Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans un nouvel épisode de cette série politique sur les élections.
Dans l’épisode précédent, on avait parlé des intérêts des élu·e·s, et on avait vu en gros que les élu·e·s avaient des intérêts forcément différents de ceux du reste de la population, pour plein de raisons mais surtout à cause de leur position d’élu·e·s.
Dans l’épisode d’aujourd’hui, on va parler de la corruption, et on va voir qu’elle est beaucoup plus importante que ce qu’on pense habituellement.
Vous savez qu’on nous dit souvent que la corruption serait rare, voire exceptionnelle même, et qu’elle concernerait surtout pas toute la classe politique, mais juste quelques mauvais éléments pas représentatifs de l’ensemble, et qu’il faudrait surtout pas faire des généralités, ce serait « démagogique ». Eh bien on va voir que c’est pas du tout le cas, et que c’est même le contraire : en fait la corruption est absolument généralisée, et elle concerne, sinon l’ensemble de la classe politique, mais au minimum la majorité des élu·e·s, à divers degrés. Et cette corruption, elle fait que les élu·e·s sont largement dépendant·e·s du patronat, et complètement soumi·e·s au patronat pendant leur mandat. (vous inquiétez pas j’avance pas ce genre d’accusations sans preuves, vous allez voir, et je vais démontrer ça plus loin.)
Mais déjà, pour commencer, je voudrais faire un petit rappel vite fait sur un aspect de la dépendance des élu·e·s au patronat qu’on a déjà vu : le financement des campagnes électorales.
J’en avais déjà parlé vite fait aussi : selon le budget de votre campagne, vous avez évidemment pas du tout les mêmes chances d’être élu·e. Plus de budget, ça veut dire plus de matériel de propagande (comme des tracts, affiches, etc.), mais aussi du matériel de meilleure qualité (plusieurs pages, tracts en couleur, sur papier glacé, présenté de manière plus « professionnelle »…), ce qui compte en fait vachement pour donner une impression de sérieux et de professionnalisme de quelqu’un capable de diriger une circonscription ou un pays. Plus de budget ça veut dire également la possibilité de faire plus de déplacements, d’organiser des grands meetings pour donner l’impression d’un grand soutien populaire, de rembourser éventuellement les militant·e·s de leurs frais d’essence ou de leur tickets de bus quand iels vont faire votre campagne un peu partout, voire même de payer des colleurs·euses d’affiches professionnel·le·s, de payer des professionnel·le·s du marketting pour réaliser vos clips de campagne, ou même de commander des sondages d’opinion réguliers pour essayer d’orienter au mieux vos prises de parole pour satisfaire au mieux votre base électorale et « optimiser » en quelque sorte vos chances d’être élu·e, et plein d’autres trucs.
Bref, même si le budget de campagne ne suffit pas à lui seul à faire la victoire, il donne quand même un gros avantage dans la course électorale.
Sauf que cet argent qui finance les campagnes électorales, il sort pas de nulle part, mais vient de donateurs·trices privé·e·s, et ça crée déjà une dépendance des élu·e·s au patronat, parce que évidemment, dans un système capitaliste, celleux qui ont l’argent, c’est les patron·ne·s.
En France, pour le financement des partis politiques par des particuliers, on a une limite théorique de 7 500 € de dons par personne et par an pour un même parti. Sauf que cette limite a longtemps été contournable grâce à la magie des micro-partis et des transferts de fonds : pour simplifier, plusieurs personnalités politiques du même parti pouvaient chacune créer leur micro-parti, et n’importe quel·le donateur·trice pouvait donner 7 500 € à chacun de ces micro-partis, qui ensuite allaient tous reverser l’argent au parti principal, et hop magie, comme ça une même personne pouvait donner plusieurs dizaines de milliers d’euros pour financer une même campagne électorale. Et évidemment si vous avez financé une campagne à hauteur de plusieurs dizaines de milliers d’euros, les élu·e·s de ce parti, une fois au pouvoir, iels vous seront redevables pour ça, et peut-être même qu’iels seront prêt·e·s à vous rendre quelques services.
En plus, ce qui est « marrant », c’est que ces dons sont financés par un énorme avantage fiscal, de 66 % (donc les deux tiers du don), ce qui veut dire que concrètement, celleux qui financent ces partis, l’État leur rembourse en fait les deux tiers de leur don. Autrement dit, les donateurs·trices privé·e·s ne payent en réalité qu’un tiers de l’argent qu’iels donnent, et le reste est de l’argent public ! Mais attention hein, ça marche seulement pour les gens suffisamment riches pour être imposables, et donc pour bénéficier du crédit d’impôt, faudrait pas déconner non plus, et risquer d’aider les pauvres à financer leurs partis politiques quand même…
Ici encore on a plein d’exemples qui illustrent ça : le dernier en date c’est le parti En Marche d’Emmanuel Macron, qui avait récolté 13 millions d’euros de dons privés en tout en à peine un an (entre sa création en mars 2016, et l’élection présidentielle de mai 2017). Eh bien sur ces 13 millions d’euros de dons, on sait aujourd’hui que presque la moitié du fric en tout (soit 6.3 millions d’euros) venait d’un tout petit nombre de personnes : à peine quelques centaines de donateurs·trices très favorisé·e.s, mais qui ont tou·te·s fait des dons très importants, supérieurs à 5 000 euros chacun ! Donc cet exemple il montre bien à quel point les partis politiques dépendent du fric de la bourgeoisie et du patronat pour gagner les élections, mais c’est pas non plus une nouveauté : avant ça, l’UMP de Sarkozy avait par exemple créé une sorte de club V.I.P réservé aux donateurs·trices les plus généreux·ses, celleux qui donnaient plus de 3 000 €, et dont les contributions représentaient quand même à elles seules un cinquième des dons récoltés par le parti au total.
Notez qu’en plus du soutien financier, il peut y avoir aussi d’autres moyens de soutenir une candidature, par exemple en fournissant un soutien logistique. C’est ce qui s’est passé en 2016, quand Emmanuel Macron a créé son parti politique En Marche, eh bien ce parti a d’abord été hébergé au domicile privé du directeur de l’Institut Montaigne… l’un des principaux clubs patronaux français.
Autre exemple : le Front National, qui s’est retrouvé en grandes difficultés financières juste après les élections présidentielles de 2017, hé bien ce parti a été sauvé de la banqueroute par un prêt de 8 millions d’euros du millionnaire Laurent Foucher, un homme d’affaires français proche de Claude Guéant et qui a des intérêts en Afrique.. Inutile de dire que cet argent-là, ici aussi, ne vient sûrement pas sans contrepartie, et le fait de prêter autant d’argent à un parti en difficultés financières, ça rend évidemment ce parti redevable et dépendant de son créancier par la suite.
Sinon, le soutien du patronat à des candidatures peut aussi se faire de manière plus détournée, vu l’impact économique important qu’ont les entreprises sur la société. En 2012, l’année des élections présidentielle et législatives, le groupe automobile PSA avait programmé un plan de licenciements massifs de 8 000 suppressions de postes. Eh bien ce groupe a retardé l’annonce de ce plan de licenciements au lendemain des élections législatives, à la demande de Nicolas Sarkozy, alors que ce plan était prévu depuis longtemps, pour ne pas gêner davantage la droite à ces deux élections.
Mais ça c’est que pour la France, et il y a d’autres pays où le problème est encore plus visible. Par exemple aux États-Unis, les dons à des partis sont très peu régulés, et il y a pas de limite fixée pour les dons qu’une même personne peut faire, ni de limite de dépenses pour une même campagne électorale. Du coup les sommes qui entrent en jeu sont parfois considérables. Pour donner une petite idée, lors de l’élection présidentielle de 2012, le budget total des campagnes électorales de Barack Obama et Mitt Romney était de, accrochez-vous, 2.6 milliards de dollars au total, juste pour ces deux campagnes.
Et certains particuliers ou certaines entreprises font des dons qui se chiffrent en centaines de milliers, voire carrément en millions de dollars ! Eh oui, puisque là-bas, même les entreprises peuvent participer aux campagnes électorales, en finançant des actions en faveur (ou en défaveur !) d’un·e candidat·e. (Bon petite précision, elles ne peuvent pas exactement faire des « dons » directement à un parti, mais elles peuvent quand même financer des actions comme des spots de pub, donc dans tous les cas ça revient un peu au même : ces entreprises peuvent « investir » des sommes importantes en faveur ou défaveur d’une candidature).
Sauf que évidemment, les entreprises, c’est des capitalistes. Leur but et leur raison d’être d’entreprises, c’est le profit, c’est de rapporter le maximum d’argent à leurs actionnaires, et ce n’est pas ni la justice, ni des idéaux ou des convictions particulières. Du coup, quand des entreprises donnent des sommes pareilles, ce n’est pas par générosité, mais c’est un calcul, c’est un investissement, ce qui veut dire qu’elles en attendent forcément un retour sur investissement, sinon ce serait juste du gaspillage d’argent. Si une entreprise donne $ 500 000 par exemple, elle compte que cet investissement va lui rapporter plus que $ 500 000 après l’élection.
Et d’autant plus, et là c’est génial, que pas mal d’entreprises financent à la fois les 2 principaux partis, c’est à dire qu’elles donnent de l’argent à la fois au Parti Républicain et au Parti Démocrate. Donc là, ça devient juste évident que c’est même pas pour influer sur le résultat de l’élection, puisque de toute façon, vu le système électoral américain, on sait par avance que c’est forcément l’un de ces deux partis qui va remporter l’élection ! Donc si elles donnent aux deux candidat·e·s à la fois, c’est bien pour être sûres que la·le vainqueur·e, quel qu’iel soit, va leur être redevable !
Et le résultat c’est bien ça, et c’est partout pareil (que ce soit en France, aux USA, ou ailleurs) : c’est que, une fois au pouvoir, les élu·e·s vont forcément être redevables à leurs soutiens financiers. D’ailleurs, j’enfonce des portes ouvertes, mais en pratique c’est très probable (pour pas dire « presque certain ») que pour les plus grosses sommes, il y a toujours eu négociation entre la personne qui donne l’argent et le parti qui le reçoit, avant même le versement de l’argent, et que le ou la futur·e élu·e va par exemple s’engager à voter telle ou telle loi en échange de cet argent quand iel sera au pouvoir.
Mais en plus, ce qu’il faut pas oublier, c’est que les élu·e·s au pouvoir, la plupart du temps, ont prévu d’être candidat·e·s à leur propre réélection. Autrement dit, iels vont continuer d’être dépendant·e·s du patronat pendant leur mandat, parce que leurs chances de réélection continueront largement de dépendre des mêmes choses.
Pour leur prochaine campagne (de réélection) :
Donc non seulement les élu·e·s sont redevables au patronat pour leur élection passée, mais en plus iels continuent de dépendre à fond du patronat pendant leur mandat pour leur future réélection !