reims parce qu’elle portait un bikini par plusieurs jeunes musulmanes. Là branle-bas de combat et polémique nationale, tous les médias montent le truc en épingle pour nous expliquer que les musulmans sont intolérants et menacent nos libertés… sauf qu’en réalité l’agression était pas pour des motifs religieux, mais une simple bagarre due à une remarque sur le physique d’une des personnes… Bref rien à voir avec l’Islam, mais comme des participantes de cette bagarre étaient musulmanes, c’est l’interprétation qui avait été donnée. D’ailleurs la plupart des médias ont pas publié de rectificatif ou présenté des excuses après coup, il faudrait pas exagérer non plus.

Autre exemple : en décembre 2016, France 2 avait diffusé un reportage sur un café PMU à Sevran supposément « interdit aux femmes » à cause de la montée de l’intégrisme religieux (comprendre : de l’Islam…). Là aussi ça avait fait une grosse polémique pour les mêmes raisons… sauf que ce reportage avait en fait été complètement bidonné, ce qui a été révélé par une contre-enquête du Bondy Blog, qui montrait que les femmes étaient les bienvenues dans ce café et qu’il y avait même des clientes régulières et habituées…, mais France 2 a toujours refusé de fournir les rush du reportage, et a pas jugé bon de diffuser de rectificatif ni de présenter des excuses non plus…

Plus généralement, les médias vont globalement attiser la haine et le racisme, de plein de façons différentes. Ils vont employer des termes qui donnent l’impression qu’il y aurait trop d’immigré·e·s, comme « afflux massif » ou « arrivée massive » de migrant·e·s, ou encore « crise des migrant·e·s », qui donnent l’impression que les crises humanitaires qui se produisent à certains endroits (par exemple à Calais), seraient dues au trop grand nombre de migrant·e·s, alors qu’elles sont dues à l’absence de politique d’accueil, et à la répression violente menée par l’État.

En plus de ça, les médias vont carrément critiquer et dénigrer celles et ceux qui se mobilisent contre le racisme et les violences racistes, et essayent de s’organiser contre, et notamment les militant·e·s antiracistes non-blanc·he·s.

À l’été 2016 en France a eu lieu le premier Camp d’été décolonial en non mixité : un camp d’été avec des formations sur la question du racisme, organisé par des personnes non-blanches, et réservé aux victimes de racisme (donc aux non-blanc·he·s). Cette non-mixité, dans un monde où les rapports de domination sont partout et où le racisme est partout, c’est une nécessité : ça permet d’avoir des moments où seuls les personnes concernées par une oppression sont présentes, et vont pouvoir échanger entre elles plus tranquillement et dans des meilleures conditions, parce qu’elles ont vécu grosso-modo la même chose, et que du coup elles vont pas être obligées sans arrêt de faire de la pédagogie auprès des personnes qui ne l’ont pas vécu, ou de rassurer ces personnes.

Donc ce camp d’été décolonial s’est fait descendre en boucle par à peu près tous les médias, qui ont insisté sur le fait que ce camp était « interdit aux Blancs », en disant (ou en sous-entendant) que ce serait du « racisme à l’envers » ou du « racisme anti-blanc » (avec beaucoup de guillemets). Ce qui est évidemment pas le cas, parce qu’il y a pas d’équivalence possible entre la non-mixité ponctuelle, et le racisme. Ici, la non-mixité, ça implique que des Blanc·he·s ne peuvent pas participer à certains évènements antiracistes non-mixtes une ou deux fois dans l’année, mais c’est tout, et on peut d’ailleurs aller à d’autres événements antiracistes mixtes lorsqu’il y en a. Donc ça ne nous nuit absolument pas en tant que Blanc·he·s, on va s’en remettre. À l’inverse, le racisme, le véritable racisme, c’est des discriminations systématiques à l’embauche, des discriminations au logement, des discriminations dans l’accès aux soins, des moqueries ou des insultes tous les jours, des agressions physiques, des contrôles aux faciès, des violences policières systématiques (voire même des meurtres par la police parfois), etc.

Donc il y a absolument pas d’équivalence possible entre la non-mixité et le racisme, ça n’a rien à voir, mais les médias la font quand même. Et le but de cette fausse équivalence, c’est de décrédibiliser celles et ceux qui s’organisent : les victimes de racisme qui tentent de s’organiser pour lutter contre ce racisme, se retrouvent elles-mêmes accusées d’être racistes, pour les bâillonner ! Et évidemment, tout ça se fait sans jamais inviter les organisatrices du camp d’été en question pour qu’elles puissent expliquer leur démarche, on va quand même pas permettre aux gens sur qui on crache de se défendre, il faudrait pas exagérer.

À l’inverse de ça, les médias vont par contre donner énormément la parole à des réactionnaires, à des racistes, et à des personnalités d’extrême-droite de tous poils (les Zemmour, Le Pen, Valls, et compagnie…), qui vont pouvoir étaler leur haine tranquillement, souvent à des heures de grande écoute, et sans réelle contradiction en face. Et si on donne la parole à ces gens, c’est d’une part par volonté de diffuser les idées racistes donc, dans le prolongement de tout ce que je viens de dire, mais aussi, tout simplement, pour l’audience que ça va générer. Les médias cherchent toujours à faire de l’audience, c’est leur raison d’être, parce que c’est ça qui fait les revenus publicitaires. Et ces gens-là en fait, iels font de l’audience parce qu’iels choquent. Iels savent comment choquer en fait, parce que c’est des polémistes professionnels, des gens qui, au cours de leur carrière, ont en quelque sorte perfectionné l’art de dire et de sous-entendre des trucs dégueulasses sans jamais prononcer les mots qui leur vaudraient interdiction.

Plutôt que de dire directement que les Arabes et les Noirs sont tous des voleurs, ce qui est trop ouvertement raciste, et leur vaudrait des condamnations pénales et des interdictions d’antennes, iels vont formuler ça autrement, et dire la même chose, mais de manière indirecte et sous-entendue. Iels vont prétendre que les chiffres de la délinquance sont plus élevés dans tel quartier où il y a beaucoup de personnes d’origine africaine, ou insister sur le fait qu’il y aurait eu plus d’agressions ou de vols à tel endroit depuis que tel campement de réfugiés ou de Rroms s’est installé dans le coin. Ça reste complètement raciste hein, et les chiffres cités sont d’ailleurs généralement approximatifs, voire carrément faux, ou sortis du contexte, ou encore s’expliquent par d’autres causes et d’autres facteurs que l’explication simpliste qu’iels en donnent. Mais tout ça, on s’en fout, parce que l’important c’est pas la vérité. L’important c’est que ça rentre dans le cadre du « débat » politique et de la fameuse « liberté d’expression », et ça nécessite d’ailleurs du temps et des efforts de déconstruire ces mensonges et ces manipulations… Du coup, toute cette provoc, ça va générer des débats, et faire parler d’elleux, donc leur faire de la pub en fait, et faire de la pub aux émissions dans lesquelles iels vont, et c’est pour ça qu’on les invite. Autrement dit, ces professionnels de la provoc, iels vont générer beaucoup d’audience pour pas cher, parce ce qui choque, ce qui est polémique, ça fait que les gens regardent, qu’iels soient d’accord avec ou pas. Ces polémistes-là, c’est ce qu’on appelle des « bons clients » médiatiques : des gens qui garantissent plus ou moins de faire de l’audience, et du coup on va les inviter et les réinviter, parfois sous prétexte de déconstruire leurs arguments, mais peu importe, parce que l’important c’est qu’on les invite quand même, et qu’on leur donne donc des tribunes pour étaler leurs idées.

Bref j’ai cité ces quelques exemples, mais il y en a beaucoup d’autres : les médias de masse sont racistes, nous montrent une vision raciste du monde, et vont banaliser les idées racistes autant qu’ils peuvent en les reprenant en boucle.