Pour une démocratie directe

Épisode 2 : Les médias et l’élection

Les médias au service du patronat

Bonjour tout le monde.

Bienvenue dans un nouvel épisode de cette série consacrée aux élections.

Dans cet épisode, on va reparler des médias.

C’est un sujet qui a été abordé vite fait à la fin de l’épisode précédent, mais c’est important de l’approfondir un peu, parce que les médias, et notamment les médias de masse, vont avoir un pouvoir considérable et une influence considérable sur la politique, vu qu’ils sont la principale source d’informations de la population. Du coup, les médias vont conditionner, et orienter les choix politiques de l’ensemble de la population (par exemple au moment des élections, comme on l’a vu), tout simplement parce qu’on fait nos choix selon les informations qui nous parviennent.

Ce qui est dit dans les médias va aussi changer la façon dont le public va percevoir la politique menée par les élus : selon ce qui en est dit, et selon les informations qui sont, ou non, relayées, le public va en avoir une impression plus ou moins positive.

Les médias permettent donc de faire accepter à la population les politiques menées par le pouvoir en place, et donc ces médias vont être un enjeu stratégique pour l’ensemble de la classe dominante, qui voudra forcément les avoir à son service.

Pouvoir politique et médias : la connivence

Alors déjà, le pouvoir politique, évidemment, va essayer d’avoir le plus de contrôle possible sur les médias : ça peut être par des lois qui donnent plus de temps de parole au(x) parti(s) au pouvoir, ou encore des lois qui permettent de contrôler directement l’information diffusée, comme la future loi sur les « fake news » par exemple, qui sera probablement un outil pour censurer plus facilement les informations qui ne vont pas dans le sens de la thèse officielle

Autre possibilité, la nomination à des postes clés dans l’audiovisuel public de personnalités dévouées et dociles.

Quand Nicolas Sarkozy choisit de nommer lui-même le président de France Télévisions en 2010, c’est exactement ça : c’est pour avoir des gens qui lui sont favorables à la tête de la télé publique. D’ailleurs, son successeur, François Hollande, a fait exactement la même chose pendant son mandat : désigner une nouvelle présidente de France Télévisions qui lui soit plus favorable, mais en passant cette fois par le CSA.

Et ça c’est que quelques exemple très visible parmi beaucoup d’autres qui le sont moins, et il y a pas mal de liens entre la classe politique et le monde des médias en général, que je vais pas forcément détailler ici par manque de temps, mais qui sont illustrés par exemple par la remise de décorations comme la légion d’honneur ou l’ordre du mérite à de nombreuses personnalités médiatiques et journalistes, dont (entre autres) Alain Duhamel, Philippe Labro, Jean-Pierre Elkabbach, Élise Lucet, Anne Sinclair, Jean-Jacques Bourdin, Christophe Hondelatte, Jean-Luc Hees, Éric Brunet, Sylvie Pierre-Brossolette, Jean Amadou, Mireille Dumas, Patrick Poivre d’Arvor, Yves Calvi, Isabelle Giordano, et plein d’autres.

Donc ça fait quand même pas mal de monde, et le fait qu’il y ait autant de personnalités connues des médias à qui des membres du gouvernement proposent ce genre de décorations, et surtout, le fait qu’il y en ait autant qui les acceptent, donne une petite idée du niveau de connivence général entre les politiques et les médias.

La mainmise du pouvoir économique sur les médias

Voilà pour l’influence du pouvoir politique sur les médias, mais en plus de ça, il y a aussi et surtout une mainmise totale du pouvoir économique sur l’ensemble des médias.

Les médias privés, soumis à leurs actionnaires

D’abord sur les médias privés, puisque les médias privés sont tout simplement soumis hiérarchiquement à leurs actionnaires, et que ce sont les actionnaires qui vont fixer la ligne éditoriale, et qui peuvent virer les gens qui seraient trop critiques ou pas dans le ton souhaité.

Ici encore pas mal d’exemples illustrent ça, comme quand Vincent Bolloré rachète Canal+, puis va supprimer les émissions qu’il aime pas, ou quand il fait déprogrammer un documentaire sur l’évasion fiscale qui concernait le Crédit Mutuel, un partenaire financier important du groupe Bolloré.

Autre exemple, à Libération cette fois, au changement d’actionnaire en 2014, les journalistes se voient obligés de signer une clause de non-dénigrement, qui leur interdit à l’avenir d’écrire la moindre critique de leurs nouveaux actionnaires.

Mais en général ces pressions explicites vont devenir rapidement superflues, et les médias privés vont prendre l’habitude de s’autocensurer pour ne pas nuire à leurs propriétaires, par exemple en évitant de parler des problèmes judiciaires que ceux-ci peuvent avoir.

En 2014, quand le sénateur et marchand d’armes Serge Dassault est mis en examen pour achat de votes à Corbeil-Essonnes, eh bien le seul grand journal qui n’en parle pas, c’est Le Figaro, propriété de… Serge Dassault. Même chose en 2015, quand TF1 fait un sujet sur le nucléaire, mais « oublie » de parler des ratés de l’EPR en France, et notamment du procès de sa maison-mère Bouygues pour travail dissimulé lors de la construction de l’EPR de Flamanville.

Et tout ça c’est que quelques exemples parmi beaucoup d’autres, mais ça montre que la prétendue indépendance des rédactions est complètement illusoire, et que ces médias sont presque intégralement soumis à leurs actionnaires.

La concentration des médias privés

En plus de ça, la concentration des médias est très importante, et même s’il y a beaucoup de titres différents en apparence, ils vont appartenir en fait à très peu de monde au final.

En France, en 2016, la quasi-totalité des médias généralistes était la propriété de moins de 20 grands groupes (dont Lagardère, Dassault, Bouygues, Hersant médias, Bolloré, LVMH, etc.), et même chose, voire pire dans d’autres pays, par exemple aux USA où 90% des médias appartiennent à seulement 6 grandes corporations (General Electric, Newscorp, Disney, Viacom, Time Warner et CBS).

Donc il y a une illusion de pluralisme : en apparence il existe pas mal de chaînes de télé, stations de radio, et titres de presse différents (notamment avec la presse locale), mais en réalité tous ces médias différents appartiennent au final à une poignée de personnes seulement.

La dépendance aux revenus de la publicité

Et si jamais certains titres n’appartiennent pas directement, il reste d’autres moyens possibles de faire pression, par exemple par la dépendance aux revenus de la publicité. Les grandes entreprises font souvent partie des gros annonceurs, et donc même sans être actionnaires, elles financent directement d’autres médias, et peuvent donc avoir des moyens de pression.

En 2011, le groupe EDF (Électricité de France), est mécontent d’un article sur le nucléaire publié dans le journal La Tribune, et décide, en représailles, de retirer toute publicité dans le journal jusqu’à la fin de l’année, pour une somme de plusieurs dizaines de milliers d’euros au total, alors que le journal était déjà en difficulté financière.

Idem en 2015, quand le milliardaire Vincent Bolloré décide de retirer 7 millions d’euros d’investissements publicitaires dans le journal Le Monde, en sanction de deux articles publiés à son sujet dans le quotidien qui lui ont déplu.

Les pressions judiciaires

Enfin, s’il y a des journaux qui sont trop critiques, et qu’il est impossible d’acheter, par exemple de la presse indépendante, eh ben il est toujours possible de leur faire des procès pour les intimider.

Ici encore on a l’exemple de Vincent Bolloré, décidément très attaché à la liberté de la presse, puisqu’il a intenté plusieurs procès en diffamation au site de presse Bastamag, pour des articles dénonçant notamment l’accaparement des terres en Afrique par le groupe Bolloré.

Or ces procès ont pas forcément besoin d’être gagnés par l’entreprise pour être efficaces, puisque le but est avant tout de tuer son adversaire par la procédure judiciaire. C’est à dire que, quoi qu’il arrive, le coût en frais judiciaires pour un petit journal comme Bastamag va être tellement élevé, et le coût de perdre un procès pour le groupe Bolloré va être tellement dérisoire par rapport à son budget, qu’un grand groupe peut comme ça tenter de baîllonner complètement des sites de presse indépendants, même s’il a juridiquement tort.

Les médias publics

Les médias privés sont donc largement soumis à leurs actionnaires et aux annonceurs, et donc au patronat, mais les médias publics sont loin d’être épargnés, et on va voir qu’ils sont tout aussi soumis au pouvoir économique, même si c’est par des mécanismes un peu différents.

Les salaires

Déjà parce que même dans les médias publics, la plupart des présentateurs·trices, et des gens qui vont avoir un pouvoir de décision important en général, vont très souvent avoir des revenus confortables, voire très confortables, qui font que ces personnes-là vont, au cours de leur carrière, avoir le temps de constituer un patrimoine assez important, et donc avoir des intérêts plus proches de ceux de l’élite économique que de la majorité de la population.

On parle par exemple de revenus qui se chiffrent en dizaines de milliers d’euros mensuels pour des gens comme David Pujadas, Laurent Delahousse, Yves Calvi, ou Laurent Ruquier par exemple, et donc on est très largement au dessus des revenus de la majorité de la population.

Les ménages

Autre problème, beaucoup de ces personnalités sont en situation de conflit d’intérêts à cause de ce qu’on appelle les « ménages ».

Si vous n’avez jamais entendu parler des « ménages » dans les médias, c’est le fait, pour des personnalités médiatiques (comme des journalistes, des présentateurs ou présentatrices, experts divers), de mettre leur notoriété au service d’entreprises privées, contre rémunération évidemment. Par exemple, un journaliste qui va aller animer un événement ou un gala pour le compte d’une entreprise privée.

Or, ces ménages sont une pratique extrêmement répandue, et pour des sommes qui sont parfois rondelettes. On sait par exemple que des gens comme Christine Ockrent ont fait des ménages pour 18 000 euros la demi-journée, ou que François Lenglet, dont j’ai déjà parlé précédemment, l’économiste en chef à France 2, a lui aussi animé des conférences pour des entreprises privées, au tarif de 8 500 euros la conférence et ce alors qu’il était déjà chef du service économie de France 2…

On peut citer parmi les gens qui ont fait des ménages, des personnalités comme Jacques Attali, Michel Cymes, Stéphane Bern ou Laurent Ruquier, pour citer juste certains des plus connus, donc pas que des journalistes, mais aussi divers « expert·e·s » ou chroniqueurs·euses, qui sont invité·e·s assez souvent à commenter l’actualité ou l’économie sur les différentes chaînes.

En fait, les ménages sont une pratique quasiment généralisée, et l’ensemble des personnalités des médias sont concernées, même si tous ces gens-là préfèrent pas trop en parler en public, parce que évidemment ça remet en cause complètement leur crédibilité et leur indépendance. Le fait de recevoir des sommes aussi importantes de la part d’acteurs privés, en parallèle à leur travail (qui est censé normalement être d’informer), ça peut évidemment avoir un impact dans la façon dont elles font leur travail de journalisme et d’information.

Peut-être d’ailleurs que ces sommes ne viennent pas sans contreparties, même si c’est des contreparties implicites. On peut imaginer que ces personnalités-là n’auraient pas ce genre d’opportunités aussi lucratives si jamais elles étaient critiques du patronat ou du système économique capitaliste. Donc ces ménages, on peut aussi les voir comme une forme de récompense pour des gens qui défendent bien le système économique en place.

Un « mercato » des « stars » du journalisme

Donc beaucoup de personnalités médiatiques sont en situation de conflit d’intérêts permanente à cause de ces ménages.

Mais même sans ça, ces personnalités ont de toute façon intérêt à protéger leur carrière sur le long terme.

Or, au cours de leur carrière, ces personnalités vont être amenées à changer de média de temps en temps, en passant par la radio, la télévision ou la presse écrite, et à bosser pour des médias publics comme privés, parce qu’on va leur proposer des opportunités de carrière plus intéressantes… En fait à chaque nouvelle saison médiatique, il y a une sorte de mercato des personnalités des médias, où les chaînes de télé et stations de radio vont s’échanger leurs meilleurs éléments. Du coup, même lorsqu’elles travaillent sur les médias publics, ces personnalités ont tout simplement intérêt à ne pas critiquer de potentiels futurs employeurs, et au contraire, à faire ce que le patronat attend d’elles.

Les journalistes sont-iels vraiment « de gauche » ?

Voilà quelques unes des raisons pour lesquelles la ligne éditoriale des médias est très largement fixée par le patronat. Il y en a d’autres, que je vais pas plus développer ici, mais si le sujet vous intéresse, je vous conseille le documentaire « Les nouveaux chiens de garde » (2012), ou vous pouvez aussi aller faire un tour sur le site d’ACRIMED par exemple.

Notez qu’il arrive qu’il y ait des exceptions, quelques journalistes ici ou là avec des convictions et une vraie déontologie malgré tout, qui font des articles ou des sujets de qualité, et que ces sujets soient quand même publiés ou diffusés. Mais c’est des exceptions, et globalement les médias servent la soupe patronale.

C’est aussi pour ça que quand on nous dit que les journalistes seraient majoritairement de « gauche », c’est juste pas pertinent, et ça nous dit rien sur les médias en général. Pourquoi ? parce que c’est pas la majorité des journalistes qui fixent la ligne éditoriale de leur média respectif, mais principalement les actionnaires, les annonceurs, et quelques éditorialistes ou « stars » de l’audiovisuel qui ont un revenu très élevé et des intérêts qui vont avec. Tout comme les ouvriers qui sont peut-être majoritairement de gauche, mais qui ont pas vraiment d’autre choix que de faire ce que leur patron leur ordonne, les journalistes sont des exécutant·e·s, iels font ce qu’on leur demande, pas forcément ce qu’iels auraient envie de faire.