Pour une démocratie directe

Épisode 2 : Les médias et l’élection

La domination légitimée

Du coup, tous ces paramètres font que l’ensemble des médias, y compris publics donc, vont être largement soumis au pouvoir économique, et donc au patronat.

Une surreprésentation des groupes dominants

Et les conséquences de ça, c’est que les médias vont être les portes-parole presque systématiques du patronat, et des groupes dominants de la société dans l’ensemble, et vont donner principalement la parole aux membres des groupes dominants (blancs, hommes, riches) et donneront très peu la parole aux membres des groupes opprimés, ou dans de mauvaises conditions.

Les catégories précaires vont être sous-représenté·e·s à la télé : par exemple, seulement 3 % des gens qui passent à la télévision sont des ouvriers·ères, alors qu’iels représentent 12 % de la population. Même chose pour les retraité·e·s par exemple : iels sont 32 % dans la population, mais seulement 2 % des gens qui apparaissent à la télévision…

À côté de ça, au contraire, on a une surreprésentation des cadres supérieur·e·s, qui représentent 62 % des gens qu’on voit à la télé, alors qu’iels sont seulement 9 % de la pop…

Les femmes aussi sont sous-représentées, puisqu’elles représentaient en 2017 :

Idem pour les personnes non-blanches en général, sous-représentées et surtout mal représentées, puisqu’elles sont montrées dans un nombre très important de rôles négatifs : dealers ou marginaux dans les documentaires, méchants de fiction, etc. Idem pour les personnes en situation de handicap (moins de 1 % de représentation à la télévision), etc.

La domination légitimée

Du coup, les médias donnent la parole systématiquement aux groupes dominants, et vont systématiquement relayer les thèses et les discours de ces groupes dominants. Les médias vont passer leur temps à légitimer les oppressions, et même en fait à les cacher : à cacher le fait même qu’il existe des rapports de domination dans la société, voire à faire passer les puissants pour des victimes.

Par exemple les médias vont reprendre en cœur l’idée que le code du travail serait trop rigide et trop complexe, que les entreprises seraient écrasées par les « charges » sociales, et que ce serait en fait les patron·ne·s qui seraient victimes, qui s’épuiseraient pour faire tourner leur entreprise, qui seraient mal-aimés, etc. histoire de nier le fait que le patronat est très largement en position de force par rapport aux employé·e·s.

On nous présente aussi souvent les riches comme des victimes des impôts trop élevés, qui auraient raison de s’expatrier pour fuir cette persécution fiscale, alors qu’iels sont en réalité en position de privilège.

Et comme il est pas possible de cacher complètement cette domination, les médias vont aussi la légitimer autant que possible en expliquant que les patron·ne·s mériteraient leur position de patron, parce qu’iels auraient pris des risques, parce qu’iels se seraient dévoué·e·s sans compter à leur entreprise, et on va évidemment jamais parler des mécanismes de l’exploitation dans un système capitaliste, ni de tous les mécanismes d’accumulation des richesses qui leur ont permis de s’enrichir.

Au contraire, on va beaucoup insister sur des exemples romancés de grands patrons devenus riches en « partant (supposément) de rien », genre Steve Jobs ou plein d’autres milliardaires qui se seraient « faits tous seuls », même si ces exemples sont en fait pas représentatifs de l’ensemble du patronat, et très critiquables, l’important c’est que ça va entretenir l’idée que ces patrons-là mériteraient leur position, et aussi l’idée que tout le monde pourrait devenir grand patron, c’est juste une question de volonté et d’efforts. Autrement dit, tout est fait pour faire accepter l’ordre établi, et pour que personne aille questionner le système politique et économique en place ni le contester.

Décrédibiliser les luttes d’émancipation

Mais si malgré ça il y a quand même des gens qui contestent, ça arrive, eh bien le système médiatique va être là pour décrédibiliser et délégitimer leurs luttes.

La lutte des classes par ex. toujours présentée comme « has-been » face à la supposée « modernité » du libéralisme décomplexé. Quand il y a des grèves par exemple, les médias vont souvent présenter les grévistes soit comme des gens qui sauraient pas trop pourquoi ils contestent, et qui râlent sans vraiment de raison, pour le plaisir de râler, soit on va les présenter comme des privilégié·e·s, qui défendraient uniquement leurs petits avantages, au détriment du reste de la population, et en empêchant le reste de la population d’aller honnêtement travailler.

C’est le discours qu’on entend par exemple quand les cheminot·e·s font grève, et on va entendre toutes sortes de mensonges, notamment sur le statut des cheminot·e·s. Par exemple, beaucoup de médias ont répété en boucle que l’âge de départ à la retraite des cheminot·e·s serait de 52 ou 57 ans (selon les cas), ce qui semble être un gros avantage par rapport au reste de la population… sauf qu’en pratique, iels doivent quand même cotiser 41.5 annuités, pour avoir droit leur retraite à taux plein… le même nombre d’annuités que le régime général. Du coup en pratique, un·e cheminot·e qui aurait commencé à bosser à la SNCF à 20 ans ne pourra partir qu’à 61.5 ans, contre 62 pour le régime général, ce qui est pas une différence énorme, surtout vu la pénibilité du job… Mais les médias « oublient » de préciser cette question du nombre d’annuités, et parler que de l’âge de départ théorique… qui veut donc rien dire tout seul, et c’est en fait rien d’autre qu’un mensonge par omission.

Et si jamais il y a un gros soutien populaire à la grève des cheminot·e·s, les médias vont tenter d’interviewer de préférence des usagers mécontents, et on a vu des journalistes de France 2, d’Europe 1 et de C-News passer des petites annonces sur Twitter pour trouver des gens en galère à cause des grèves et les interviewer.

Et ça c’est juste quelques exemples de manipulation et d’omissions coupables parmi plein d’autres.

Lorsqu’il y a des grèves, les médias vont d’ailleurs souvent insister sur le fait que la mobilisation « baisse », ou « s’essoufle », ou encore présenter telle manif comme un « baroud d’honneur » (c’est à dire un combat perdu d’avance mais mené pour le principe), histoire à la fois de délégitimer ces manifestations, mais aussi de dissuader les gens d’y participer

Et si jamais celles et ceux qui se révoltent ont recours à de la violence, même minime, cette violence va toujours être exagérée par les médias, alors que la violence des dominants va être elle minimisée avec des euphémismes. Déjà on accuse les grévistes de « prendre la population en otage », ce qui est extrêmement fort comme terme et fait penser au terrorisme et à des meurtriers.

Autre exemple : en 2015, quand des salarié·e·s d’Air France bousculent des membres de la direction de leur groupe, et arrachent leurs chemises, tous les médias vont monter au créneau pour dénoncer ça, avec des termes très forts : ces actes de « violence », « injustifiable », des « extrémistes », on parle même de « lynchage » (terme qui évoque, quand même, une mise à mort), et les médias vont s’inquiéter de « l’image » que ça va donner de l’entreprise. Sauf que dans le même temps, le fait que cette même entreprise licencie 2 900 personnes (ce qui était quand même la cause de cette bousculade : 2 900 personnes qui se retrouvent d’un coup au chômage, à la suite de fausses négociations où la direction s’est carrément foutu de la gueule des salarié·e·s, les a baladé·e·s…), ce fait-là, ces 2900 personnes au chômage, est absolument pas critiqué, voire même parfois justifié, comme si c’était inévitable.

Même chose quand il y a de la casse lors de manifestations, les médias vont exagérer la violence des manifestant·e·s et insister dessus, mais dans le même temps, vont excuser et minimiser complètement la violence de la police qui réprime (et de la Justice qui condamne des manifestant·e·s à des peines complètement délirantes), parce que la répression va être présentée comme inévitable et « nécessaire » pour « maintenir l’ordre ».

On va d’ailleurs pas parler, ou très peu, des gens blessés ou mutilés par la police, mais insister au contraire lorsque des flics sont blessés par des manifestant·e·s. Je prendrai l’exemple du traitement médiatique des violences policières lors de la manif du 1er mai 2017 à Paris, les médias ont repris sans broncher les chiffres de la préfecture, comme quoi six policiers auraient été blessés, dont deux grièvement (en oubliant de préciser d’ailleurs que l’une des deux s’est blessée toute seule avec sa grenade…), mais ont souvent pas parlé des blessés parmi les manifestant·e·s, alors qu’il y avait quand même 168 manifestant·e·s blessé·e·s d’après les street medics.

On parle pas non plus de la gravité des blessures, alors que dans cette manif il y avait quand même eu plusieurs traumatismes crâniens, dont notamment un mec qui a eu la machoire défoncée par un tir de flash-ball à la tête (ce qui est théoriquement interdit hein mais les flics s’en foutent), et une dame âgée qui avait eu les deux chevilles et les deux poignets fracturés suite à une chute de plusieurs mètres, à cause d’une bousculade provoquée par des grenades lacrymogènes que les CRS avaient envoyées sur un escalier avec des badauds.

Les flics font pas dans le détail et s’en foutent de faire des dommages collatéraux, mais les médias vont jamais parler de leurs pratiques violentes, comme lorsqu’ils visent à la tête avec leurs flashball, qu’ils menacent (ou tabassent) les gens qui les filment, ou qu’ils balancent des grenades de désencerclement au milieu de foules compactes (ce qui est interdit aussi au passage, en 2016, ça avait même blessé grièvement un manifestant qui s’était retrouvé dans le coma).

Tout ça donc ça va jamais être évoqué par les médias. On parle des fois de blessés « en marge des manifestations », alors qu’en pratique, 9 fois sur 10, c’est des gens tabassés ou mutilés par la police, mais dire « en marge des manifestations », ça donne pas du tout la même impression, parce qu’on dit pas explicitement par qui iels ont été blessé·e·s. On peut même comprendre qu’ils ont été blessés par d’autres manifestants…

Donc on parle pas de ces violences ni de leur ampleur, mais on parle « d’affrontements » ou on dit que la police a « riposté », ce qui sous-entend qu’elle aurait été attaquée, alors que c’est rarement le cas en fait, et que la police tabasse souvent « gratuitement » des manifestant·e·s pacifiques ou même des badauds.

Je ferai un épisode sur la police pour mieux parler de tout ça et approfondir, mais ce qu’il faut retenir, c’est que la violence sociale du capitalisme, et la violence de l’État qui réprime, qui sont pourtant des violences à grande échelle, et des violences industrialisées, ces violences à grande échelle vont être moins critiquées dans les médias que des actes de révolte individuels contre l’injustice, comme arracher la chemise d’un patron ou casser un abribus.

Le but est que toute contestation du système capitaliste et de l’État apparaisse comme illégitime.