Ensuite, même si les élu·e·s étaient plus représentatifs·ves de l’ensemble de la population, c’est pas pour autant qu’iels défendraient bien les intérêts de l’ensemble de la population, parce que tous les gens d’un groupe social ne défendent pas forcément les intérêts de ce groupe social : il y a des gens qui choisissent de la jouer solo et de ne pas être solidaires du tout des autres membres de leur groupe, mais de défendre juste leur intérêt personnel.
On a par exemple des femmes qui arrivent à percer en politique et à avoir des mandats, mais qui ne défendent pas les droits des femmes, voire les attaquent directement.
Je prends l’exemple de Marine Le Pen : elle critique l’IVG, avec des termes extrêmement durs puisque, par exemple, en 2012, elle avait dit qu’il y aurait beaucoup trop d’avortements « de confort » (donc c’est quand même très violent comme terme), et elle critique aussi la loi sur la parité, dont j’ai déjà parlé, mais sous un angle réactionnaire, comme quoi la loi sur la parité serait « contraire à la méritocratie républicaine », et son parti explique même que les premières victimes de la loi sur la parité ce serait « les hommes blancs hétérosexuels ». Donc c’est très réac, et Marine Le Pen s’attaque très clairement et très directement aux droits des femmes, bien qu’elle soit une femme.
Pourquoi ? Eh bien parce qu’elle sait que ceux qui ont le pouvoir médiatique et politique (dans son parti par exemple, et ailleurs), sont des hommes, des hommes dont elle dépend elle-même, dont dépendent ses chances d’être élue, dont dépend sa carrière. Et elle dit en gros à ces hommes : « vous inquiétez pas, c’est vrai que je suis une femme, mais je ne menace absolument pas le patriarcat et votre pouvoir. C’est pas parce que moi, Marine Le Pen, en tant que femme, j’arriverais au pouvoir, que d’autres femmes vont y arriver… au contraire même : je suis prête à attaquer la parité pour vous, je suis prête à défendre le patriarcat pour vous, si vous me laissez arriver au pouvoir. »
Et ça marche. Les hommes qui ont le pouvoir y trouvent leur compte à donner de temps en temps (un petit peu) la parole ou (un petit peu) de pouvoir à quelques femmes qui vont attaquer les droits des femmes pour eux. Et c’est assez logique en fait, parce que si un membre d’un groupe dominant attaque lui-même directement les droits d’une minorité, eh bien on voit facilement que c’est sexiste, raciste, etc., alors que si l’attaque vient d’un membre de cette minorité, ça passe beaucoup plus facilement. On accusera pas par exemple Marine Le Pen d’être misogyne, même si ce qu’elle dit est misogyne, et sert l’agenda misogyne de ceux qui ont le pouvoir.
D’ailleurs la plupart des femmes à qui on donne beaucoup la parole dans les médias sont réac, c’est des Eugénie Bastié, Natacha Polony, Caroline Fourest, etc., et si ces Le Pen, Bastié, Polony ou Fourest étaient réellement féministes, et défendaient vraiment les droits des femmes, jamais on leur donnerait la parole comme ça, jamais elles auraient eu leur mandat ou leur place de chroniqueuses.
Concrètement, ces femmes acceptent simplement d’attaquer leur propre groupe social (donc les autres femmes) pour le pouvoir ou l’argent. Autrement dit, elles considèrent que leur intérêt personnel d’arriver au pouvoir est plus important que leur intérêt en tant que femme, et surtout que leur solidarité avec les autres femmes.
Donc même dans une société où les rapports de domination sont très établis, il reste tout de même un tout petit peu de place pour quelques personnes des groupes discriminés, à partir du moment où ces personnes acceptent de ne pas combattre ces rapports de domination, mais au contraire d’aider à les renforcer, et de servir d’alibis aux groupes dominants… de défendre en fait les intérêts des dominants.
Et même chose pour le racisme ou l’islamophobie par exemple : il y a des personnalités non-blanches (donc elles-mêmes victimes de racisme) qui vont reprendre les termes pratiquement les plus racistes et les plus violents de l’extrême-droite blanche contre leur propre groupe. Je pense à l’exemple de l’élu « socialiste » Amine El Khatmi, connu sur les réseaux sociaux et notamment sur Twitter, qui se revendique musulman, mais qui défend une vision ultra-répressive de la « laïcité », partisan de Valls et compagnie, et qui explique par exemple qu’on pourrait plus critiquer l’Islam sans se faire traiter d’islamophobe.. Autre exemple, Mohamed Sifaoui, journaliste qui se revendique comme « musulman », mais qui est un habitué des sorties racistes, et notamment islamophobes, puisqu’il est allé jusqu’à comparer le foulard que portent beaucoup de femmes musulmanes à des « serpillières », et donc concrètement à insulter toutes ces femmes…
Autre exemple : l’« imam » Hassen Chalghoumi, qui a le titre d’imam mais en réalité est rejeté par une bonne partie de la communauté musulmane. Ce mec-là représente pas du tout les musulman·e·s, et leur nuit même énormément par ses prises de positions, au point qu’il est soutenu par des islamophobes notoires comme Caroline Fourest, et il avait d’ailleurs lui-même soutenu Nicolas Sarkozy en 2012, c’est dire. Bref un gros imposteur. Eh bien ce mec-là, qui représente à peu près personne parmi la communauté musulmane, est pourtant invité dans tous les médias dès qu’il faut parler d’islam.
Dans un autre domaine, on pourrait citer aussi, dans le milieu ouvrier : les syndicalistes « jaunes » qui font équipe avec le patronat contre leurs collègues grévistes lorsqu’il y a des grèves, en espérant des avantages pour eux, iels trahissent évidemment leur classe sociale aussi au passage.
Il y a sûrement pas mal d’autres exemples, simplement, j’ai pris ceux-là pour dire qu’il suffit pas d’appartenir à un groupe social discriminé pour défendre correctement les intérêts de ce groupe. Et j’ai surtout pris des exemples dans les médias, mais dans la classe politique c’est pareil : les élu·e·s acceptent de temps en temps parmi elleux quelques personnes « issues de la diversité » comme on dit, ou issues du milieu ouvrier, pour faire genre on est pas que des cadres blancs et pétés de thunes, voyez, mais iels choisissent quand même ces personnes pour qu’elles remettent pas en cause leurs intérêts.
Et donc aujourd’hui, les rares personnes qui font pas partie des groupes dominants, mais qui arrivent quand même à être élues, sont en fait prêtes à défendre les intérêts de ces groupes dominants, pour des raisons déjà vues, comme la cooptation, qui fait que ce sont les dominant·e·s qui choisissent qui peut être élu·e, et qui ne peut pas l’être.
Donc il suffirait pas que les élu·e·s soient plus représentatifs·ves de la population pour avoir les mêmes intérêts (même si c’est évidemment une condition : il faudrait que les élu·e·s soient plus représentatifs·ves), mais ça ne suffirait pas en soi.