Chapitre on sait pas encore combien : Les syndicats et les élections dans les syndicats §
NOTE : ce texte/chapitre est encore à l’état de brouillon, en attente de retours critiques et commentaires. Je ne pense pas qu’il évoluera énormément, et vous pouvez quand même le sauvegarder et le repartager sous licence Creative Commons BY-NC-ND, à condition de citer l’auteur (Jor) et le site d’origine (ddirecte.org), et de ne pas faire de bénéfice dessus.
(Note aussi : quand vous voyez « META », vous inquiétez pas c’est juste une note pour moi, pour me rappeler de revenir à cet endroit plus tard.)
Bien. On a vu que les partis politiques étaient aussi pourris que l’État, car fonctionnant sur un modèle électoral.
Mais le problème ne se limite pas à ça, et concerne en réalité tout type d’orga qui fonctionne sur un modèle électoral et représentatif, et donc aussi : les associations à but (théoriquement) non lucratif, et, ce qui est particulièrement important pour nous, les syndicats.
Les syndicats sont importants pour notre camp, primordiaux même, parce que c’est eux qui organisent et coordonnent nos luttes et nos grèves, c’est à dire notre riposte contre les attaques antisociales de l’État et du patronat.
Selon que les syndicats sont combatifs ou pas, efficaces ou pas, ça change tout dans nos chances de victoire, et dans le rapport de force avec le camp capitaliste !
Malheureusement on y retrouve tous les problèmes qu’on retrouve dans les autres institutions électorales, comme un manque flagrant de démocratie, ou de la corruption à tous les étages, qui sont les conséquences mécaniques de la délégation.
J’avais déjà parlé un peu de la corruption et du fait que c’était justement la conséquence inévitable de la logique électorale et de délégation de pouvoir, et donné une poignée d’exemples de corruption dans les syndicats dans le chapitre dédié à la corruption, mais je vais en remettre une grosse couche ici (et, au delà de la seule corruption, sur toutes les conséquences du fonctionnement électoral, comme la bureaucratisation), parce que c’est vraiment trop important, et le déni du problème dans notre camp est beaucoup trop important, et ses conséquences absolument dramatiques.
En fait, j’irai même jusqu’à dire que c’est à cause de ça que notre camp perd sans discontinuer, depuis des décennies, donc il est plus que temps de regarder le problème en face !
Le problème, c’est que les syndicats fonctionnent eux aussi sur un modèle représentatif, avec une délégation importante du pouvoir à un petit nombre de personnes : lorsqu’il y a des grèves dans une entreprise, c’est (généralement) organisé par quelques délégué·e·s syndicales·aux (ou une poignée de meneurs·euses).
Et quand il y a des grèves sectorielles ou au niveau national, c’est coordonné par des organisations syndicales, où c’est généralement des bureaucrates élu·e·s qui prennent les décisions, donc un petit nombre de personnes.
En pratique, presque à chaque fois, l’efficacité de la grève, va dépendre presque totalement (ou en grande partie) de la bonne volonté d’un petit nombre de personnes.
Et du coup c’est logique que ces personnes (permanent·e·s, délégué·e·s syndicales·aux, et directions syndicales), soient la cible de tentatives de corruption ou « d’arrangements » de la part du patronat pour décourager les grèves ou les saboter, et bien souvent ça marche, comme on va le voir.
Je précise ici par avance que mes critiques des syndicats ici, même si elles sont radicales, ne visent absolument pas les syndicalistes en bloc, dont l’écrasante majorité sont sincères, mais les directions et la bureaucratie syndicales, et surtout la façon dont les syndicats fonctionnent, parce que c’est ce fonctionnement qui génère cette bureaucratie.
Exemple « imaginaire » simplifié d’un·e syndicaliste qui organiserait une grève, puis serait corrompu·e et trahirait §
On va prendre un exemple fictif simplifié, histoire de bien illustrer le problème.
Imaginez une entreprise avec quelques dizaines de personnes… allez, on va dire une trentaine de personnes… qui veulent se mettre en grève pour réclamer une augmentation de salaire de cent euros.
La grève commence, coordonnée par un·e « leader » syndical·e (genre délégué·e syndical·e).
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Maintenant mettez-vous d’abord dans la peau de la·du patron·ne pendant cette grève : iel a quelques dizaines (ou centaines) d’employé·e·s en colère en face, qui réclament des meilleurs salaires et des meilleures conditions de travail, et iel veut surtout pas céder.
Du coup, c’est logique de tenter (au moins) de proposer aux représentant·e·s et délégué·e·s syndicales·aux qui organisent la grève des avantages personnels, en échange de l’arrêt de la grève.
Par exemple, si vous avez des dizaines d’employé·e·s qui réclament une hausse de 100 € mensuels, vous pouvez proposer à la place une augmentation de 300 € mensuels aux deux syndicalistes qui viennent faire la négociation au nom de ces employé·e·s, s’iels font arrêter (ou échouer) la grève.
C’est totalement dans votre intérêt de patron·ne.
D’abord dans l’immédiat, ça vous reviendra beaucoup moins cher d’augmenter deux salarié·e·s de 300 €, de que d’augmenter plusieurs dizaines de personnes de 100 €, évidemment.
Mais en plus (et surtout), ça évite de céder aux revendications des salarié·e·s !
C’est super important de ne jamais céder, et les patron·ne·s veulent à tout prix éviter.
Parce que céder à une grève une fois, c’est laisser les employé·e·s prendre conscience de leur propre force et de leur propre pouvoir de blocage, et c’est donc s’exposer au risque d’avoir d’autres grèves plus tard pour revendiquer d’autres trucs !
Donc c’est y perdre encore plus sur le long terme, et voir son autorité de patron·ne attaquée.
Pour ne pas céder, les patron·ne·s peuvent même être prêt·e·s à perdre plus d’argent (en corruption, ou en conséquences de la grève) que ce que céder à cette grève leur coûterait directement !
Donc les patron·ne·s vont forcément proposer ce genre d’arrangements aux syndicalistes qui viennent les voir et qui peuvent faire arrêter la grève.
C’est presque inévitable.
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Maintenant, mettons-nous à la place des délégué·e·s qui vont négocier avec ce·tte patron·ne : elleux aussi auraient intérêt à accepter, évidemment !
Parce qu’entre :
- une augmentation de 300 € certaine tout de suite et être dans les petits papiers du ou de la patron·ne (c’est à dire : de la personne qui peut décider de votre carrière pendant les années à venir, quand même !), ou alors
- poursuivre une grève pour arracher peut-être (c’est même pas sûr) une augmentation de 100 € seulement (donc trois fois moins), et risquer en plus de se voir emmerdé·e dans sa carrière plus tard par ce·tte même patron·ne au moindre prétexte, voire licencié·e, parce que vous avez refusé de vous arranger…
…ben c’est vite fait de voir ce qui est le plus intéressant hein !
(Bien sûr, en théorie les patron·ne·s n’ont pas le droit de traiter les responsables syndicales·aux ou les grévistes plus sévèrement que les autres juste parce que c’est des responsables syndicales·aux ou des grévistes. Mais dans la vraie vie, on sait tou·te·s qu’iels le font tout le temps et qu’il y a pas forcément de recours, vue notamment la mauvaise foi des tribunaux, dont j’ai déjà parlé…)
Et encore, là j’ai dit juste 300 € dans mon exemple pour simplifier, mais peut-être qu’en vrai les enchères pourront monter bien plus haut, genre 500 ou plus, avec éventuellement des promotions en plus (ou des changements de postes, genre une mutation demandée depuis longtemps) qui amélioreront pas mal les conditions de travail des corrompu·e·s.
Sans même parler de la hausse de salaire, la possibilité d’être promu·e·s cadres par exemple, pour ne plus avoir à bosser elleux-mêmes, mais juste gérer le travail des autres, c’est évidemment vachement intéressant !
Du point de vue des patron·ne·s, ça coûte peut-être un peu cher hein, mais ça reste toujours beaucoup plus rentable que de laisser les grévistes gagner.
(D’autant que l’entreprise a ptètre besoin de cadres de toute façon, donc ça change pas grand chose pour la·le patron·ne de prendre ceux-là plutôt que d’autres !)
Et c’est encore plus facile du fait que les salaires des un·e·s et des autres ne sont pas connu·e·s : si votre représentant·e syndical·e a une augmentation de plusieurs centaines d’euros peu de temps après une grève qui échoue, vous le saurez peut-être même pas…
Donc il peut bien y avoir une vraie négociation entre représentant·e·s du personnel et patron·ne·s, sauf que le sujet de cette négociation ne sera pas forcément ce que la grève pourrait obtenir pour tout le monde, mais ce que les représentant·e·s pourront obtenir pour elleux tou·te·s seul·e·s…
Donc voilà, dans ce genre d’exemple, c’est complètement clair que c’est autant dans l’intérêt des patron·ne·s que des syndicalistes de « s’arranger entre gens intelligent·e·s », comme on dit, plutôt que de tenter l’affrontement par la grève…
Ça ne veut pas dire que tou·te·s les syndicalistes vont le faire et vraiment trahir leurs collègues, bien sûr, mais iels vont au minimum être tenté·e·s, c’est obligé, et surtout : ce serait dans leur intérêt de le faire, et ça c’est un problème.
Ici on voit totalement l’intérêt de la délégation de la responsabilité à un petit nombre de syndicalistes… pour le patronat !
Ça permet de négocier à huis clos, avec un tout petit nombre de personnes en face !
Et si la corruption ne marche pas (ou coûterait trop cher), c’est aussi possible de menacer et de faire pression sur les leaders, ce qui est aussi facilité par la délégation : à partir du moment où l’efficacité des grèves dépend d’une poignée de personnes, même si c’est pas des élu·e·s mais des gens qui se retrouvent propulsé·e·s « leaders » un peu par hasard et par les circonstances, les patron·ne·s peuvent quand même faire pression sur ces personnes, à coups de menaces plus ou moins explicites…
Et donc même si ces syndicalistes ne veulent pas trahir ouvertement leurs collègues en sabotant, ptètre qu’iels seront quand même pas aussi combatifs·ves que s’il y avait pas eu ces menaces hein…
Même si c’est des cas extrêmes qui restent rares, ça dit quand même quelque chose des intérêts en jeu, et de jusqu’où les patron·ne·s peuvent être prêt·e·s à aller pour les défendre !
À côté de ça, tenter de corrompre est évidemment bien moins « grave », moins risqué, et donc bien plus fréquent, et ce sera l’approche privilégiée le plus souvent.
Ici encore, que ce soit des pressions, des menaces, des violences, ou des tentatives de corruption, tout ça est rendu largement plus facile parce qu’on confie la responsabilité d’organiser les grèves et de négocier avec le patronat à un petit nombre de personnes.
La corruption dans les syndicats (exemples) §
Ici on me dira ptètre que « Oui enfin bon t’exagères. OK ça peut parfois arriver ce que tu dis, et t’as trouvé un exemple, mais tou·te·s les syndicalistes font pas ça quand même, c’est exceptionnel ! »
Et… oui et non, en fait.
C’est vrai que tou·te·s les syndicalistes ne font pas ça. Loin de là en fait. Je pense même que la plupart des syndicalistes sont sincères et honnêtes.
En particulier à la base.
Par contre, dire que ce serait « exceptionnel » ?
Houlà, là non, désolé, je pense que c’est bien naïf !
La corruption est très répandue dans les syndicats, beaucoup plus qu’on le croit, en particulier au « sommet », et je crois qu’il faut surtout pas la sous-estimer.
Comme pour la corruption des politiques, on a quantité d’exemples qui sortent régulièrement dans la presse, voire des bouquins entiers qui en parlent, genre « Solidarity for sale », sur la corruption des syndicats aux US, ou « Syndicats - corruption, dérives, trahisons », dont j’ai repris certains des exemples ici.
Les magouilles dans les Comités d’entreprise §
Un truc qui revient beaucoup : la corruption et les magouilles dans tout ce qui est comités d’entreprise (CE), ou les institutions assimilées.
Pour rappel, les comités d’entreprise sont des institutions représentatives du personnel dans les entreprises.
Les CE sont composés d’élu·e·s syndicales·aux, mais toujours présidé par des représentant·e·s de l’entreprise.
Bref, on a donc énormément de magouilles dans ces Comités d’entreprise, vu que c’est des instances qui gèrent des sommes considérables :
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exemple à la RATP (Régie autonome des transports parisiens), où des élus syndicaux à la tête du CRE (Comité régie d’entreprise) de la RATP se font payer des tas de trucs (smartphones, repas gastronomiques, permanences fictives, etc.) sur l’argent du CE, censé servir aux salarié·e·s.
Le livre cite notamment une société, Alpha TP, qui a récupéré pour 11 millions d’euros en tout de commandes de travaux du CE en six ans (entre 2004 et 2009), et dont le gérant se trouvait être… le trésorier du CE de la RATP à ce moment-là !
Et la comptable de l’entreprise était aussi… cheffe comptable du même CE !
Une sacrée coïncidence quand même, hein ?
De nombreuses autres magouilles sont citées, qui impliquaient visiblement tous les gros syndicats gestionnaires du CE : CGT, UNSA, CFE-CGC & CFDT, et la direction de l’entreprise fermait les yeux et n’exerçait pas son droit de regard.
Ici, comme pour les magouilles des élu·e·s dans les collectivités, peu importe le parti : les élu·e·s en position de tricher s’entendent presque tou·te·s, car iels ont intérêt à le faire.
Les quelques élus syndicaux honnêtes qui ont dénoncé la magouille ont d’ailleurs été harcelés, tant qu’à faire.
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Des schémas qu’on retrouve dans d’autres CEs, avec souvent de graves dérives, mais les directions d’entreprises laissent faire et laissent les pratiques empirer un peu partout, alors qu’elles peuvent (et devraient, théoriquement) contrôler un minimum.
Autre exemple : les CCE (Comités centraux d’entreprise) d’Air France, qui accumulent plus de 20 millions d’euros de pertes en cinq ans (entre 2005 et 2009), et la direction de l’entreprise s’en fout.
Un audit de 2010 révèle que ces pertes cachaient là aussi des « dépenses à vocation personnelle » des dirigeant·e·s syndicales·aux des CCE, ça alors !
En vrac : paiement de loyers d’appartements ou de contraventions, salaire qui continue d’être versé à plusieurs personnes alors qu’elles avaient quitté le Comité, une « prime » de 44 000 € pour un des membres du CCE, etc.
Ici aussi, silence complice de plein de monde, dont les syndicats qui arrivent à la tête du CCE lors des alternances…
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Ou encore, au CCE de la SNCF.
Au passage, la CGT, (ultra-)majoritaire au Comité, traitait aussi les employé·e·s du CCE comme le ferait un patron classique : droit du travail bafoué, zéro liberté d’expression, répression des récalcitrant·e·s et harcèlement des lanceurs·euses d’alerte, etc.
Ces pratiques ont même forcé les employé·e·s du CCE à créer un autre syndicat, « Tous ensemble », pour s’opposer à leur, euh, patron du coup (la CGT, donc).
Un second syndicat auquel les quatre cinquièmes quand même des employé·e·s du CCE ont adhéré… mais que la CGT a tenté de faire interdire !
Par endroits, comme à Lyon, les syndicats se sont aussi partagé (illégalement) du fric du CER (comité d’entreprise régional) de Lyon, en proportion de leur nombre d’élu·e·s, alors que ce fric était censé servir aux employé·e·s, et pas à financer des activités syndicales (et encore moins à atterrir dans la poche de syndicalistes malhonnêtes !).
Là aussi, presque tous les syndicats présents étaient concernés.
Bref, des magouilles à la pelle donc, et c’est juste quelques exemples parmi beaucoup d’autres…
Ce qui est frappant, c’est l’inaction quasi systématique des directions d’entreprises, voire leur complicité.
Elles sont censées surveiller et contrôler quand même ce qui se passe dans le CE, ce qu’il advient de tout ce fric, mais bizarrement ne font rien pour mettre fin aux malversations.
Alors qu’elles peuvent difficilement les ignorer hein, vu que c’est toujours l’entreprise qui préside le CE…
En fait, les entreprises laissent souvent faire en regardant ailleurs, en sachant très bien que les représentant·e·s syndicales·aux piquent dans la caisse, et qu’iels savent que l’entreprise sait et ne fera rien.
C’est au mieux une entente tacite.
C’est vachement pratique en fait, parce que ça permet à l’entreprise d’acheter les syndicalistes, comme si elle leur versait directement de l’argent, mais l’avantage de cette approche (qui revient en gros à mettre un gros paquet de fric sur la table et à fermer les yeux en attendant que les syndicalistes piquent dedans), c’est qu’en cas de souci (par exemple judiciaire) ça permet ensuite à l’entreprise de prétendre plus facilement qu’elle y serait pour rien et qu’elle ne savait pas qu’il y avait des malversations…
Mieux que ça : les entreprises ont parfois carrément volé au secours des syndicats pour leur éviter des ennuis, comme en 2000, quand la SNCF a remboursé gentiment une dette de treize millions de francs quand même, contractée par un de ses CE, alors que c’est la CGT qui l’avait contractée, et qui aurait dû la rembourser…
Quelle générosité !
Et certainement totalement désintéressée de la part de la SNCF bien sûr…
Donc peut-être que ce fonctionnement arrange en fait pas mal les entreprises, et que c’est pour ça qu’elles laissent toutes ces « dérives » se produire ?
Les Comités d’entreprise, ça sert aussi de prétextes vaguement légaux pour filer plein de fric à des syndicalistes corrompu·e·s, et à acheter comme ça la paix sociale.
Des tas d’autres magouilles (pub dans la NVO, etc.) §
Le bouquin dénonce plein d’autres magouilles en vrac, comme au journal de la CGT, la NVO (la Nouvelle Vie Ouvrière), qui (comme apparemment pas mal d’autres publications syndicales…) a été pendant des années financé par… de la pub pour des grandes entreprises et des collectivités !
Ce qui veut surtout dire : que ces entreprises ont versé plein d’argent au journal !
Et on parle pas de petites sommes : le prix cité pour une seule page de pub (pour Dalkia) va jusqu’à 7 000 euros la page !
Parmi les annonceurs, on trouve des entreprises comme Air France, Dassault, Veolia, EDF, GDF, etc.
Ce qui est d’autant plus curieux que le lectorat de la NVO n’est pas le public visé par une bonne partie de ces entreprises (aucun·e particulièr·e ne traite directement avec Dassault ou Veolia par exemple, c’est les collectivités qui sont leurs client·e·s).
Elles n’ont donc pas beaucoup d’intérêt à dépenser des sommes pareilles dans un but publicitaire.
C’est donc juste un prétexte légal pour filer de l’argent aux syndicats, encore.
Et c’est pas comme si les recettes publicitaires étaient anecdotiques hein : en 2010 elles représentaient 1.5 M€ de rentrées d’argent pour la NVO, pour un chiffre d’affaires de 8 M€. Et étaient d’autant plus importantes que la NVO était fragilisée financièrement : ce qui donne un pouvoir plus important aux annonceurs évidemment…
Sinon on y retrouve là aussi des histoires d’emplois fictifs, de distribution d’enveloppes de billets à des permanents, de cartes bancaires permettant à des cadres de retirer directement du liquide depuis le compte du syndicat, etc. Au moins une cinquantaine de personnes auraient été concernées apparemment, dont des cadres également membres du bureau confédéral de la CGT…
Le livre cite aussi des magouilles à la Poste : des repas luxueux offerts à des syndicalistes par la direction, et d’autres avantages comme des primes, des augmentations, des chèques cadeaux, des journées de RTT injustifiées (plus du double de ce que le statut de la personne était censé leur garantir !), etc.
Il y a même eu des distribution de timbres produits (donc certains devaient avoir pas mal de valeur) à des employé·e·s, en quantité, et sans traçabilité.
Plus généralement, la direction de la Poste a carrément subventionné directement les syndicats de plusieurs façons. Un bon moyen de les tenir…
Bref je ne vais pas re-citer ici tous les exemples du bouquin (y en aurait trop), et j’en ai fait qu’un résumé express, mais il faut vraiment voir que tout ça est largement répandu.
Bien sûr, presque à chaque fois, tous ces cadeaux et tout ce fric dont les entreprises arrosent les responsables syndicales·aux s’accompagnent, curieusement, d’une absence de réaction des syndicats face aux pires manœuvres de l’entreprise contre ses employé·e·s !
Étonnant hein ?
On a comme ça de nombreux cas de harcèlement moral de salarié·e·s, des plans de licenciements ou de « restructurations », des délocalisations, etc. sans que les syndicats lèvent le petit doigt !
Ça va même souvent plus loin que la simple inaction, et jusqu’à la complicité active !
Les syndicats se chargent souvent eux-mêmes de faire pression sur leurs délégué·e·s trop incorruptibles et qui voudraient organiser des actions et des grèves pour les en dissuader : chantages, harcèlement (là aussi), retrait des mandats syndicaux, etc.
Les syndicats peuvent même accepter de servir d’alibi aux directions, comme lorsque certaines centrales syndicales à la Poste ont signé des attestations prétendant que tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes à Phil@poste, et prétendant que la direction de l’entreprise n’avait rien fait de répréhensible, non non, alors qu’il était établi qu’elle avait harcelé et menacé des salarié·e·s, au point qu’il y avait même eu des tentatives de suicides…
Cette complicité des syndicats alors qu’ils sont censés combattre les abus de leurs entreprises, c’est juste la conséquence logique, malheureusement, de tout ce fric distribué : comme je le disais, les entreprises sont à but lucratif, donc elle laisseraient pas des millions d’euros être détournés chaque année (littéralement, quand on parle du budget de CEs de grosses boites…), si ça leur rapportait rien en retour hein !
Ce fric vient en contrepartie de la passivité et de la coopération des syndicats pour éviter qu’il y ait des grèves.
Le cas de FO à Marseille §
Une alliance là aussi basée sur un échange de bons procédés entre gens raisonnables :
- d’un côté le syndicat soutient le maire sortant lors des campagnes électorales, et limite énormément les grèves et les luttes sociales parmi les employé·e·s de la mairie,
- et en échange, ce syndicat devient l’interlocuteur unique de la mairie sur toutes les questions sociales : c’est ce seul syndicat qui « négocie » avec la mairie, et qui s’attribue tous les acquis sociaux, même lorsqu’il n’y est pour rien.
- Bien sûr, tout ça peut s’accompagner de corruption explicite et d’avantages en nature pour les responsables syndicales·aux.
Par exemple, en 2009, l’office HLM départemental, 13 Habitat, avait gentiment racheté sa maison au boss de FO territoriaux, Élie-Claude Argy, qui n’arrivait pas à la vendre.
Pratique.
- En plus de ça, le syndicat a aussi son mot a dire sur les nominations dans la municipalité…
Du coup, impossible de faire carrière à la métropole de Marseille sans être à FO…
Tout ça fait que le syndicat remporte systématiquement toutes les élections professionnelles depuis soixante-dix ans !
Quant au maire, il y gagne un soutien de poids lors des élections !
Gagnant-gagnant, on vous dit.
Et tous les maires et leaders syndicales·aux qui se sont succédé ont à chaque fois maintenu et entretenu le système, parce que c’était tout simplement dans leur intérêt !
Inutile de dire que tout ça ne va pas vraiment dans l’intérêt des salarié·e·s par contre là non plus, qui ont peut-être l’impression d’être défendu·e·s, mais le sont pas vraiment.
Des exemples à l’international et aux US §
Bien sûr, j’ai surtout pris des exemples des grosses boîtes en France, mais ça se limite pas à ces grosses boîtes ni à la France, et on en trouve un peu partout, vu que les syndicats fonctionnent un peu partout de la même façon.
USA : la corruption des leaders de l’UAW §
On a aussi eu par exemple, aux États-Unis,
la corruption des leaders de l’UAW par les constructeurs automobiles.
En gros, les leaders de l’UAW ont détourné des millions de dollars de cotisations syndicales à leur profit, reçu des pots-de-vin par des entreprises sous différentes formes pendant des années, et en échange ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour servir la direction : freiner et saboter les luttes des salarié·e·s, briser leurs grèves, réprimer les salarié·e·s et les monter les un·e·s contre les autres, et leur faire accepter de force tous les « accords » exigés par la direction qui réduisaient les salaires effectifs ou exigeaient plus d’heures travaillées…
Et tout ça pendant plusieurs
décennies (depuis au moins 1979, quand le président de l’UAW avait rejoint… le conseil d’administration de Chrysler !).
USA : le sabotage des grèves à Northwest Airlines par trois principaux syndicats §
Une histoire intéressante, parce qu’elle montre bien la trahison répétée des syndicats, et que c’est pas des cas isolés.
Quelques années avant, en 2001, les travailleurs·euses avaient arraché des avancées importantes grâce à une grosse grève, organisée avec le soutien d’un syndicat assez combatif à l’époque, l’AMFA.
Sauf que, trois ans plus tard, en octobre 2004, la Northwest Airlines voulait absolument revenir sur ces avancées, et surtout briser les tentatives de grèves futures.
Dans les nouvelles « négociations », elle a imposé des conditions inacceptables, dont des baisses de salaires de 25 %, des réductions de pensions, le licenciement de plus de 50 % des employé·e·s, des réductions du nombre de jours de congés, etc. !
Face à ça, l’AMFA a évidemment organisé une grosse grève l’année suivante, sauf que là, la NWA s’était préparée à affronter une grosse grève, et surtout, s’était assurée d’abord d’avoir le soutien des autres principaux syndicats : l’IAM, la TWU et l’IBT.
Du coup tous ces syndicats ont tout fait pour que la grève organisée par l’AMFA échoue : ils ont appelé leurs membres à briser les grèves et à traverser les piquets pour aller travailler, avec des prétextes bidons, du genre « parce qu’après tout il vaut mieux que ce soit nos membres qui bossent pendant la grève que des briseurs de grève recrutés exprès pour ça » !
L’un des syndicats (la TWU) a même carrément organisé un forum de l’emploi pour recruter des briseurs·euses de grève !
Ces syndicats ont finalement réussi à faire échouer la grève, et la compagnie a pu imposer ses exigences immondes et virer des milliers de travailleurs·euses…
Luca Visentini, secrétaire général de la Confédération syndicale internationale, mouillé dans le Qatargate §
Pas seulement dans les grosses boites §
Et faut pas croire que ça se limiterait aux grosses boites non plus hein !
Il y a sûrement plus d’exemples de magouilles comme ça qui sont connus et documentés dans des grosses boites, parce que :
- il y a mécaniquement plus de monde impliqué que dans les magouilles des petites boites, ce qui augmente quand même un peu le risque qu’au moins une personne sincère finisse par tomber dessus et par lancer l’alerte, et puis
- ça intéresse plus le public évidemment de savoir qu’il y a eu de la corruption dans une entreprise énorme que tout le monde connaît (genre La Poste, EDF, la SNCF, la RATP…) que dans une TPE à dix employé·e·s du fin fond de la Corrèze hein…
Mais l’exemple (fictif) que je citais avant démontre je pense que c’est facile pour les patron·ne·s de proposer aux syndicalistes des « arrangements » plus avantageux pour elleux que n’importe quelle lutte ou grève le sera jamais, et que ce sera le cas à partir du moment où il y a un petit nombre d’intermédiaires entre la direction et les salarié·e·s, et où le patronat négocie avec un nombre réduit de personnes.
Bien sûr, le budget de la corruption va aussi dépendre de la taille de l’entreprise, et plus une entreprise a de salarié·e·s, et plus la direction pourra proposer des avantages important·e·s à la poignée de syndicalistes avec qui elle traitera, et ça restera toujours (beaucoup) plus intéressant pour tout ce monde que d’aller à l’affrontement…
Les gros syndicats brassent des millions §
Et encore, ici j’ai surtout cité des exemples de corruption syndicale qui impliquaient une entreprise, mais y a aussi des magouilles purement « internes » aux syndicats, comme des détournements de fonds, du copinage, des marchés « publics » truqués, et autres combines diverses, où on voit que beaucoup de leaders syndicales·aux n’ont pas de scrupules et n’hésitent pas à piquer dans la caisse pour leur intérêt personnel.
Mais en même temps, est-ce que c’est si étonnant que ça qu’il y ait tout ça, vu le fric que les gros syndicats brassent ?
Pour les syndicats importants et les grosses confédérations, on parle de budgets qui se chiffrent en dizaines, voire centaines de millions d’euros annuels au total.
En 2003-2004 :
- budget estimé de la CGT : 220 M€
- budget estimé de la CFDT : 138 M€
- budget estimé de FO et de la CFTC : 61 M€ et 60 M€
(Et ça c’est juste en France, où le taux de syndicalisation est faible par rapport à pas mal de ses voisins, mais dans d’autres pays comme l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, les sommes sont encore plus élevées…)
Et tout ça, c’est sans compter tout le fric géré par les comités d’entreprises et autres, dont on a vu juste quelques exemples plus haut, et qui là aussi se chiffre en (dizaines de) millions d’euros pour les grosses boites !
Donc même si tout cet argent n’est pas exactement rassemblé en un seul endroit, c’est quand même des très grosses sommes qui circulent au total.
Des sommes comparables à celles gérées par certaines collectivités hein.
Du coup c’est pas vraiment surprenant qu’une telle quantité de pognon attire les rapaces et génère des magouilles à tous les niveaux, ici encore.
C’est pas spécifique aux syndicats remarquez hein, ce sera le cas dans n’importe quelle organisation avec un budget important : genre grosse association, collectivité, etc. : sur tout le fric que ces orgas gèrent, c’est un peu logique que des tas de gens tentent de se servir un peu ici ou là, en se disant que ça se verra pas trop.
Et ici encore c’est dû à la délégation du pouvoir de décision à un petit nombre de personnes : s’il y avait une vraie transparence et que la façon dont le fric était utilisé était décidée par l’ensemble des membres du syndicat (en démocratie directe donc), il ne pourrait pas y avoir ces problèmes (ou pas à une échelle comparable, et ce serait marginal).
La bureaucratie §
C’est le moment de parler un peu de la fameuse bureaucratie syndicale, souvent dénoncée (à raison) par à peu près tout le monde comme un obstacle aux grèves et aux luttes.
Plusieurs définitions existent de la bureaucratie, comme une « aristocratie du travail », une « couche privilégiée parmi les travailleurs·euses » liée à la bourgeoisie, et qui a des intérêts particuliers à défendre, plutôt que l’intérêt de tou·te·s les travailleurs·euses.
Tout ça est vrai, mais pour simplifier, concrètement, la « bureaucratie », dans une organisation hiérarchisée, c’est tou·te·s les gens qui se partagent plus ou moins le pouvoir de décision.
Donc, dans notre cas, des cadres du syndicat, qui sont soit élu·e·s, soit nommé·e·s par des élu·e·s, puisque ces organisations fonctionnent sur un modèle électoral.
Des gens qui, du fait de leur position de chef·fe·s, de cadres, de leaders, ont des intérêts différents de ceux de la masse, intérêt à préserver et à consolider leur position plutôt qu’à tout faire pour que les luttes réussissent.
L’exemple de la confédération de la CGT §
Pour voir un peu comment ça marche, rien de mieux que des exemples.
Du coup voyons un peu comment l’actuel grand chef de la CGT, Philippe Martinez, est arrivé au pouvoir, et comment lui et les autres à la direction traitent leurs subordonné·e·s.
Philippe Martinez, arrivé aux manettes dans un déni flagrant de démocratie §
Pour simplifier un peu : en janvier 2015, à la suite de l’affaire Lepaon (dont je parlerai plus loin), qui a forcé le secrétaire général Thierry Lepaon à démissionner, la CGT devait d’urgence le remplacer et trouver un nouveau secrétaire général.
C’est donc le CCN (Comité confédéral national), une sorte de parlement de la cégété, qui rassemble des délégué·e·s de plein de fédérations (vu que la CGT est une confédération), qui devait en gros décider de qui mettre aux manettes, au moins en attendant que les militant·e·s puissent voter.
Il faut savoir que le CCN fonctionne un peu selon le principe bien pourri de l’élection présidentielle américaine par « collèges », où chaque fédération représentée a un certain nombre de voix (selon son nombre de membres), et ces votes basculent tous du même côté, théoriquement selon ce qu’ont voté majoritairement les gens de cette fédé.
Et donc, la veille de ce CCN, la fédération CGT de la Santé, une des plus importantes, avait voté contre l’hypothèse Martinez, à une écrasante majorité (75 %).
Sauf que, le lendemain, les délégué·e·s de cette fédération au CCN n’ont pas respecté le mandat qui leur était donné et ont voté pour, faisant basculer 36 voix sur les 335 du CCN !
Pourquoi ?
Parce que la secrétaire générale de la fédé Santé était alors Nathalie Gamiochipi, la… compagne de Philippe Martinez !
Bref, ici cette magouille n’avait pas suffi à faire élire Martinez directement (il lui aurait fallu 66 % des voix du CCN, et il n’en a eu que 57 % en tout), mais ça lui a donné assez d’élan pour être perçu par beaucoup de monde comme le choix « naturel » pour ce poste, et lui a permis de se faire ensuite élire par les militant·e·s de la CGT lors du vote qui a eu trois semaines après le CCN, début février 2015…
Et puis vous inquiétez pas pour ces traîtres·ses : une bonne partie d’entre elleux ont été recasé·e·s par Martinez ensuite pour les remercier !
Deux-trois exemples sont cités dans le bouquin :
La première année de mandat : un an de… campagne électorale §
Et après cette grande victoire pas du tout illégitime, Philippe Martinez a passé un an à… sillonner la France, organisant pas moins de deux mille rencontres avec des syndicalistes, en un an et quatre mois à peine !
Soit plus de quatre par jour en moyenne, tous les jours, week-ends et jours fériés compris !
Prétexte : comprendre pourquoi l’engagement syndical décline et pourquoi les troupes à la CGT diminuent.
Alors désolé, mais j’ai un petit doute sur la nécessité de faire tout ça, si c’était vraiment le but.
Je veux dire : il y a pas besoin d’aller discuter en personne avec autant de gens pour se faire une idée !
C’est pas comme si les études et les interprétations sur le sujet manquaient, et si c’était vraiment pour savoir ce qu’en pensent les adhérent·e·s de la CGT, ça aurait probablement été possible (et plus simple, moins coûteux, et ça aurait gagné du temps à tout le monde) de faire des sondages, ou des questionnaires à faire remonter, par exemple.
Mais non : là le mec a littéralement passé une année de son mandat à aller discuter et serrer des paluches partout en France !
La vraie raison, plus probablement : se faire connaître, donner l’image de quelqu’un d’accessible et proche de ses troupes, et faire oublier son élection illégitime.
C’est en fait… une campagne électorale qui ne dit pas son nom !
Qui a bien fonctionné d’ailleurs, puisqu’il a été réélu secrétaire général l’année suivante, en avril 2016, avec 90 % des voix, et est resté à ce poste jusqu’en 2023 !
Bureaucratie partout, syndicalisme nulle part §
Et si on regarde le fonctionnement de la confédération de la CGT en général, c’est tout à fait représentatif de ça : bureaucratie partout, syndicalisme nulle part (ou presque).
Le livre décrit une orga absolument pas démocratique, où les enjeux d’appareil priment sur toute autre considération, où la priorité des bureaucrates un peu partout est de préserver leur propre place et leurs petits privilèges à tout prix, à coups de négociations et d’alliances, et où la défense des salarié·e·s passe systématiquement au second plan (voire est carrément absente).
Le bouquin cite aussi, pèle-mèle :
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des embauches au piston et du népotisme, ou encore des nominations qui se font selon l’appartenance à des clans, et pas selon des critères de compétences… un peu comme dans les partis quoi !
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du copinage, avec ici encore des entreprises prestataires choisies parmi les ami·e·s de certains responsables sans mise en concurrence, avec ici aussi des surfacturations.
En 2018, la confédération a apparemment acheté pour refaire son site un « kiosque numérique » hors de prix, à l’entreprise d’un proche du responsable com’, Michel Saty…
Le tout alors que des entreprises concurrentes contactées avaient proposé des devis bien plus bas.
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des gros problèmes de respect du droit du travail par… la CGT elle-même, qui se comporte avec pas mal de ses employé·e·s comme un patron classique : autoritarisme, harcèlement, mise au placard, et autres joyeusetés !
Des problèmes constatés à la confédération elle-même, mais aussi dans des Comités d’entreprise gérés par le syndicat, à la NVO (la Nouvelle Vie Ouvrière, le journal de la CGT), à la clinique des Bluets (propriété de la CGT), etc.
Ambiance…
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Comme employeur, la CGT a aussi recours à de la sous-traitance, avec bien sûr comme conséquence mécanique des conditions de travail encore pires : le livre cite l’exemple d’un homme de ménage malien bossant cinq jours par semaine de 7h à 19h !
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je vais passer sur les nombreux problèmes de racisme, sexisme, etc. dénoncés, pas parce que ce serait pas important, mais parce qu’on trouve ça malheureusement dans toutes les orgas…
Bref, ça craint.
Mais là aussi, c’est des méthodes loin d’être l’apanage de la CGT…
En octobre 2018, le Canard enchaîné avait révélé que des cadres proches du secrétaire général de Force Ouvrière, Pascal Pavageau (qui a dû démissionner à cause de ça), avaient constitué un fichier illégal rempli d’informations personnelles sur plus d’une centaine de responsables de la centrale syndicale, avec des informations comme leurs idées politiques, leur état de santé ou leur orientation sexuelle, et même des appréciations personnelles, voire des insultes…
En plus des infos personnelles « classiques », étaient notées aussi les proximités partisanes des gens, comme « déteste Jean-Claude Mailly » ou « apprécié par Pascal Pavageau », et une des mentions en particulier, bien révélatrice, était « trop intelligent pour le faire entrer au Bureau Confédéral »…
Ce genre de fichage sert bien sûr aux bureaucrates dans leurs petits complots pour la prise (ou la conservation) de leur pouvoir : dans le cas extrême, à avoir des moyens de pressions sur d’autres bureaucrates, ou, au moins, à savoir avec qui iels peuvent s’allier, et qui est potentiellement dangereux·se parmi les autres cadres…
La lutte des places plutôt que la lutte des classes §
On a aussi des choix faits par la direction du syndicat selon des questions d’intérêt personnel et de basses considérations de personnes, ou des calculs électoraux internes.
La confédération choisira par exemple plusieurs fois de ne pas relayer les luttes de certain·e·s salarié·e·s dans certains domaines à cause de ça :
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Début février 2018, le syndicat CGT-HPE avait réussi à faire plier la direction de l’hôtel Holiday Inn place de Clichy à Paris (le premier groupe hôtelier mondial), après 111 jours de grève des femmes de ménages et hôtesses d’accueil !
C’est peu dire que c’était une victoire de haute lutte, et dont ces femmes peuvent être fières !
Heureux hasard, quelques jours à peine après leur victoire, la confédération de la CGT organisait une « journée des luttes gagnantes » à Montreuil, histoire de célébrer les luttes qui, ben, gagnent quoi. Ça tombe bien !
Sauf que la confédération décidera de… ne pas les inviter et de ne pas célébrer leur victoire (malgré une proposition de Jean-Bernard Gervais, l’auteur du livre, qui était alors au service communication de la centrale), car le syndicat CGT-HPE était… détesté par la confédération et pestiféré !
Parce que c’était un syndicat « rebelle », que son fondateur (Claude Levy) avait créé après avoir décidé de quitter l’autre syndicat déjà existant, la CGT Propreté Île-de-France, qu’il accusait d’être pourri, corrompu, et briseur de grève !
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Autre exemple cité, toujours en 2018 : les divergences entre la CGT cheminots et la Confédération de la CGT, où la confédération ne publie aucun communiqué de soutien à la grève des cheminot·e·s pendant les trois mois que cette grève a duré, alors qu’elle soutenait dans le même temps la grève des services publics, et avait publié plein de communiqués et tout.
Explication avancée ?
Parce que le patron de la CGT cheminots, Laurent Brun, aurait pu faire de l’ombre à Philippe Martinez et menacer sa réélection à la tête de la confédération s’il avait réussi sa grève (comme Bernard Thibault en 1995), alors que le boss de la CGT services publics était au contraire lui un proche de Martinez !
Et tout ça, c’est que quelques exemples qui m’ont marqué, mais je peux pas vous résumer tout le livre non plus hein.
Donc voyez, il y a même pas besoin d’aller jusqu’à la corruption (même si elle est fréquente) pour démontrer la nocivité du système : le simple fait que des gens puissent faire carrière dans le syndicalisme pourrit le syndicalisme de l’intérieur, et contribue à le vider de sa combativité.
Cette possibilité de faire carrière crée des permanent·e·s dont l’intérêt change immédiatement à cause de leur position de permanent·e·s, de la même façon que l’intérêt des élu·e·s dans les autres institutions change à cause de leur position d’élu·e·s.
Leur intérêt devient instantanément la préservation de l’organisation, et la préservation de leur propre place et de leurs privilèges, plutôt que les luttes.
Les privilèges des bureaucrates §
Et un petit coup d’œil du côté des privilèges que s’accordent les bureaucrates au sommet de ces orgas suffit pour se rendre compte qu’iels se foutent des luttes : entre leurs salaires de député·e·s (ou pas loin…) et les autres gros avantages qui vont avec, c’est évident que c’est pas la défense des salarié·e·s qui les préoccupe.
CFDT : entre quatre et cinq mille euros net mensuel §
CGT : Thierry Lepaon, le meilleur d’entre nous §
Ensuite, l’inénarrable Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT entre mars 2013 et janvier 2015, où il a été poussé à la démission par les scandales sur son train de vie à la confédération.
Il y a beaucoup de trucs, mais pour essayer de faire court :
- accusé d’avoir fait rénover son appartement de fonction, un 79 m² à Vincennes, pour plus de 100 000 euros en tout, au frais de la centrale, et son bureau pour 62 000 euros.
(Appartement dont le loyer mensuel était de 2 000 euros quand même, au passage, là aussi payé par la centrale. Une paille.)
- ensuite, son salaire élevé : 5 200 euros net par mois sur treize mois.
Salaire qu’il affirme avoir généreusement demandé de baisser à 4 000 euros net, prétendument « dès son arrivée » à la tête de la confédération, en avril 2013.
Sauf que, si ce salaire a bien été baissé, il l’a été beaucoup plus tard : en décembre 2014, soit… après la révélation des scandales qui le concernaient dans la presse !
Un hasard, certainement.
- enfin, des indemnités « de départ » de cent mille euros, qui lui ont été versées en 2013 par la CGT Basse-Normandie, lorsqu’il a quitté le secrétariat général de cette CGT régionale pour devenir secrétaire général à la… confédération de la CGT ! L’intéressé a justifié ça en disant qu’il « changeait d’employeur », ce qui semble être techniquement vrai aux yeux de la loi, et donc techniquement légal.
Ce qui n’empêche que beaucoup de gens qualifieraient ça techniquement de « bon gros foutage de gueule », et juste un prétexte de bureaucrate pour récupérer encore plein de fric…
Notons quand même que Thierry Lepaon a été plus tard « blanchi » (enfin, uniquement pour ce qui concernait son appartement) par une enquête interne de l’IGPN… euh, je veux dire, une enquête interne de l’équipe suivante pardon, celle de Philippe Martinez, qui a dit que Lepaon n’aurait pas eu connaissance du coût des travaux.
Ce qui est non seulement invérifiable, et contredit par la presse, mais en plus n’apporte pas non plus le début d’un commencement de justification pour ses autres abus (son salaire et sa prime « de départ »).
Mais ça n’a pas empêché Martinez de répéter partout que l’honneur de Lepaon aurait été injustement sali et que c’était limite une victime d’un complot pour nuire à la CGT…
Bien sûr, la plupart des gens n’iront pas creuser le sujet de toute façon (par manque de temps, je les blâme pas), et se contenteront donc de la version officielle de la direction de la CGT comme quoi le scandale Lepaon n’en était pas vraiment un, et que y a rien à voir circulez.
Coût total de l’ex-grand chef pour la cégète depuis sa démission : au moins 150 000 euros, en à peine plus d’un an !
Le tout, justifié par son successeur Philippe Martinez parce que « nous n’avons pas trouvé d’évolution professionnelle en ce qui le concerne ».
Ah, c’est beau une telle solidarité !
On ne laisse pas tomber un camarade bureaucrate qui a tant donné (et surtout, tant pris).
CGT : Les « modestes » trois mille quatre cents euros de Philippe Martinez §
Ça a l’air un peu plus modeste, ptètre une précaution pour pas sauter directement, à la suite de l’affaire Lepaon, justement ?
Mais bon ça le place quand même parmi les 16 % de gens les mieux payé·e·s du pays hein, donc c’est pas non plus la misère pour lui hein.
D’autant qu’il faut se méfier des chiffres fournis, qui peuvent souvent cacher des petites subtilités ou des grosses arnaques : rappelez-vous de François Ruffin, qui répétait partout qu’il se payait prétendument « au SMIC » comme député, et en creusant un tout petit peu on avait vu que c’était un gros mensonge…
Donc il est pas dit que Martinez ait pas d’autres (petits ou gros) avantages en plus à côté, dont il se vante peut-être pas trop…
FO : des cadres qui se permettent tout §
Mailly était pas le seul, notez, et plusieurs autres hauts responsables de la confédération de FO percevaient entre 5 000 et 7 000 euros bruts mensuels.
Ça va quand même.
Sans parler de leurs notes de frais : apparemment le bureau confédéral de FO, qui compte à peine treize membres, avait dépensé, en 2017, 388 000 euros en notes de frais diverses (nuits d’hôtel, trajets d’avion, loyers…), soit presque 30 000 euros par personne en une année !
Si on ajoute ça à un salaire de 5 000+ euros bruts, mensuels, ça fait plus de 90 000 euros par bureaucrate par an !
Ça fait cher le kilo quand même…
C’est Thierry Lepaon qui doit l’avoir mauvaise : si les salaires et le train de vie des cadres de FO avaient fuité dans la presse avant son affaire à lui, par comparaison ses propres excès seraient presque passées pour presque-pas-trop-déraisonnables-enfin-bon-y-a-encore-pire-ailleurs-quoi, et il aurait ptètre même pas eu à démissionner !
Conclusion salaires et privilèges §
Désolé j’ai pas trouvé les salaires de tout le monde, j’ai donné ceux des figures les plus connues des principales orgas, histoire de montrer à quel point tout ça ressemblait quand même vachement au traitement des élu·e·s dans les institutions !
Et comme dans les institutions, il faut pas oublier que ces gens-là ne décident pas de leurs salaires tou·te·s seul·e·s, hein ! (ni du montant des travaux de leurs appartements, etc.)
Toutes ces décisions sont votées au bureau confédéral (ou au CCN, ou n’importe quel autre organe de prise de décision des centrales syndicales), donc à peu près l’ensemble des bureaucrates qui gravitent autour de ces personnalités de premier plan sont au courant, sont d’accord, et sont probablement rémunéré·e·s des salaires assez proches de ceux des grand·e chef·fe·s ! (comme le cas des cadres de FO le prouve d’ailleurs)
On n’est pas devant des exceptions, qui concerneraient juste une poignée de secrétaires généraux qui se gaveraient en loucedé, sans que personne d’autre soit au courant : tout le monde autour d’eux sait, et, soit bénéficie d’un traitement similaire, soit espère en bénéficier un jour en progressant suffisamment dans l’orga.
Et donc personne ne s’oppose à ça, au contraire.
Ici encore, tout ça est lié au principe de l’élection et de la délégation de pouvoir, et au fait que les élu·e·s auront toujours des intérêts différents de l’électorat, à cause de leur position d’élu·e·s !
Là où la masse des syndicalistes auraient intérêt à ce que les moyens de leur orga soient utilisés pour les luttes, ces bureaucrates et syndicalicien·ne·s professionnel·le·s ont intérêt à récupérer le maximum de fric pour elleux.
Les bureaucrates se foutent éperdument des luttes.
Leur priorité est la préservation de leur position et de leurs privilèges, et un train de vie le plus confortable possible (au frais de l’organisation, évidemment).
Ça implique donc forcément que, même sans parler de la corruption, leur intérêt de bureaucrates est de faire en sorte :
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qu’il y ait le moins de transparence possible (par exemple, sur la façon dont l’argent est vraiment utilisé).
Parce qu’évidemment, s’il y avait une vraie transparence, les syndicalistes de la base ne laisseraient pas faire tout ça et ne laisseraient pas ces parasites se goinfrer avec leur fric !
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qu’il y ait le moins de démocratie possible en interne, et que la base n’ait jamais trop son mot à dire sur les décisions qui sont prises, ni sur les règles de fonctionnement de l’orga.
Sinon elle exigerait de la transparence évidemment, et que les moyens de l’orga soient utilisés pour les luttes, et pas pour les bureaucrates.
Elle exigerait que ses représentant·e·s rendent des comptes, limiterait leurs salaires à des montants raisonnables et supprimerait leurs privilèges.
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Enfin, les bureaucrates ont intérêt à ce que les luttes échouent.
Pour trois grosses raisons.
D’abord, le coup des vases communicants : plus il y a de moyens consacrés aux luttes et aux grèves, et moins il reste de fric pour les bureaucrates et les permanent·e·s.
Simple, basique.
Ensuite, parce que les bureaucrates espèrent négocier et obtenir des beaux recasages de la part des capitalistes après leur mandat syndical (je vais parler des recasages dans un instant).
Mais évidemment, ce serait pas possible si leur syndicat était combatif, vu que les recasages viennent récompenser justement le sabotage des luttes !
Enfin, les bureaucrates ont intérêt à ce que les luttes échouent, parce que l’État et les capitalistes ne tolèrent les syndicats que tant qu’ils ne sont pas combatifs.
Si une de ces orgas devenait trop combative et dangereuse, l’État l’attaquerait vraiment et prendrait n’importe quel prétexte pour tenter de l’interdire ou de saper ses moyens d’une façon ou d’une autre.
Bien sûr, c’est pas dit qu’il y arriverait (l’État n’est pas tout puissant, et quand les gens sont combatifs·ves et s’organisent, c’est possible de le mettre en échec), mais les bureaucrates n’ont pas du tout intérêt à ce que ça se produise, évidemment.
Le plus sûr pour elleux est que le syndicat ne soit pas combatif.
Les conflits d’intérêt jusqu'au sommet : les recasages d’ex-leaders syndicales·aux par des capitalistes §
Ça ne s'arrête pas là, et malheureusement les exemples que j'ai cités ne sont absolument pas des exceptions, mais la règle, un peu comme pour la corruption des politicien·ne·s, parce qu'encore une fois la corruption n'est pas un problème de personnes, mais la conséquence mécanique de la délégation de pouvoir à un petit nombre.
On a des exemples qui posent question jusqu'au sommet des confédérations syndicales, avec des recasages de nombreux·ses ex-leaders syndicales·aux par l'État ou par des boîtes privées, une fois leur mandat terminé !
Quelques exemples pour la route :
La CFDT §
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Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT jusqu’en juin 2018, passée ensuite à la Caisse des dépôts, puis devenue directrice de la Direccte Bretagne en mai 2020.
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Et vous inquiétez pas, c’est pas près de s’arrêter, vu que Laurent Berger, l’actuel grand patron de la CFDT, a totalement assumé et défendu le principe des recasages, sous prétexte que « Il y a beaucoup de talents chez les syndicalistes » et que « Je suis désolé, on n'est pas des moines ! »
Bon, à l’heure où j’écris ça, il est encore à la tête de la CFDT, donc je ne sais pas encore où il se recasera après son mandat, mais je vous parie que ce sera pas un poste bénévole.
FO §
- Jean-Claude Mailly, qui avait hypocritement critiqué sévèrement les recasages de syndicalicien·ne·s concurrent·e·s quand il était encore à la tête de Force Ouvrière… ce qui ne l’avait pas empêché en juin 2018, à peine trois mois après la fin de son mandat, de faire pareil et d’aller rejoindre la société de conseil Alixio, appartenant à Raymond Soubie, un ancien conseiller « social » de Nicolas Sarkozy.
Au passage, Mailly avait aussi tenté de s’auto-désigner au Comité économique et social européen (comme représentant de FO), avant de jeter finalement l’éponge et de renoncer à ce poste devant le scandale qu’avait provoqué son embauche par Alixio…
- Stéphane Lardy, ex-secrétaire confédéral pour l’emploi à Force Ouvrière, nommé à l’Igas (comme François Chérèque), pour 7 200 euros et quelques net par mois lui aussi, après un passage par le Cese (Conseil économique, social et environnemental).
La CGT §
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Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT entre 1999 et 2013, avait lui été recasé après son mandat au conseil d’administration du Bureau international du travail (BIT), où il est resté de 2014 à 2021.
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Enfin, on va terminer cette liste (loin d’être exhaustive) de recasages par l’incontournable Thierry Lepaon, ex-grand patron de la CGT, qui s'était surtout fait connaître pour l'affaire de son appartement, de son salaire et de ses primes pas du tout abusives, dont j’ai déjà parlé.
Lui aussi a été recasé plusieurs fois : passé par le Cese, puis a pris la direction d’une « Agence de la langue française pour la cohésion sociale », créée spécifiquement pour lui par le gouvernement en 2016 !
Lepaon était ensuite passé brièvement délégué interministériel à l’illettrisme, avant d’être encore re-recasé, en mars 2019, par le gouvernement suivant, à… l’Inspection Générale de la Jeunesse et des Sports.
Quel est le rapport entre Thierry Lepaon, presque soixante ans et (a priori)
zéro expérience connue dans le sport, et puis la « jeunesse et les sports » ?
Hé bien, moi non plus je ne vois pas, mais il doit sûrement y en avoir un, sinon il n’aurait pas été nommé. ;-)
On va arrêter là les exemples.
Bien sûr, à chaque fois, ces syndicalicien·ne·s s’étaient principalement illustré·e·s à la tête de leur organisation par leur mollesse, voire leurs sabotages explicites des luttes.
Si vous aussi vous vous demandiez à quoi servent ces innombrables Conseils Trucmuche qui n’ont qu’une fonction consultative et dont tout le monde se fout, qui ne travaillent pas beaucoup et ne produisent pas grand chose, mais dont les membres sont rémunéré·e·s des sommes astronomiques, hé ben voilà : ça sert à recaser des bureaucrates syndicales·aux.
À quoi servent les grèves ? C’est quoi une grève efficace ? §
Avant de voir comment les bureaucraties syndicales corrompues sabotent les grèves en pratique, c’est le moment de faire une petite parenthèse (mais importante), pour parler un peu des grèves elles-mêmes, vu que c’est l’arme principale de notre camp dans la lutte des classes, et d’essayer de voir ce qui fait qu’une grève est efficace ou pas !
Pour faire simple, pour qu’une grève soit efficace, il faut qu’elle soit 1) la plus étendue possible, et surtout, 2) qu’elle soit reconductible.
Déjà, premier rappel : le principe de la grève, c’est d’attaquer le patronat au portefeuille, en arrêtant de travailler, donc de produire des richesses pour lui, car tous les gouvernements (et l’ensemble de la classe politique hein, pas seulement les macronistes) obéissent au patronat, comme on l’a vu, et servent toujours les intérêts du patronat.
Donc en attaquant le patronat, on attaque les vrais donneurs d’ordres !
Plus on coûte de l’argent au patronat, et mieux c’est, et plus les capitalistes sont incité·e·s à céder.
À l’inverse si on leur coûte pas trop, ben iels refuseront de lâcher quoi que ce soit, évidemment !
Il faut bien comprendre que c’est cet aspect qui est le plus important dans les luttes, pas les manifs ! (même si les manifs sont utiles, j’y reviendrai)
Dans le même genre, les grèves bloquent les gens et embêtent la population, mais c’est pas un but hein.
C’est juste un dégât collatéral inévitable (j’y reviendrai aussi).
Grève reconductible VS journées de grève ponctuelles et isolées §
Bref, donc la grève la plus efficace, c’est la grève reconductible et généralisée (ou la plus généralisée possible).
Il faut pas oublier que la grève coûte toujours aux grévistes aussi (vu qu’iels arrêtent le travail et ne sont pas payé·e·s pendant cette période, et peuvent subir en plus de la répression patronale).
Malheureusement, on peut pas faire autrement.
Mais il n’y a que la grève reconductible, la plus généralisée possible, qui coûte au patronat plus qu’elle coûte aux grévistes.
Si la grève est ponctuelle, genre des journées de grève éparpillées ça et là, le patronat sait à l’avance qu’elle va s’arrêter après une journée.
Il peut estimer à l’avance ce qu’il va perdre comme fric, et sait qu’ensuite le travail reprendra de toute façon.
Autrement dit, le patronat a juste à serrer les dents une journée.
Ça lui met aucune réelle pression pour céder des trucs.
Le patronat peut préparer des stocks pendant les journées de travail, qui lui permettent facilement de tenir pendant la journée de grève, et la production au final sera peu impactée (juste un peu retardée).
D’ailleurs à ce petit jeu il faut pas sous-estimer la fourberie des patron·ne·s : quand une grève est prévisible, iels font en sorte de préparer des stocks à l’avance pour être le moins impacté·e·s possible, les bâtards !
Un grand classique, c’est de remplir les stocks juste avant l’annonce d’un plan de licenciements, parfois en faisant faire des heures supplémentaires aux employé·e·s, histoire d’être bien préparée face aux grèves qui suivront l’annonce des licenciements !
Il faut pas oublier non plus que les entreprises dépendent souvent les unes des autres pour leur production.
Genre les produits transformés par l’usine Truc sont nécessaires à l’usine Bidule pour faire ses produits finaux, ce genre de trucs.
Et donc, des grèves reconductibles ont un potentiel de réaction en chaîne et de dégâts collatéraux dans d’autres entreprises bien plus importants que des grèves ponctuelles !
On va prendre deux cas de figures simplifiés.
D’abord des grèves ponctuelles dans différents secteurs, mettons cinq journées isolées dans un mois :
- la Poste et les transporteurs qui font grève une journée de temps en temps ?
Au pire le courrier et les livraisons des entreprises seront retardés de 24h, bon.
- Les cheminot·e·s font grève une journée de temps en temps : les employé·e·s qui dépendent du train pour aller au boulot ne peuvent pas y aller une journée, ou s’organisent autrement exceptionnellement.
Les entreprises dont le business dépend de la mobilité de leurs employé·e·s entre différents sites (qui sont nombreuses, et qui passent souvent par le train car ça leur revient moins cher) peuvent juste décaler les voyages de leurs employé·e·s de 24h.
- les employé·e·s de ménage qui font une grève une journée isolée : au pire l’hôtel peut loger les gens dans d’autres chambres qui ont été faites.
- etc.
Bref, en général la production retardée légèrement c’est un peu chiant pour le patronat, mais pas plus que ça.
C’est aussi plus facile de trouver des remplaçant·e·s pour les grévistes si on a une journée unique, en demandant aux non-grévistes de faire quelques heures sup’ ou de venir travailler un jour où iels auraient été de repos.
Et souvent le patronat a des stocks et des réserves pour tenir de toute façon.
Et en plus, faut pas oublier que le patronat n'a pas à payer les journées de grève (logique, vu que c’est des journées non travaillées).
Donc certes, ça retarde un peu sa production, mais il y a cette économie de salaires qui compense un peu, tant que la grève est ponctuelle.
Maintenant, prenons le cas d’une reconductible, par exemple cinq journées à la suite (donc toute une semaine de travail, du lundi au vendredi, si on compte en jours ouvrés) :
- dans les hôtels, il y aura pas de chambre propre du tout (et donc de possibilité d’accueillir les client·e·s du tout) pendant une semaine d’affilée.
Même s’il y avait un peu plus de chambres propres que de client·e·s au départ, sur une semaine ça suffira pas à compenser, donc l’hôtel sera obligé de refuser pas mal de client·e·s.
- dans les transports de marchandises : ça veut dire pas de courrier, ni de livraisons de matières premières pendant tout ce temps, donc ça bloque la production des usines !
(Ce qui peut aussi faire une réaction en chaîne, puisque comme je disais, certaines usines dépendent des produits transformés par d’autres usines, etc. ! Et donc retarder/empêcher la production de plein d’entreprises !)
- Pour les transports en commun, beaucoup moins d’employé·e·s viendront bosser plusieurs jours d’affilée, car iels ont besoin des transports en commun pour venir au boulot, et donc réaction en chaîne ici encore.
- Etc.
Et plus généralement, ce sera évidemment plus difficile de trouver des non-grévistes pour remplacer tout ce monde tout ce temps, parce que la quantité d’heures sup’ que les gens peuvent faire est pas illimitée, parce que les êtres humains ont des limites physiques tout simplement…
Notez bien que dans les deux cas, j’ai pris (exprès) un exemple où il y a cinq journées de grève en tout, soit éparpillées, soit à la suite.
Donc ça coûte la même chose aux employé·e·s en journées perdues au total dans les deux cas hein !
Mais le deuxième cas (la reconductible) coûte beaucoup plus cher au patronat que des petites grèves éparses !
En plus dans ce cas que j’ai pris, ça permet de faire le « pont » entre deux week-ends qui se suivent, donc ces cinq journées de grève bloquent et retardent la production pendant neuf jours au total !
Prenez ça dans les dents, bâtards de capitalistes !
Hm.
Bref, donc rien qu’une semaine d’affilée ça peut commencer à faire très mal. Et surtout, dans tous les cas, ça fait beaucoup plus mal que le même nombre de journées de grèves éparpillées !
La fluxtendutisation du capitalisme §
Il y a un autre truc important aussi à pas oublier : le fait que les entreprises ne peuvent pas avoir une trésorerie très importante ni de gros stocks en général, parce que ben, habituellement elles sont obligées de fonctionner en flux tendu, pour des raisons de compétitivité.
Dans un monde capitaliste, les entreprises sont encouragées à produire et à vendre vite, à vendre le plus tôt possible après la production, et si elles devaient stocker de la matière première ou des produits transformés pendant pas mal de temps plutôt que de les vendre rapidement, ça impliquerait toujours un coût et un manque à gagner par rapport à une vente immédiate.
Idem pour l’argent : garder plein de fric de côté, plutôt que de le réinvestir immédiatement, c’est un manque à gagner.
L’argent qu’elles ont et qu’elles ne distribuent pas en dividendes, les entreprises ont intérêt à l’utiliser le plus tôt possible pour produire, pour produire vite et au plus bas coût possible, et vendre le plus vite possible, parce que le contraire implique une perte de temps et de productivité.
Donc en temps normal, les entreprises ne peuvent tout simplement pas se permettre d’avoir trop de stocks ni de trésorerie inutilisée à cause de ça.
Si elles faisaient ça elles seraient moins compétitives que leurs concurrentes qui fonctionnent en flux tendu, donc le principe de concurrence du capitalisme les force presque toutes à fonctionner presque toujours en flux tendu le plus possible (à différents degrés bien sûr, selon les domaines d’activité et l’évolution de la demande, etc.).
Elles peuvent quand même faire des stocks au cas où, bien sûr, pour se préparer à une grève annoncée bien à l’avance, parce que c’est moins pire de leur point de vue que de subir de plein fouet les effets de cette grève !
Mais elles ont quand même intérêt autant que possible à fonctionner en flux tendu la plupart du temps, donc en général elles ne sont absolument pas préparées à faire face à des grèves-surprises par exemple !
META : bout où je simplifie et je généralise un peu trop ? à réécrire ou à modifier ?
TODO : Parler aussi du coût de l’arrêt des outils de production (s’il y a des coûts fixes notamment, même lorsque les machines sont à l’arrêt). Bien sûr en vrai la question des stocks ou du coût de l’arrêt des outils de production dépend totalement du domaine d’activité et ne peut pas forcément être généralisée autant que je le fais…
Des grèves généralisées §
Et ensuite il faut que la grève soit la plus généralisée possible, parce que plus il y a de monde et de secteurs qui font grève en même temps, plus ça coûte cher, et plus c’est difficile de réprimer tout ça !
Si vous avez peu de monde qui fait grève, c’est beaucoup plus facile de s’en prendre aux grévistes (soit par de la violence physique de la police, soit par des sanctions dans l’entreprise après coup, genre licenciement sous un prétexte bidon).
Mais si c’est l’ensemble des employé·e·s (ou presque), c’est beaucoup plus compliqué, bien sûr…
Aussi, si la grève est limitée à une seule entreprise (ou même à un seul secteur d’activité), bref à un nombre réduit de personnes, ça permet aussi souvent au patronat d’amortir les pertes (vu que souvent patron·ne·s sont actionnaires de plusieurs entreprises dans différents domaines et ont plusieurs sources de revenus, donc les gains dans un secteur d’activité peuvent compenser les pertes dans un autre).
Et puis, il faut pas oublier non plus qu’énormément d’entreprises font appel à de la sous-traitance de plusieurs boites différentes.
Donc si les employé·e·s de l’une ou l’autre de ces boites font grève, ben l’entreprise donneuse d’ordres demandera juste à ses concurrentes de fournir un peu plus d’heures de travail pendant cette période, et il y aura pas grand chose de fait.
Dans ces cas, il faut au minimum une grève sectorielle pour impacter sensiblement les profits.
Ici encore, comme partout ailleurs, l’individualisme n’est pas une option pour notre camp, et il n’y a que la solidarité qui fonctionne.
Donc notre meilleure chance d’obtenir quelque chose, c’est la grève la plus généralisée possible, et surtout reconductible : prolonger la grève tant qu’on n’obtient pas satisfaction.
Tous les jours, on prolonge la grève de 24h, tant que le patronat et le gouvernement ne cèdent pas.
Là, le patronat continue de perdre de l’argent tant qu’il cède pas.
Grosse pression pour céder !
Et tout ça, c’est sans parler du fait qu’une reconductible augmente les chances que d’autres secteurs qui n’avaient pas fait grève au départ puissent se greffer au mouvement en route, en se rendant compte que finalement il y a du monde, que ça fédère, etc.
Une grève reconductible c’est notre meilleure chance que la grève fasse tâche d’huile et s’étende, et d’aller vers une grève générale.
Bien sûr notre objectif à terme serait d’aller encore plus loin, et de remettre en cause ce régime politique illégitime, pour le remplacer par une démocratie directe, seule véritable démocratie, et abolir le capitalisme au passage.
Mais la grève générale c’est aussi le meilleur moment pour ça, car tout le monde a arrêté le travail, les gens relèvent la tête, les flics sont débordés par le nombre, le patronat et le pouvoir politique sont affaiblis.
La grève générale c’est là où on a le plus de chances d’avoir des révoltes à grande échelle qui se poursuivent et qui se nourrissent, une vraie solidarité qui s’installe, et une vraie remise en cause de la société injuste actuelle.
Même avant d’en arriver là, plus la grève est importante, durable, et inattendue, et plus elle fera mal au patronat, et donc plus on a de chances d’obtenir de choses.
Les grèves gênent les usagèr·e·s, c’est malheureusement inévitable, mais c’est pas le but §
Une autre remarque pendant que j’y suis, sur le fait que la grève gêne les usagèr·e·s (des transports en commun, des services de courrier et de livraison, du ramassage des ordures…), un truc que les capitalistes et leurs allié·e·s arrêtent pas de rappeler avec leur hyperbole bien dégueulasse comme quoi les grévistes « prendraient les usagèr·e·s en otage ».
Mais attention : contrairement à ce que cette formulation sous-entend, c’est absolument pas un but d’embêter les usagèr·e·s pour faire pression sur l’État, parce que l’État s’en fout évidemment que les gens soient bloqué·e·s ou emmerdé·e·s en général dans leur vie de tous les jours (ou ne puissent pas partir en vacances, etc.), tant que ça les empêche pas d’aller au travail produire des richesses pour le patronat !
Donc c’est pas un but de bloquer les gens, mais c’est un dommage collatéral inévitable par contre : si on veut coûter de l’argent aux capitalistes, et suffisamment pour les faire reculer, on n’a pas d’autre choix que de tout bloquer, et au passage ça impliquera presque toujours une gêne pour les usagèr·e·s, malheureusement.
Il y a pas vraiment de moyen de gêner les capitalistes sans gêner les usagèr·e·s, et souvent quand ce serait possible, c’est interdit ou découragé de plein de façons par la loi, et ce serait de toutes façons moins efficace.
Non je pense qu’il faut admettre que les grèves un tout petit peu efficaces impliquent presque toujours comme dommage collatéral une gêne pour les usagèr·e·s, et qu’on peut pas vraiment faire autrement.
Maintenant cette gêne, même si elle est instrumentalisée par la propagande capitaliste pour monter les gens contre les grévistes, reste on va dire « raisonnable » par rapport à l’enjeu des grèves : quand on prend un peu de recul et qu’on regarde les réformes qui tentent de repousser l’âge de la retraite par exemple, je pense que la plupart des gens préféreraient clairement sacrifier deux semaines de vacances une fois, plutôt que de sacrifier deux années de leur vie à être obligé·e·s de travailler plus longtemps, et le tout pour une retraite encore plus misérable, hein !
Ou sinon, un rapide coup d’œil vers le passé et toutes les avancées qu’on doit aux grèves (congés payés, fin du travail dominical, baisse du temps de travail (journée de 8h et tout), hausses de salaires… etc.) suffit pour se rendre compte que tout ça est immensément plus important que la gêne ponctuelle que la grève implique !
En fait à chaque fois que les capitalistes ont lâché des trucs et fait des compromis sur leurs profits pour traiter un peu moins mal les travailleurs·euses, c’est parce qu’iels y étaient forcé·e·s par des grèves.
Donc oui les grèves c’est parfois chiant et ça gêne les usagèr·e·s, et ça donne parfois envie de râler, c’est inévitable. Mais c’est largement moins grave que la violence du capitalisme qu’elles combattent !
C’est pas la rue qui gouverne, mais la grève §
Et il faut bien comprendre un truc : même si on entend souvent des appels à « manifester », à « prendre la rue », etc., ou à l’inverse, on entend les élu·e·s et les droitard·e·s répéter que « c’est pas la rue qui gouverne » (ce qui donne l’impression que ce dont iels auraient peur, c’est que les gens descendent dans « la rue », donc), en fait c’est pas tant que ça les manifs qui font plier les gouvernant·e·s et le patronat, mais bien la grève !
Alors OK, une manif hyper massive, ça peut vouloir dire un risque de révolution, et ça, ça leur fait peur.
Mais en pratique on en est pour l’instant loin, à la fois au niveau du nombre, mais aussi de la radicalité des participant·e·s (pour l’instant une bonne partie des manifestant·e·s ne sont pas vraiment révolutionnaires).
Tant qu’on n’en arrive pas là, les manifs ne coûtent pas tant d’argent que ça au patronat.
Même la casse ça coûte pas si cher que ça en fait hein (au pire quelques vitrines à remplacer de temps en temps, ça coûte quelques milliers d’euros une fois, donc bon c’est pas la mer à boire pour des grosses entreprises, et probablement pas comparable au manque à gagner de journées de production perdues à cause d’une grève).
Donc même si la classe politique et médiatique arrêtent pas de râler et de condamner les « casseurs » et tout, en fait au total les dégâts seront généralement assez faibles.
Et mutualisés en plus, vu que ces entreprises sont évidemment assurées…
Le coût de la casse en manif §
Par curiosité, j’ai cherché des estimations des dégâts des grosses manifs ces dernières années, histoire d’essayer d’avoir une idée :
- En quatre mois, les dégâts « en marge des défilés » des Gilets Jaunes, comme on dit, auraient coûté au total la somme de deux cent millions d’euros (d’après les sinistres déclarés aux assurances).
- le coût des trois semaines de révoltes urbaines de 2005, avec ses « plus de dix mille » véhicules brûlés et toutes les destructions, était estimé à 250 millions d’euros au total par la Société mutuelle des assurances des collectivités locales.
- Autre exemple, à l’échelle d’une ville : en 2016, après trois mois de manifs contre la loi travail, la ville de Rennes estimait le coût de la casse pour la collectivité à 300 000 euros en tout. J’ai aucune idée du coût pour les entreprises, mais vu que la plupart des vitrines sont barricadées, je suppose qu’il est probablement pas beaucoup plus élevé que ça au total.
Alors certes, ça a l’air d’être de chiffres impressionnants comme ça, mais c’est pas si important que ça en fait, quand on compare ça au budget du pays (pour la casse des quatre mois de Gilets Jaunes), ou d’une ville comme Rennes. D’autant plus que c’est pour plusieurs mois de manifestations à chaque fois…
Et puis c’est surtout un coût pour les collectivités tout ça, mais pas tant que ça pour les entreprises, donc c’est moins efficace pour faire pression sur le patronat évidemment.
(Et ces chiffres sont probablement un peu surévalués ou exagérés en plus, parce que bon l’idée est de bien blâmer les « casseurs » quand même.)
On me dira ptètre que tout ça c’est mieux que rien, et, bon OK, admettons.
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coût estimé d’une seule journée de grève de 2019 par la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) : 400 millions d’euros.
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estimation du coût d’une journée de grève de 2019, par l’Insee cette fois : « 0.2 points de PIB trimestriel » soit 1.5 milliards d’euros.
(Pour leur calcul iels considèrent une « baisse d’activité » d’environ 20 %.)
-
du coup, si on fait une règle de trois, on peut estimer au doigt mouillé le coût d’une journée de grève ramené à la population d’une ville comme Rennes.
Même en prenant le chiffre le plus bas, ça nous donne :
400 millions d’euros × 215 366 Rennais·es / 67.75 millions de Français·es ≃ 1.27 millions d’euros !
En une seule journée hein.
Alors certes, ces estimations varient beaucoup, elles sont elles aussi à prendre avec quelques pincettes, etc. je sais, mais on est quand même un ordre de grandeur au dessus du coût estimé de la casse en manif !
Et c’est logique en fait, quand on y réfléchit !
Parce que, même si on fait tout pour nous le faire oublier, ce qui produit toutes les richesses, c’est le travail des travailleurs·euses !
Et ce travail génère aujourd’hui quelque chose comme dix milliards d’euros de richesses (de PIB) par jour ouvré en France ! Donc arrêter le travail c’est arrêter cette immense production de richesses !
Et même si tout le monde ne s’arrête pas, c’est logique que ça fasse un manque à gagner énorme quand même !
Il a dû lire mon livre, et il nous encourage lui aussi à faire des grèves reconductibles ! Merci Jean-Eudes, c’est gentil !
Les révoltes doivent être massives pour faire peur à l’État et au patronat §
Alors, je précise ici, à tout hasard, que je ne condamne bien évidemment pas les actions violentes en manifestation ni la casse ! Je reviendrai plus tard, en fin de bouquin, sur la question de l’utilisation de la violence contre l’État, et sa justification, mais en attendant, on va dire pour simplifier qu’elle est très souvent justifiée.
Par contre je pense que la casse est souvent assez peu efficace en fait. Ça ne coûte pas tant que ça aux entreprises.
Après ça a peut-être d’autres avantages stratégiques en manifs hein, je sais pas, et c’est vrai que ça fait bien plaisir de voir des vitrines de grosses entreprises voler en éclats, ou des panneaux de pubs défoncés. Mais d’un point de vue purement économique en tout cas, les capitalistes s’en foutent probablement pas mal en vrai (même s’iels pleurnichent beaucoup).
Surtout, je pense que la casse n’est pas forcément « rentable » pour notre camp par rapport au risque pris.
Ça fait courir trop de risques à celleux qui la font, par rapport au coût assez faible qu’elle représente pour les bourgeois·es : si c’est pour se prendre des mois de prison (voire des années, vu à quel point les juges sont des ordures…), tout ça pour quelques milliers d’euros (peut-être, au mieux) de dégâts matériels par-ci, par-là, ça vaut peut-être pas le coup !
Après bon, évidemment, si c’était des préfectures et des commissariats brûlés, des supermarchés entièrement pillés par des foules en colère, des têtes de responsables politiques ou de grand·e·s patron·ne·s plantées au bout de piques, etc. là je dis pas, ça aurait probablement un peu plus d’impact, et l’incitation à faire des compromis serait peut-être légèrement plus forte pour les capitalistes.
Sauf que, d’une part, je ne peux pas cautionner ça officiellement, car l’incitation à la violence, c’est pas bien, et puis aussi, avant d’arriver à ça de toute façon, il faudrait des foules entières suffisamment en colère et radicales, et pas juste quelques poignées de personnes hyper-radicales dans leur coin, et pour l’instant on en est loin.
En gros : on ne peut pas compenser le manque de radicalité de la foule par plus de radicalité individuelle.
Notre but pour l’instant devrait surtout être d’attaquer les capitalistes là où ça fait le plus mal : au portefeuille, et avec la meilleure arme qu’on a : des grèves massives et reconductibles.
Et c’est aussi dans la grève que la conscience de classe viendra au plus grand nombre, et la radicalité avec elle.
Les manifs sont utiles quand même hein §
Bref, ça ne veut pas dire que les manifs seraient inutiles hein.
Bon, déjà elles peuvent permettre un peu de blocage de l’économie quand même.
Genre quand les routes sont bloquées, ben les camions qui doivent livrer les matières premières aux usines ou aux chantiers ne peuvent pas circuler, par exemple.
Et pas de matières premières, pas de construction.
C’est toujours ça de pris bien sûr.
Mais sauf que là aussi, ça va surtout juste retarder un peu le travail sur ces chantiers, seulement tant que la manif et le blocage durent.
Donc, à moins de se relayer pour bloquer les routes nuit et jour (ce qui implique aussi des grèves reconductibles pour le coup, parce que les gens qui travaillent ne peuvent pas en même temps bloquer les routes), l’impact sur l’économie sera assez minime.
En fait, les manifs permettent surtout aux travailleurs·euses de montrer leur force, de se regrouper, et aussi de prouver un peu le nombre de personnes qui contestent et qui font grève.
De montrer qu’il y a du monde qui participe et qui soutient le mouvement.
De montrer aux grévistes qu’iels sont pas isolé·e·s, mais nombreux·ses.
Ce qui est difficile de savoir autrement, vu que les directions des entreprises, et l’État et les médias, ont tendance à ne pas communiquer sur les vrais chiffres des grévistes, et à les minimiser…
Parce que s’il y avait que la grève, c’est à dire l’arrêt de travail, mais chacun·e dans son coin (genre en restant dans les usines) ce serait pas facile pour les travailleurs·euses d’avoir une idée de combien d’autres personnes qu’elleux font grève, notamment dans d’autres entreprises, et dans le pays entier, et encore plus difficile pour les non-grévistes.
Évidemment c’est pas les médias qui vont nous renseigner hein, vu qu’ils appartiennent au patronat et auront tendance à minimiser l’ampleur du mouvement, à prétendre que ça ne prendrait pas, que le mouvement « s’essoufflerait », etc. pour décourager les gens d’y participer !
Donc voir plein de gens dans la rue, c’est la preuve du nombre (vu que ces gens-là ont forcément arrêté le travail, s’iels sont dans la rue hein).
La preuve qu’énormément de gens veulent la même chose que nous, que contrairement à ce qu’on nous raconte, la politique qu’on combat est très impopulaire et rejetée par beaucoup de monde (et donc, illégitime), et que nos revendications rassemblent beaucoup de monde.
Donc c’est important.
Les manifestations sont importantes.
Mais c’est pas elles qui font plier les capitalistes, mais les grèves, parce que c’est ça qui leur coûte vraiment de l’argent.
Non, les Gilets Jaunes n’ont pas fait plier la Macronie (malheureusement) §
Un mot d’ailleurs sur une bêtise qu’on entend ou qu’on lit souvent, comme quoi les Gilets Jaunes auraient « plus obtenu en six mois que les syndicats en vingt ans » avec leurs manifestations, et qu’il faudrait donc les imiter et s’en inspirer, et s’inspirer de certains de leurs modes d’action, notamment les manifestations le samedi, qui seraient (supposément) mieux parce que plus de gens peuvent y participer que les grèves.
C’est des conneries ça, diffusées avant tout par des médias de droite (et malheureusement reprises sans remise en cause par beaucoup dans notre camp).
Donc en gros : dix-sept petits milliards, principalement pour des mesures qui visent à apaiser un peu l’électorat de Macron, et des mesures qui vont bénéficier au… patronat !
(C’est probable aussi qu’une partie de ces mesurettes étaient prévues de longue date en plus, pour adoucir l’image de Macron et préparer sa réélection, et ont finalement juste été étiquetées « Gilets Jaunes » et faites un peu en avance.)
Et tout ça, alors qu’à côté on nous carotte des dizaines de milliards d’argent public chaque année pour les donner au patronat et à la bourgeoisie sous forme de baisses d’impôts pour les riches et pour les entreprises !
Tu parles d’une victoire !
Attention, ça veut pas dire que les syndicats auraient obtenu quoi que ce soit hein.
Et effectivement ils ont obtenu à peu près que dalle en vingt ans (voire plus…).
Mais c’est pas parce que le principe de la grève ne marcherait pas, mais parce que les syndicats ne font pas vraiment ces grèves !
En fait, de la même façon que tout discours qui dit que les grèves seraient has-been ou ne fonctionneraient pas (ou plus) pour plein de raisons, et qu’il faudrait passer à d’autres modes d’action, comme ces manifs le samedi, ça vise à décourager les grèves, qui sont ce qui pourrait vraiment mettre à genoux le patronat !
Alors qu’en vrai c’est parce que les grèves ne sont pas reconductibles ni généralisées qu’elles ne fonctionnent pas, parce que les syndicats les sabotent.
C’est pas du tout le principe de la grève qui est inefficace (au contraire !) mais la façon dont elles sont organisées.
Mais bien sûr ce genre de discours tente de décourager ce mode d’action, parce que c’est celui dont la bourgeoisie a le plus peur !
Les stratégies des syndicats pour saboter les luttes sans en avoir l’air §
Bon, maintenant qu’on a vu que la corruption était largement répandue dans les syndicats aussi, et allait jusqu’au sommet, au point de concerner jusqu’aux directions syndicales, ce sera ptètre plus facile d’admettre ce que je disais plus haut, que le fonctionnement des syndicats était responsable de nos échecs répétés ?
On va être clair : à peu près l’ensemble des bureaucraties syndicales n’ont pas intérêt à mouvement social combatif, rien qu’à cause de leur position de bureaucrates, comme je disais, et une bonne partie de ces bureaucrates (notamment au sommet) sont carrément corrompu·e·s d’une façon ou d’une autre par le patronat (ou l’État) pour faire échouer les luttes, et font tout pour, en sabotant de toutes les façons possibles la plupart des tentatives de grèves dans notre camp !
Et maintenant qu’on a vu ce qui était une grève efficace, voir un peu comment les directions syndicales et la bureaucratie les sabotent en pratique.
On a vu que, pour être efficaces, il faudrait en gros des grosses grèves, les plus massives et coordonnées possible, avec le plus de monde possible, et surtout : que ces grèves soient reconductibles !
Et que font les syndicats ? §
Maintenant, que font les organisations syndicales, et surtout leurs directions ?
En gros, les syndicats font tout pour :
- qu’il y ait le moins de grèves possible, et
- quand il y en a, qu’elles soient le plus dispersées et inefficaces possibles, et surtout pas reconductibles !
Tout le contraire de ce qu’il faudrait, ça alors !
Pratiquement tout ce que les syndicats font vise à diviser autant que possible les luttes, et à les saboter de toutes les façons possibles pour qu’elles soient le moins efficaces possible :
-
déjà, très peu d’appels à la grève en général.
Si la base ne les pousse pas, les directions syndicales et orgas ne font tout simplement rien ou presque, ni pour réclamer des avancées (surtout pas !), ni même pour s’opposer aux attaques antisociales de l’État.
C'est pourtant pas les raisons de se mobiliser qui manquent, mais les directions font souvent comme si elles ne les voyaient pas, et ne voyaient pas ce qui se passe autour d’elles !
-
ensuite, faire traîner le plus possible.
Si ça râle trop et que la base du syndicat gueule, et qu’il faut donner l’impression de faire quelque chose, on peut toujours annoncer quelques actions, mais le plus loin possible : dans plusieurs semaines (voire plusieurs mois, parfois…), sous plein de prétextes.
Par exemple, pour « se donner le temps de se préparer », ou « parce qu’on ne connaît pas encore le contenu exact de la loi ».
Alors que bon, c’est pas comme si le gouvernement (n’importe lequel) te balançait loi antisociale sur loi antisociale en boucle depuis qu’il est là hein, comme tous ses prédécesseurs d’ailleurs, mais non faut absolument avoir le texte exact sous les yeux pour être sûr que ça va vraiment être de la merde et qu’on va vraiment vouloir se mobiliser contre…
On a aussi souvent des prétextes utilisés comme les fêtes ou vacances pour soit repousser (encore) une mobilisation, soit pour forcer une « pause » dans une mobilisation existante.
Genre la fameuse « trêve » de Noël (« on va quand même pas perturber les fêtes »), voire « on ne va pas perturber des vacances scolaires ». (Alors que bon, statistiquement c’est surtout les bourgeois·es qui partent en vacances le plus souvent en plus, mais bref.)
Et de toute façon, comme je le disais, la plupart du temps ça vaudrait le coup de « sacrifier » quelques semaines de vacances ponctuellement pour faire reculer des gouvernements sur des réformes antisociales qui vont nous voler littéralement des années de vie, comme un recul de l'âge de la retraite.
Ici les directions syndicales jouent sur la peur des grévistes que leur mouvement devienne impopulaire en gênant « trop » la population, pour dissuader les grèves.
Il y a plein d'avantages pour le pouvoir à faire traîner, notamment laisser l’apathie s’installer : comme personne ne semble réagir après l’annonce d’une dégueulasserie, ça donne l’impression que les gens accepteraient la réforme antisociale en cours.
En plus avec un peu de chance, si on fait assez traîner, l’actualité va ptètre finir par chasser cette dégueulasserie de la tête des gens pour la remplacer par autre chose, réduisant encore le risque de mobilisation.
Et puis, il y a aussi la question du calendrier parlementaire : en pratique on sait que les mobilisations se font le plus avant qu'une loi soit votée (parce qu'une fois la loi passée, plein de gens ont l'impression que ce serait foutu de toute façon, et donc ne se mobilisent plus).
Le gouvernement et la direction de la SNCF, aidés de syndicalistes de pacotille, ont essayé de faire passer la réforme des régimes spéciaux sans la grève […] Alors, pour réussir leur coup, ils nous promettent maintenant un mois de négociation, soit jusqu'à la veille de Noël. Ensuite, ce sera la période des fêtes, puis le mois de janvier - l'un des plus longs mois de l'année pour les petits salaires - Nous ne serons donc plus, comme aujourd'hui, en mesure de faire grève […]
Et malheureusement, c’est ce qui s’est passé. Ce sabotage réussira, et leur grève finira par être étouffée.
-
ensuite, même quand les syndicats sont plus ou moins forcés d’annoncer un peu des actions, ils ne font presque jamais d’appel à des grèves reconductibles bien sûr (ce qu’il faudrait, comme je disais), mais plutôt à des « journées de mobilisations » ponctuelles et isolées, et si possible le plus éloignées possible les unes des autres.
C’est les fameuses journées « saute-mouton », tous les dix ou quinze jours (ou plus…), histoire de laisser la pression retomber le plus possible et le découragement s’installer.
Un truc dénoncé depuis des décennies par tout le monde, et dont tout le monde sait que c’est démoralisant et inefficace hein, mais bizarrement les syndicats continuent avec la même stratégie.
Avantage de ça : ça sert à faire perdre des journées de salaire aux grévistes pour pas grand chose (vu que seule la reconductible impacte vraiment les entreprises, comme on l'a vu), et donc ça permet d’« user » en quelque sorte les grévistes, et de réduire leur capacité à se mobiliser dans la durée par la suite, si jamais iels arrivent finalement à imposer une grève reconductible !
(Ça sert aussi à gagner du temps et à faire traîner bien sûr, ici encore.)
Aussi ce qui se fait beaucoup, c'est de donner les dates des mobilisations futures au compte-gouttes, plutôt qu’à l’avance.
Il faut attendre le soir d’une journée de manifestations pour que les directions daignent donner une nouvelle date (souvent éloignée de plus d’une semaine).
Comme ça les gens qui se mobilisent un jour ne savent même pas si le mouvement va vraiment continuer ou s'arrêter après la journée actuelle, ni quand !
Voire carrément : laisser sans perspective, et ne pas donner du tout de nouvelles dates de mobilisation après une journée d'action…
Ici, pas de perspective et pas de plan de bataille = démotivation et démobilisation.
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autre astuce des fois, dans le même genre : appeler un peu à des actions, mais mollement, et surtout sans en faire la pub ni communiquer dessus : résultat, seul·e·s les militant·e·s syndicalistes et politiques seront un peu au courant qu'il y avait une mobilisation de vaguement prévue tel jour, et ça donnera des mobilisations en demi-teintes, avec pas grand monde (mais qui contribueront à fatiguer et à user les gens qui y participent quand même, et à leur coûter des journées de salaires encore, tant qu’à faire…).
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idem des stratégies de grève intermittente, comme ce qui avait été fait à la SNCF en 2018, soit deux jours de grève, suivis de trois jours de boulot, et à nouveau deux jours de grève, etc. le tout pendant trois mois, pour un total de trente-six journées de grève prévues !
Même s'il y a eu un essoufflement (logique), avec seulement 8 % de grévistes sur les derniers jours, le truc a dû coûter une blinde en journées de travail perdues aux grévistes qui ont participé, mais n’a pratiquement pas paralysé l'économie !
Quel gâchis !
Du coup, la grève a échoué, et le pouvoir n’a pas cédé grand chose, évidemment.
Maintenant, imaginez juste vingt journées de grève, au lieu des trente-six prévues (donc un peu plus de la moitié), mais à la suite ?
En ajoutant les week-ends, ça aurait pu faire jusqu’à trente jours de blocage continu de l’économie !
Un mois entier !
Mais le pays aurait été littéralement paralysé ! (ou presque)
La grève aurait été dix fois plus efficace niveau blocage, tout en coûtant presque deux fois moins aux grévistes au total !
Quand on sait que le prétexte pour imposer les grèves intermittentes est toujours le même : pour que ça coûte (soi-disant) moins cher aux grévistes !
C’est rageant.
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après si la mobilisation est vraiment trop forte, et ne peut pas être contenue, que les directions syndicales ne peuvent pas vraiment empêcher les grosses grèves, elles peuvent être plus ou moins forcées d'appeler à la grève reconductible, parce que vraiment trop de monde la réclame.
Mais dans ce cas, elles le feront ici encore le plus tard possible, après avoir laissé traîner le plus possible et épuisé le plus possible les travailleurs·euses par des journées de grèves éparpillées.
Les directions syndicales vont essayer de retarder la reconductible le plus possible, sous différents prétextes, pour laisser le temps aux entreprises de se préparer, de faire des stocks, de préparer de la main d’œuvre (soit le temps de recruter et préparer des briseurs·euses de grève, ou de s’arranger avec leurs employé·e·s non-grévistes pour qu’iels ne prennent pas leurs congés à ce moment-là, mais au contraire se préparent à faire des heures sup’, etc.)
C’est ce qui se passe à l'heure où j'écris ces lignes : les mobilisations de 2023 contre la réforme des retraites ont commencé par une première (grosse) manif le 19 janvier, puis quelques autres journées espacées, et il a fallu attendre le 7 mars, soit presque deux mois après le début de la mobilisation, pour que certaines fédérations finissent par appeler (timidement) à une reconductible…
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autre tactique efficace : diviser les travailleurs·euses par secteur d’activité, avec par exemple le principe bien pourri des grèves sectorielles calées sur des dates différentes, pour éviter qu’il y ait contagion !
Alors qu'il y aurait environ tout le temps des tas de raisons de faire front commun, on va au contraire appeler juste les travailleurs·euses de tel secteur à faire grève un jour, puis celleux de tel autre secteur à faire grève quelques jours plus tard.
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En plus de ça, les organisations syndicales peuvent être carrément complices de la stratégie de division du pouvoir.
Vous savez que, quand l'État veut faire rentrer dans le rang une partie des grévistes pour tuer un mouvement social, il peut lâcher parfois des miettes, ou des exceptions, sur les mesures antisociales, pour un secteur ou une branche donnée.
En mode : « bon OK votre secteur d'activité sera pas concerné par telle mesure pourrie, du coup vous pouvez arrêter la grève merci ».
Hé ben les syndicats encouragent souvent à accepter ça, encouragent souvent l’égoïsme à courte vue des gens d’un secteur ou d’une branche, avec des revendications uniquement corporatistes, et surtout encourager les gens à arrêter la grève dès que possible, dès que des (bouts de) revendications corporatistes sont satisfaites.
Quand vous avez un projet de loi antisociale qui menace tout le monde, plutôt que d’aller jusqu’au retrait de la loi (ce qui devrait être l’objectif), on fait en sorte que les secteurs arrêtent de se mobiliser dès qu’ils obtiennent une exception pour eux à la loi.
Bien sûr, dans les deux cas les gens de ce secteur ne sont pas touché·e·s par la loi, et donc iels peuvent avoir l’impression que ce serait plus simple comme ça d’arrêter tout de suite.
Et c’est vrai que dans l’immédiat, sur le court terme, ça leur coûtera moins cher.
Mais ça crée du ressentiment parmi les autres secteurs, et de la division des travailleurs, ça tue la solidarité. Et à long terme on y perd.
C’est par exemple une des raisons pour lesquelles il y a autant de différences de traitement entre la fonction publique et les travailleurs·euses du privé (genre seul jour de carence en cas d’arrêt maladie dans la fonction publique, alors qu’il y en a trois dans le privé, ce genre de trucs).
L’idée est de diviser les travailleurs·euses, et ici les fonctionnaires et les non-fonctionnaires, tuer les solidarités et créer du ressentiment.
(META : vérifier ? C’est quelle loi (et quand) qui a instauré ces trois jours de carence ?)
Mais bien sûr, c'est un gros piège et une arnaque, parce que même si, sur le court terme, ce secteur a l’impression de ne rien perdre, le but de ce genre de stratégie est de tuer la solidarité entre travailleurs·euses sur le moyen et long terme, et d’attaquer les conditions de travail globales et les salaires globaux.
En fait, même d’un point de vue égoïste, on y perd, pour deux raisons.
D’abord, parce que, même si on nous file des ristournes ou des exonérations pour notre branche, si une réforme antisociale passe quand même, en concernant presque tou·te·s les autres travailleurs·euses, ben le résultat ce sera que lors des prochaines réformes antisociales (qui arriveront inévitablement hein, dans quelques années, vu que tous les gouvernements ne font que ça), il y aura moins de monde dans la grève et dans la rue, moins de solidarité entre travailleurs·euses, et personne aura trop envie de soutenir notre secteur qui a « trahi » la mobilisation précédente quand il sera lui-même attaqué, évidemment… Et donc tôt ou tard, on se reprendra dans la gueule les conséquences de notre trahison…
Et ensuite, on y perd parce qu’en fait, dans un monde capitaliste, on est tou·te·s interdépendant·e·s, parce qu’on est tou·te·s sur le même marché de l’emploi (même si on l’oublie souvent).
Hé oui, c’est les mêmes personnes qui sont en concurrence pour les emplois dans les différents secteurs d’activité, sur le même marché de l’emploi global, et donc tout ça fait que, à moyen terme, les salaires et les conditions de travail de la plupart des gens s’équilibrent en fait plus ou moins !
Pour schématiser, si les salaires de tout le monde autour de vous baissent (sauf le vôtre), et que les conditions de travail de la plupart des gens empirent partout, sauf dans votre secteur d’activité, ben ce qui se passera dans les années à venir, c’est qu’il y aura plus de gens à se former (ou se reconvertir) dans votre branche (parce qu’elle sera devenue comparativement plus « attractive »), et donc vos employeurs·euses auront le choix entre plus de main d’œuvre potentielle… Et donc, ben, iels en profiteront pour tirer progressivement vos propres salaires et conditions de travail vers le bas, là aussi. L’offre, la demande, tout ça.
Donc voyez, la concurrence du capitalisme fait qu’on est en fait tou·te·s lié·e·s, tou·te·s dans le même bateau (même si on essaye souvent de nous le faire oublier), et tout ça fait qu’à terme, les conditions de travail et les salaires de la plupart des exploité·e·s se « suivent », que ce soit vers le haut ou vers le bas !
Ici encore on voit bien que jouer perso ne marche pas et est illusoire : notre intérêt à tou·te·s, sur le long terme, est à la solidarité !
La mise en concurrence et le nivellement par le bas ne servent jamais que les capitalistes, et il n’y a que le nivellement par le haut et la solidarité qui bénéficient au plus grand nombre !
Donc, pour revenir aux grèves, même d'un point de vue purement égoïste, la meilleure chose à faire serait toujours de continuer les luttes et de soutenir les autres secteurs d’activité, de soutenir les personnes plus précaires que nous-mêmes, et de tout faire pour entretenir le nivellement par le haut et la solidarité de tou·te·s les exploité·e·s entre elleux plutôt que de jouer le jeu de la division et de la mise en concurrence !
C’est un jeu où notre camp ne peut que perdre.
Sauf que les syndicats sont ici souvent complices du pouvoir donc, comme je disais, et encouragent plutôt la division des travailleurs·euses et l’égoïsme à courte vue, en encourageant souvent à la fin de la grève dans les secteurs qui obtiennent ces exceptions et ces miettes, plutôt que d'encourager à la solidarité de tou·te·s.
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autre astuce du duo gouvernements + directions syndicales : la technique du « chiffon rouge » (ou de la « ligne rouge »).
Proposer une grosse réforme avec plein de mesures antisociales dégueulasses, dont une ou deux encore plus dégueulasses que les autres, ou symboliques et plus faciles à comprendre que le reste, mais à laquelle le pouvoir ne tient pas tant que ça (ou sait qu'il ne pourra pas les faire passer de toute façon), avec l'intention de retirer ces mesures plus tard si ça râle trop.
Comme ça, pour mobiliser, les syndicats complices concentreront surtout leur discours sur cette mesure-là, qui sera présentée comme une « ligne rouge à ne pas franchir », et l'État pourra ensuite au bout d'un moment faire semblant de reculer un peu et de faire un compromis en retirant cette mesure à son projet de loi… ce qui servira ensuite aux directions syndicales complices de prétexte pour dire qu'on aurait « gagné » et fait éviter le pire, et que c'est plus la peine de se mobiliser !
Bien sûr le pouvoir savait dès le départ que cette mesure ne passerait pas, mais il a fait passer toutes les autres au passage et c'est ça qui est important.
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Un peu dans la même idée, il y a toute la logique de « négociation » avec le pouvoir :
Face à une proposition de loi dégueulasse, les syndicats vont « s’asseoir à la table des négociations », pour essayer (soi-disant) de trouver un terrain d’entente et un compromis avec l’État et le patronat, pour faire que la loi soit modifiée un peu pour la rendre moins pire.
Ici, comme pour le coup de la « ligne rouge », il y a en sous-entendu une logique libérale, comme quoi la seule chose qu’on pourrait faire contre l’exigence de compétitivité et le rouleau compresseur capitaliste, ce serait juste de l’amortir un peu, de réduire un petit peu sa violence sociale, mais sûrement pas l’empêcher totalement.
Et puis ça sert aussi au passage à asseoir la légitimité des directions syndicales (enfin, des gros syndicats) : puisque le pouvoir élu (donc légitime) les invite à discuter et à « négocier », c’est qu’elles sont indispensables.
Bien sûr c’est une énorme arnaque tout ça encore, et d’autant plus qu’on nous présente le truc comme si l’État était une sorte d’acteur vaguement neutre (ou qui aurait une volonté propre, mais indépendante du patronat en tout cas), et qui inviterait des représentant·e·s des employeur·e·s et des employé·e·s pour que tou·te·s ces gens s’entendent, comme des adultes responsables et bien intentionné·e·s qui n’auraient que l’intérêt commun comme objectif !
Sauf que l’État prend ses ordres du patronat je rappelle, et est toujours de son côté, et en pratique les directions syndicales aussi, pour les mêmes raisons (la corruption des leaders).
Donc tout ça est une arnaque d’un bout à l’autre !
En pratique tout ce beau monde doit juste discuter pour chercher ensemble les meilleures façons de faire passer les mesures voulues par le patronat sans qu’il y ait trop de grèves et de révoltes, et s’il y a vraiment des trucs qui sont « négociés » à ce moment-là, ça doit être surtout les recasages des leaders syndicales·aux et ce qu’iels vont bien pouvoir gagner en échange de leurs bons services…
Il doit y avoir encore quelques autres avantages à la « négociation », comme de faire traîner (encore), et de décourager les grèves en attendant (parce qu’« on sait pas encore ce que la négociation va donner ;-) »), ou encore, de faire passer pour trop radicales·aux les gens qui réclament le retrait total des mesures antisociales par contraste. « Regardez, nous on est raisonnables, on accepte de discuter, pas comme les autres, ces extrémistes qui veulent la grève et qui refusent de faire le moindre compromis ! »
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J’en oublie plein bien sûr, mais je peux pas tout lister hein.
Garder le contrôle des mobilisations §
Ici on m’objectera ptètre que « Mais pourquoi est-ce que les directions appelleraient à des grèves, même courtes, quand la base le demande, si elles étaient si corrompues que ça comme tu le prétends et qu'elles voulaient vraiment qu'il y ait pas du tout de grèves ni de rapport de force avec les capitalistes ? Elles pourraient juste ne rien faire et ne rien organiser du tout, et ce serait encore plus efficace pour lutter contre les grèves, non ? »
Hé bien non, justement, pour plusieurs raisons !
D'abord, parce que si elles faisaient ça tout le temps, de façon trop évidente, plus personne ne leur ferait confiance, et donc elles ne pourraient plus saboter efficacement les grèves !
C’est bien parce que les grévistes (ou suffisamment de grévistes, en tout cas) les suivent et leur font (un peu) confiance, que les directions peuvent saboter si efficacement, en fait.
Imaginez que les directions syndicales fassent toutes comme la CFDT, et s’opposent tout le temps frontalement à n'importe quelle initiative de grève, et soutiennent les intérêts des capitalistes de façon pas du tout subtile et trop évidente : elles se décrédibiliseraient, et au bout d’un moment plus personne les écouterait du tout !
La défiance envers les syndicats exploserait, et les gens s’organiseraient de plus en plus sans (voire contre) les syndicats.
Et quand les directions appelleraient à la reprise du travail, sous divers prétextes, ou tenteraient de saboter les mobilisations, hé ben ce serait bien moins efficace, parce que beaucoup moins de monde leur obéirait et les suivrait.
Il y aurait donc un risque qu’elles perdent le contrôle de ce qui se passe !
À l'inverse, en suivant quand même un peu la volonté de la base, et en appelant à des actions (qu’elles savent inefficaces), elles conservent un peu plus d'influence et de contrôle sur ce qui se passe.
En faisant comme ça, les directions syndicales ont juste l’air « tièdes » ou « timides » pour beaucoup de monde, voire ptètre un peu lâches, mais pas corrompues ni traîtresses (ce qu'elles sont pourtant !).
Et c'est important ça, parce que si les travailleurs·euses étaient conscient·e·s que les bureaucraties syndicales sont carrément des ennemies et qu’il n’y a rien du tout à en attendre, iels s'organiseraient contre elles, et autrement, comme je disais.
Mais tant que les gens croient que les directions mettraient juste un peu de mauvaise volonté, mais qu'en les poussant et les encourageant un peu, on pourrait les motiver, ben ça entretient l'illusion qu'on pourrait en attendre quelque chose.
Ça entretient l'illusion qu'on pourrait passer par elles, compter sur elles pour organiser nos luttes, même s'il faut les « pousser » un peu.
En gros, en faisant comme ça, elles ont l'air d'être quand même dans notre camp, mais juste pas assez combatives.
Et puis, en étant celles qui organisent les journées d’action et les grèves (voire même les grèves vaguement reconductibles, quand elles ne peuvent pas faire autrement), les directions conservent leur influence, pour une deuxième raison : parce que symboliquement elles sont celles qui ont impulsé le mouvement.
Symboliquement pour tout le monde, si on fait la grève tel jour et tel jour, c'est parce que les organisations syndicales (donc les directions) l'ont décidé et y ont appelé.
Si on commence une grève reconductible à partir de telle date, c'est aussi parce que les syndicats y ont appelé (même si la base les y a « poussés »).
Symboliquement, il faudrait donc continuer de les « pousser » à organiser ces grèves, et pas les organiser nous-mêmes.
De cette façon, les syndicats restent les initiateurs, restent en quelque sorte maîtres du calendrier et de ce qui se passe, plutôt que d'être dépassés, et que ce soit visible qu'ils sont dépassés !
Parce que si les syndicats étaient dépassés, et que ça se voyait, ça deviendrait ensuite beaucoup plus difficile pour eux de reprendre le contrôle du mouvement, et de faire arrêter la grève.
Au pire ça fait des trucs genre mai 1968, et les capitalistes sont évidemment pas super chauds pour que ça se reproduise…
Donc c’est primordial pour les directions syndicales, et pour les capitalistes qui les corrompent, que les travailleurs·euses continuent de leur faire confiance, le plus possible. D’où la nécessité de ce double jeu : d’un côté, tout faire pour freiner, de l’autre côté, donner l’impression qu’elles seraient combatives, ou au moins, aussi combatives qu’on pourrait l’être vu la situation.
Du coup, les directions syndicales essayent en permanence de trouver un équilibre entre freiner autant qu’elles peuvent, mais sans jamais être trop visiblement en opposition au mouvement.
Et donc ça implique de rester aussi à l’initiative de ce qui se passe, pour garder le contrôle.
Les apparences de la contestation §
C’est aussi pour ça que les directions syndicales font semblant de s’opposer un peu.
Elles doivent absolument passer pour contestataires pour que les grévistes suivent les stratégies (inefficaces) qu’elles proposent, sinon le sabotage des grèves fonctionnerait beaucoup moins bien.
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première technique : râler fort et critiquer beaucoup les lois proposées, avoir des mots très durs, dénoncer sans ambage, tenir un discours combatif.
Dire qu'on est très fort contre, et qu’on va peut-être se mobiliser, attention !
Mais sans organiser d'actions efficaces là non plus, et en se contentant soit de ne rien faire, soit d’organiser des actions qu’on sait inefficaces…
Même la direction de la CFDT le fait régulièrement, de dire qu’iels vont s’opposer, avant de rentrer dans le rang sous un prétexte ou un autre
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ensuite, comme on l’a vu, organiser des actions donc, mais les plus inefficaces possible, sous différents prétextes, pour épuiser les troupes et faire en sorte que la grève échoue, tout en donnant l’impression d’avoir tenté de combattre.
Par exemple on va prôner la grève intermittente sous prétexte que ça coûtera moins aux travailleurs·euses et permettra de tenir plus longtemps, et gênera moins les usagèr·e·s.
(Même si, comme on l’a vu, le résultat est que ça ne gêne surtout presque pas les entreprises, et coûtera au final plus cher aux grévistes qu’au patronat…)
Bien sûr, les syndicats vont essayer de faire passer ces actions pour radicales, avec des mots très forts et des slogans qui claquent, et un discours en apparence combatif et vénère, prétendre qu’on ira « jusqu’au retrait », qu’on veut « mettre la France à l’arrêt », ce genre de trucs, mais c’est que des mots.
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ensuite, plus fourbe, les syndicats peuvent revendiquer et s’attribuer les actions radicales de leurs militant·e·s les plus vénères et combatifs·ves, même s’ils ne les ont pas soutenu !
Souvent quand il y a un bout de grève locale organisée par des gens un peu radicales·aux (syndicalistes ou pas), les syndicats du coin peuvent rejoindre vaguement, mais ne pas y faire grand chose, voire le saboter carrément en coulisses !
Avoir « participé », même un tout petit peu et de loin, permet ensuite au syndicat de s’en attribuer le mérite : on aura peut-être vu tel ou telle dirigeant·e syndical·e connu·e venir sur les piquets de grève et faire une déclaration devant les caméras, et la plupart des gens n’auront pas le temps de creuser plus que ça.
D’autant plus que c’est surtout la parole des dirigeant·e·s syndicales·aux qui est relayée dans les médias, qui passent pour des porte-parole, mais rarement celle des grévistes… donc même s’il y a des grévistes critiques des directions syndicales, et qui voudraient dénoncer leur inaction, leur parole sera peu ou pas relayée, et donc peu ou pas entendue. Contrairement à celle des dirigeant·e·s…
Pour citer un passage de « Syndicats, corruption, dérives, trahisons » qui donne la parole à un syndicaliste :
Le militant signale aussi que les syndicats, « pour mieux maîtriser leurs délégués syndicaux, n’ont pas attaqué une jurisprudence qui oblige à une nouvelle désignation systématique après une élection. Cela permet aux organisations syndicales de remplacer un délégué quand elle le juge trop actif et qu’il gêne la relation devenue directe avec l’employeur… » La perversité peut aller jusqu’à ne rien lui dire jusqu’au dernier moment et faire coïncider le retrait de ses mandats et le licenciement, voire lui laisser faire le boulot pour préparer les élections syndicales, car sans lui ils n’obtiendraient pas la confiance des salariés… « Ils peuvent traiter parfois des équipes syndicales entières et sont même capables d’exploiter les combats menés par les militants engagés dans les entreprises et relayer leurs actions dans la presse interne et externe, pour donner l’image d’un syndicalisme actif alors qu’ils vont tout faire pour enterrer les dossiers. » (Syndicats, corruption, dérives, trahisons, p. 67-68)
Vous voyez le niveau de fourberie quand même ?
(META Par contre ce serait bien d’avoir des précisions sur la « jurisprudence » en question et ce qu’elle permet, et pourquoi elle a pas été attaquée ? Avec des exemples d’utilisation par les syndicats ? Je suppose que ça permet aux syndicats de révoquer un mandat n’importe quand, et de remplacer la·le délégué·e par un·e autre ? Si quelqu’un a des pistes…)
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Et puis, comme ça arrange les capitalistes que les syndicats gardent la confiance des masses, iels vont souvent les aider un peu à avoir l’air combatifs.
Vous savez qu’on a tout le temps des salves de critiques de mauvaise foi dans les médias contre les syndicats, qui feraient rien qu’à bloquer l’économie ?
Alors qu’en réalité les grosses orgas syndicales font tout ce qu’elles peuvent (au moins au sommet) pour que les grèves soient les moins efficaces possible et bloquent le moins possible l’économie !
On l’a vu dans le chapitre sur les médias, critiquer sans arrêt les syndicats et les logiques de grèves/blocages (même quand c’est des petites grèvounettes qui en pratique gênent peu), pour la bourgeoisie, ça vise bien sûr avant tout à décourager les grèves.
Mais ça a aussi l’avantage indirect de faire croire aux gens dans notre camp qui voudraient lutter et qui voudraient des grèves, que les syndicats seraient offensifs, et que ce qu’ils font gênerait vraiment les capitalistes !
En même temps, quand on entend à la radio ou à la télé des gens détestables (genre des politicien·ne·s de droite, des grand·e·s patron·ne·s, ou des éditorialistes chiens de garde…) taper sur les syndicats et s’en prendre (enfin, en apparence) à leurs cadres et leurs directions, qui seraient trop radicales et feraient rien qu’à empêcher les gentil·le·s patron·ne·s de produire des richesses et de créer des emplois, ça donne instinctivement envie de défendre ces directions et de faire bloc avec.
Et c’est logique.
Je pense pas que ce soit le but premier, mais c’est un effet du truc : ça nous donne l’impression que les directions syndicales seraient radicales et seraient dans notre camp.
Mais c’est encore un mensonge et de la mauvaise foi de tou·te·s ces gens-là, qui visent surtout à décourager tout discours vaguement de gauche et toutes les actions vaguement combatives, en les faisant passer pour trop extrêmes.
« Tu bluffes, Martinez ! Ta grève n'est pas chargée ! » §
Et puis, un autre aspect important auquel on pense pas forcément, c’est que, même si les dirigeant·e·s de ces syndicats ne défendent jamais que leur intérêt personnel, et surtout pas celui des syndicalistes ou des exploité·e·s en général qu’iels sont censé·e·s représenter, ces dirigeant·e·s ont malgré tout intérêt à ce que le mouvement social garde un vrai pouvoir de blocage potentiel.
Un pouvoir qu’iels n’utiliseront jamais pour faire réellement reculer les capitalistes hein, mais c’est important qu’iels le conservent ce pouvoir théorique, et cette possibilité de le faire.
C’est ça qui donne à ces dirigeant·e·s une valeur importante pour les capitalistes en fait, et qui fait que les capitalistes auront besoin de les acheter (genre à coups de recasages et/ou de corruption directe).
Si les syndicats et le mouvement social étaient totalement désarmés et n’avaient aucun pouvoir de blocage, les dirigeant·e·s syndicales·aux perdraient leur pouvoir de négocier des bons recasages et des bonnes places pour eux, et c’est ça qui les intéresse.
Autrement dit : les dirigeant·e·s syndicales·aux ne peuvent tirer un bénéfice personnel de leur position de dirigeant·e·s que tant que le mouvement social et leur syndicat ont un véritable pouvoir de blocage, et que les capitalistes en sont conscient·e·s.
C’est seulement à cette condition que les directions pourront négocier avec leurs corrupteurs (le patronat et l’État) des rémunérations, des pantouflages, et d’autres types d’avantages personnels contre le fait de ne pas utiliser ce pouvoir de blocage et de grève du syndicat (ou pas trop, juste de temps en temps histoire de donner le change à leurs troupes), et contre le fait de saboter les grèves en général.
C’est un peu comme si vous menacez quelqu’un avec une arme pour en obtenir de l’argent, mais que la personne en face pense que l’arme n’est pas chargée.
Ben elle vous donnera rien hein.
Il faut que vous prouviez d’abord que vous pouvez vraiment tirer, et ensuite vous pouvez « négocier » de ne pas le faire contre son argent.
Hé ben les syndicats et les grèves, c’est un peu pareil.
Pas de pouvoir de blocage = pas de possibilité de négocier de ne pas utiliser ce pouvoir en échange d’avantages…
Donc en mobilisant pour des grosses manifs inefficaces, les directions syndicales disent aussi au pouvoir : « regardez ce qui se passerait si on n’était pas là pour saboter les luttes et pour empêcher les travailleurs·euses de faire vraiment grève ! Vous voyez à quel point vous avez besoin de nous ? »
Même les rares fois où les syndicats sont un peu combatifs à grande échelle, ça permet à la fois de redorer un peu leur blason auprès de leurs troupes, mais aussi de rappeler au pouvoir politique et aux capitalistes de bien traiter leurs dirigeant·e·s.
META : reformuler (la section entière) pour simplifier, et en disant juste que le mouvement social est dangereux, et que ce que les directions vendent aux capitalistes, c’est leur contrôle sur ce mouvement, et le fait de pouvoir le saboter. Pas tant que leur syndicat, seul, serait puissant, mais juste qu’il a les moyens (avec les autres gros syndicats dont les directions sont corrompues) de tuer n’importe quelle mobilisation ?
Quelques exemples de sabotage §
Donc les directions syndicales ne sont pas dans notre camp.
Soit elles s’abstiennent d’organiser des grèves lorsque ce serait nécessaire et possible, soit elles sabotent carrément les luttes et les grèves.
Et ce n'est pas une exagération !
Ça a été analysé plus d’une fois, et il y a quantité d’exemples :
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1995 d’abord : les fameuses grandes grèves (les dernières en France à avoir vraiment fait reculer un gouvernement, il y a presque trente ans de ça quand même !)
La direction de la CFDT avait trahi ouvertement, et soutenu carrément la réforme du gouvernement.
Au début, FO et la CGT s’étaient contentées d’appeler à deux grèves de 24 heures isolées (le vendredi 24 puis le mardi 28 novembre) mais pas à la reconductible.
Un aspect important de ce mouvement, c’est que les travailleurs·euses se sont organisées quotidiennement en assemblées générales (AG) démocratiques un peu partout, qui ont entretenu et alimenté la dynamique du mouvement, ce qui a forcé la plupart des organisations syndicales à rester dans le mouvement jusqu’au bout (ou à y revenir, pour certaines qui avaient tenté de le quitter et d’appeler à la reprise du travail).
Surtout, si la grève a commencé à la SNCF, les grévistes ont tout fait pour qu’elle s’étende à d’autres secteurs, établissant et entretenant des contacts entre secteurs et entre des AGs de différents secteurs.
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2003, la grève commence à l’éducation nationale : des enseignant·e·s se mettent en grève reconductible dans plusieurs villes, épaulé·e·s par des syndicalistes combatifs·ves et certaines sections syndicales, là aussi en opposition à la stratégie des journées saute-mouton proposées par les centrales.
Minoritaires au début, les grévistes font là aussi des AGs, et inventent des « grèves marchantes », pour aller encourager des collègues d’autres établissements à se mettre en grève.
Des tentatives de coordination de ces AGs commencent à naître et à avoir de l’influence, et les grévistes de l’EN tentent de faire s’étendre le mouvement à d’autres secteurs par des distributions de tracts et des AGs interprofessionnelles, mais que les syndicats vont saboter ici encore.
La CFDT signe carrément un accord avec le gouvernement le 15 mai, et la CGT fait semblant de contester, tout en se contentant de proposer des journées de grève lointaines et isolées (le 25 mai puis le 3 juin), et surtout pas de reconductible.
Malgré ça, de nombreux·ses cheminot·e·s se mettent en grève le 13 mai, et reconduisent le lendemain dans les AGs, mais la CGT s’oppose frontalement à la reconduction de la grève, en allant jusqu’à envoyer des permanent·e·s un peu partout pour appeler les cheminot·e·s à reprendre le travail, sous prétexte de préparer plutôt la manifestation (sans grève) prévue le dimanche 25 !
Un des arguments utilisés est que les cheminot·e·s ne devraient pas se mettre en grève reconductible si les salarié·e·s du privé ne s’y mettent pas !
Sauf qu’il y a une différence entre dire que tout ne devrait pas reposer sur les cheminot·e·s (ce qui est évidemment vrai) et décourager par avance les tentatives de commencer une grève !
Pour construire une grosse grève, il faut bien que des gens commencent par faire grève (dans les secteurs les plus combatifs), pour que les autres les rejoignent.
La CGT a aussi fait en sorte d’avoir des AGs sectorielles autant que possible, et de décourager la présence de personnes extérieures (par exemple la venue d’enseignant·e·s dans les AGs de cheminot·e·s), pour éviter la contagion inter-secteurs, vu que c’était ça qui avait débordé les syndicats la fois précédente…
Les manifestations du 25 et du 3 sont finalement un succès, mais les syndicats tentent encore de limiter la grève.
Ils finissent par accepter la reconductible, mais avec interruption du 8 au 10 juin, et finalement appellent à reprendre le travail dès le 11…
Finalement, la grève s’arrêtera à la SNCF, puis dans l’Éducation Nationale.
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Ici, encore plein de stratégies classiques :
- décourager les grèves sous le prétexte hypocrite de « négociation » avec le gouvernement, un leitmotiv des directions syndicales en 2007, répété en boucle par les syndicats, alors que le principe était rejeté en bloc par la base (logiquement, vu que Sarkozy avait dit et répété très clairement que les trois points auxquels les cheminot·e·s étaient massivement opposé·e·s étaient non-négociables !),
- faire traîner là aussi, sous plein de prétextes : les syndicats ont attendu un mois après la déclaration de guerre de Sarkozy pour organiser la première journée de grève, le 18 octobre, puis ont attendu le 31 pour annoncer une suite prévue le… 13 novembre ! Avant, en novembre, de tout faire pour faire traîner un mois de plus sous prétexte de la « négociation ».
- beaucoup de sabotages des tentatives de grève. Alors que plusieurs fédérations appellent à la reconductible, la fédé CGT s’y oppose au nom de l’unité syndicale avec la… CFDT ! (alors que ce syndicat est totalement d’accord avec la réforme de Sarkozy !)
Des responsables syndicales·aux essayent d’empêcher la tenue d’AG par tous les moyens la veille et le jour des grèves, ou encore tentent de faire reprendre le travail en prétendant que la grève « s’effriterait » et qu’il vaudrait mieux garder ses forces pour « plus tard » (en sachant bien que le calendrier prévu des « négociations » longues ne permettrait pas de reprendre la grève),
- etc.
Résultat : beaucoup d’AGs très remontées contre leurs syndicalistes, et dénonçant ici encore leurs trahisons, mais le sabotage finira par réussir…
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2010 : les confédérations n’appellent pas à la grève générale reconductible non plus et ne font rien pour qu’elle ait une chance d’avoir lieu évidemment, se contentant là encore d’enfiler des journées d’action isolées et inutiles.
Quatorze journées d’action isolées en tout entre mars et novembre 2010 !
En octobre, après quatre journées de manifestation assez rapprochées, qui avaient chacune rassemblé trois millions et demi de personnes, preuve que les gens étaient combatifs·ves et voulaient en découdre quand même, les confédérations laissent le mouvement sans perspective le soir du 19, et attendent le 21 pour annoncer des nouvelles dates, bien éloignées (le 28 octobre et le 6 novembre) !
Bien sûr, avec un calendrier aussi démobilisateur, l’épuisement dû aux nombreuses journées de mobilisation, et l’absence d’appel à une grève reconductible, la mobilisation du 28 sera en baisse importante, et marquera le début de la fin du mouvement…
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Et à l’heure où j’écris ces lignes (mi-mars 2023), c’est la grève contre la réforme des retraites de la Macronie !
Et on retrouve encore pas mal des stratégies pour faire traîner que je détaillais en fait : d’abord attendre, car on connaît pas encore le contenu de la loi, puis des journées saute-moutons : une première le 19 janvier, puis le… 31 janvier, puis à des dates légèrement plus rapprochées, les 7, 11 et 16 février (mais toujours pas d’appel à la reconductible bien sûr…), et puis, oh zut pas de chance ! il y a les vacances de février ! Et donc comme ça gueule quand même beaucoup à la reconductible, certaines fédérations vont finalement y appeler, mais ce sera pour le… 7 mars (presque deux mois après le début du mouvement !).
Et ici encore c’est pas parce que la base serait pas motivée, comme on l’entend souvent :
- il y a une très forte opposition de la population à la réforme (entre 66 % et 72 % des sondé·e·s étaient contre, selon les sondages)
- fin février, 54 % des gens étaient favorables à des grèves reconductibles
- les journées de mobilisation du 31 janvier et du 7 mars ont battu des records de participation, et même dépassé les records de 1995, donc encore une fois il y a du monde qui veut riposter (ce qui est pas étonnant vu la haine pure que suscitent Macron et son équipe, et la violence de leurs attaques antisociales contre notre camp !).
Bref on sait pas encore ce que ce mouvement va donner, mais il y a déjà de quoi en vouloir aux directions syndicales.
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Ici, le président de l’UTLA (United Teachers Los Angeles, le syndicat des profs), Alex Caputo-Pearl, est allé « négocier » à huis clos avec Austin Beutner (le directeur du district scolaire, l’entité qui gère les établissements scolaires du coin, favorable à la privatisation), dans le bureau du maire démocrate de Los Angeles, Eric Garcetti, qui a servi d’intermédiaire.
Maire dont la campagne électorale avait été financée par… Eli Broad, un milliardaire connu pour son lobbyisme en faveur la privatisation des écoles !
Et après la signature de l’accord par son président le 22 janvier, l’UTLA s’est dépêché de faire voter les profs pour cet accord, dans la précipitation, alors qu’iels étaient encore sur les piquets de grève.
Le syndicat a laissé à peine deux heures aux profs pour lire ce document de quarante pages et voter pour ou contre, alors que le syndicat négociait le truc depuis presque deux ans !
Évidemment, en si peu de temps, c’était pas possible de lire et d’analyser le contenu de l’accord dans le détail, et donc les profs avaient pas trop d’autre choix que de faire confiance au syndicat.
C’était un moyen de les forcer à le voter, et quand iels se sont rendu·e·s compte de l’arnaque après coup, c’était trop tard le vote était terminé.
En pratique bien sûr, l’accord ne contenait aucune vraie avancée, mais le syndicat a réussi à faire arrêter la grève grâce à ça, en le présentant comme une victoire.
Une constante qu’on retrouve presque à toutes ces époques et un peu partout, c’est le contraste entre les discours combatifs en apparence de la part des leaders syndicales·aux, notamment dans les médias, alors que dans les actes, les organisations ne font souvent aucun travail pour que les mouvements sociaux s’étendent (au contraire, elles freinent…), et quand des grèves un peu combatives sont organisées, c’est le plus souvent grâce à des syndicalistes de la base, ou à des travailleurs·euses non syndiquées…
D’ailleurs, si on reprend l’exemple de 1995, on peut même se demander s’il y a pas un lien de cause à effet entre la trahison ouverte de la direction de la CFDT et la désobéissance des militant·e·s.
Est-ce que c’est pas le fait que la trahison de la direction de la CFDT ait été tellement visible qui aurait aidé à décider ces syndicalistes à s’organiser sans et contre les structures syndicales en place de leur propre syndicat, comme je le disais ?
Si ça se trouve, si la direction de la CFDT avait plutôt fait semblant de s’opposer un peu et d’appeler à quelques journées d’actions avec les autres syndicats, peut-être que les militant·e·s CFDT vénères n’auraient pas sauté le pas de s’opposer à leur direction ?
Ou que moins l’auraient fait en tout cas…
Parce que nos choix, même nos choix importants, ne tiennent pas toujours forcément à grand chose, parce qu’on peut être tiraillé·e·s entre plusieurs choses, et hésiter.
Et sauter le pas de quitter une orga dans laquelle on a milité des années, dans laquelle on a des camarades et des ami·e·s, ou sauter le pas de s’opposer frontalement aux cadres de l’orga dans laquelle on milite, et de s’organiser contre elleux, c’est pas facile, et c’est justement le genre de trucs pour lequel on peut hésiter à sauter le pas.
C’est le genre de trucs pour lesquels une trahison trop frontale de ces cadres va aider en fait, paradoxalement, parce que ça va nous donner une raison de partir, ça va en quelque sorte nous confirmer ce qu’on sent au fond de nous mais qu’on veut pas admettre : que c’est la seule solution, même si c’est désagréable.
Alors que si la trahison de ces cadres n’est pas flagrante, ce sera plus difficile d’admettre tout ça.
Ça illustre ce que je disais plus haut : à quel point c’est important pour les directions syndicales de préserver les apparences de la combativité. Quand la trahison est trop évidente, ça risque juste d’avoir l’effet inverse, et d’encourager finalement les gens à s’organiser sans (ou contre) les directions…
Le déni et les stratégies de défense de la bureaucratie §
Désolé je vous ai ptètre saoulé·e avec mes tas d’exemples, mais faut bien voir que c’est en fait qu’une petite partie des affaires de corruption connues impliquant des cadres d’organisations syndicales…
Et c’est probable que, comme pour la corruption des politicien·ne·s, les affaires qui finissent par être connues ne représentent qu’une petite partie des affaires au total, et que la plupart des affaires de corruption resteront aussi ignorées du public, vu que ça se fait dans l’ombre !
J’ai voulu citer beaucoup d’exemples pour bien montrer que c’était pas des exceptions, parce qu’il y a un vrai déni de tout ça dans notre camp, voire même des réactions hostiles face aux critiques des syndicats et de leurs directions corrompues, et en particulier parmi nos camarades syndicalistes bien sûr, et il faut absolument qu’on s’attaque à ce déni, sinon on n’arrivera à rien !
En même temps, c’est logique hein, et on peut pas vraiment leur reprocher.
Les syndicats et les grévistes sont en permanence la cible d’un million d’attaques injustes et de mauvaise foi de la droite et des médias, tous les quatre matins, comme quoi les grévistes « prendraient les usagèr·e·s en otage » et bloqueraient l’économie en s’en prenant aux pauvres patron·ne·s si sympas, etc. bref vous connaissez la chanson vu que les médias des capitalistes nous rebattent les oreilles avec en permanence.
Tout ce beau monde se jette d’ailleurs hypocritement sur n’importe quelle affaire de corruption dans les syndicats qui est révélée dans la presse pour dénigrer les syndicats et le syndicalisme en bloc, tout en épargnant hypocritement les corrupteurs·trices : le patronat et l’État !
Des critiques particulièrement énervantes (même quand on n’est pas syndicaliste), donc c’est pas exactement étonnant que les syndicalistes en aient un petit peu ras le bol et soient sur la défensive.
Les syndicats sont des outils de lutte, donc c’est naturel de vouloir les protéger, évidemment.
Malheureusement je pense que c’est contre-productif de jeter toutes les critiques en bloc avec l’eau du bain, parce que justement, la bureaucratisation des syndicats, la corruption qui va avec, et toutes les trahisons des luttes que ça entraîne, fragilisent les syndicats et dégoûtent les gens d’y aller (ou d’y rester), encore plus que les critiques ou la propagande capitaliste !
Donc si on n’arrive pas à regarder en face les problèmes qui existent et à admettre les causes de ces problèmes, on ne pourra pas avancer.
En refusant de s’attaquer à la source du problème par volonté de « protéger » les syndicats, on les laisse en fait continuer de couler !
Bien sûr la plupart du temps, le discours et les arguments qui tentent de dédouaner la bureaucratie syndicale pour les échecs des grèves viennent des bureaucrates elleux-mêmes, hein, vu qu’iels défendent leur bout de gras, et que leur intérêt immédiat est que le fonctionnement des orgas et le statu quo ne soient surtout pas remis en cause…
Le problème, c’est que leurs arguments convainquent beaucoup de monde et sont repris même par la base, par des syndicalistes sincères, alors que l’intérêt de ces syndicalistes sincères (comme le nôtre en général) serait d’assainir au plus vite le fonctionnement de leur propres organisations.
Et donc, c’est important de répondre aux principaux arguments.
Stratégie : dénigrer les critiques §
Première stratégie des bureaucraties syndicales pour se protéger : dénigrer les critiques.
D’abord, dénigrer les critiques par des attaques personnelles contre celleux qui les font, prétendre que ces critiques viendraient uniquement de gens de droite, antisyndicalistes et de mauvaise foi, qui voudraient nuire au syndicat et au syndicalisme dans son ensemble, histoire de décrédibiliser les gens qui émettent des critiques sans avoir à répondre sur le fond.
Bon il faut reconnaître que des gens de droite de mauvaise foi (dont la presse patronale) qui sautent sur la moindre occasion pour taper en vrac et sans subtilité sur les syndicats et le syndicalisme en général, c’est pas ça qui manque, comme je le disais. Certes.
Mais encore une fois, jeter les critiques légitimes avec celles de mauvaise foi, ça ne fait pas avancer les choses !
Pour répondre par avance à cette objection : je ne suis pas du tout anti-syndicaliste.
Et je ne critique pas le fonctionnement des syndicats pour nuire aux luttes, évidemment, mais au contraire, pour qu’elles soient plus efficaces !
Je me demande d’ailleurs si on ne pourrait pas voir en creux dans cette défense une sorte de « prise en otage » (hahaha) de l’organisation par la bureaucratie, en fait : « Attention, les gens qui critiquent tel ou telle responsable de notre syndicat, la direction, ou la bureaucratie en général, l’absence de transparence sur où va l’argent, le manque de démocratie interne, etc. tou·te·s ces gens veulent en fait juste nuire au syndicat lui-même ! Ne les écoutez pas, et surtout ne remettez jamais en cause les cadres et les bureaucrates, ni le fonctionnement actuel, sinon ça affaiblira notre syndicat ! »
Un peu le même argument que pour faire taire les critiques dans les partis, finalement.
Notez d’ailleurs que sur les critiques que je fais dans ce chapitre, y en a pas beaucoup que j’ai inventées en fait !
Beaucoup viennent de syndicalistes radicales·aux (ou d’ex-syndicalistes) déçu·e·s et écœuré·e·s par les trahisons des directions de leurs orgas, qui ne sont certainement pas anti-syndicalistes non plus donc, mais voudraient des syndicats combatifs et vraiment au service de notre camp social, et pas juste au service de leurs cadres !
Et là c’est juste pour citer une figure un peu connue, mais des syndicalistes « de la base » qui sont critiques des directions, il doit y en avoir des pelletées ! (même si leur parole est rarement relayée)
Argument : prétendre que les problèmes se limiteraient à certains syndicats §
Autre stratégie de défense : dire que la corruption et les trahisons, OK ça existerait peut-être, mais ce serait limité à certaines orgas, genre les syndicats ouvertement jaunes.
En gros : « Bon OK la CFDT elle sabote, mais c’est parce que c’est des jaunes et des sociaux-traîtres (ou, variante : parce qu’iels seraient économiquement libérales·aux), mais pas la CGT quand même ! »
Ici l’idée est donc de profiter de l’existence des orgas ouvertement jaunes, comme la CFDT, dont les cadres trahissent les luttes ouvertement et de façon évidente et décomplexée à peu près tout le temps, pour faire apparaître les autres syndicats comme plus combatifs par comparaison.
En même temps c’est sûr que quand on voit certaines initiatives ridicules de la CFDT (
comme des appels à aller faire « grève » tout en travaillant, c’est à dire… à aller travailler normalement, mais en se contentant de porter un brassard avec marqué « en grève » dessus !), le contraste avec des orgas comme la CGT ou FO, qui tiennent un discours d’opposition souvent assez combatif (en apparence), et qui organisent quand même des journées d’action de temps en temps, on a l’impression qu’au moins ces syndicats-là
essayeraient de faire quelque chose, même si ça ne marche pas malheureusement…
Mais ici encore c’est une illusion, et c’est juste que les trahisons de ces syndicats-là sont un peu moins évidentes, comme on l’a vu.
Un sabotage plus subtil, à petit feu, en se « contentant » de ne pas alimenter la grève, de ne surtout rien faire pour qu’elle réussisse, et avec des petites actions de sabotage plus subtiles ici et là pour pas que ça se voie trop, et des stratégies qui visent à éparpiller les forces des grévistes et saper leur moral petit à petit avec des calendriers démobilisants, etc.
Tout faire pour que la grève échoue, tout en tenant hypocritement un discours combatif.
Mais faut pas se laisser avoir par ça : c’est comme les politicien·ne·s qui prônent un truc parce que c’est ce que leur électorat voudrait, mais font tout le contraire !
On admet que des politicien·ne·s peuvent faire le contraire de ce qu’iels prétendent, pourquoi est-ce qu’on admettrait pas ça de responsables syndicales·aux ? Pourquoi est-ce qu’on croit qu’iels seraient meilleur·e·s ?
Je veux dire, il suffit de reprendre les exemples que j’ai cités :
- Thierry Lepaon et tout le fric qu’il a récupéré (avec le soutien des autres bureaucrates de l’orga, je rappelle) et ses mensonges pour se justifier.
- Ou Philippe Martinez, avec son hold-up électoral (puis le recasage des gens qui l’avaient aidé à faire ce hold-up), la façon dont lui et le reste de la direction de la CGT traitent leurs propres employé·e·s, et sa défense de son prédécesseur.
- Ou les cadres de FO, qui décident de se rémunérer super cher et de s’accorder des notes de frais faramineuses…
Et c’est qu’un aperçu hein, et largement représentatif du comportement des bureaucrates en général !
Ben voilà le genre de personnes que le principe des élections met à la tête des orgas qui sont censées défendre nos intérêts et coordonner nos luttes !
Comment croire que des gens qui font ce genre de choses vaudraient mieux que les politicien·ne·s, ou en auraient quelque chose à faire de nos luttes, en fait ?
Que leur parole et leurs discours combatifs auraient la moindre sincérité ?
En fait, l’existence des gros syndicats ouvertement jaunes comme la CFDT, ça arrange ptètre pas mal de monde, finalement :
-
d’abord, ça arrange les autres syndicats, qui peuvent avoir l’air combatifs à peu de frais par comparaison, donc.
-
mais ça arrange aussi le patronat, deux fois en fait !
Une première fois, parce que l’existence de ces syndicats jaunes permet de tirer le discours syndical et politique vers la droite et vers l’absence de contestation en général : vu l’énorme relais médiatique de ces syndicats ouvertement traîtres, ça banalise un discours de « collaboration de classe », où il faudrait surtout pas s’opposer au patronat.
Ce qui va délégitimer par contraste tout discours un tout petit peu combatif…
Du coup, le patronat « récompense » aussi souvent les membres des syndicats les moins combatifs·ves, histoire d’encourager les gens à aller dans ces syndicats de préférence, plutôt que dans les autres.
-
Mais ça arrange le patronat une deuxième fois, parce que comme ça les autres syndicats (comme la CGT donc, ou FO) peuvent avoir l’air plus combatifs par comparaison, donc, sans avoir à faire grand chose (et sans avoir besoin d’être vraiment combatifs).
Il suffit à ces syndicats de tenir un discours un peu contestataire (en apparence), et d’organiser des actions inefficaces de temps en temps, et comme ça, pouf, la plupart des gens continueront de leur faire (un peu) confiance !
Ce qui est essentiel pour que ces syndicats puissent continuer de saboter efficacement les luttes, comme je le disais.
C’est pour ça que j’ai pris un peu plus d’exemples de corruption et de problèmes à la CGT d’ailleurs, et ptètre un peu moins sur d’autres orgas, comme FO ou même la CFDT : pas parce que je détesterais plus particulièrement la CGT, ni les cégétistes en général (ce serait absurde), ni parce que ce syndicat serait pire que les autres, mais parce que c’est le principal grand syndicat qui passe pour contestataire aujourd’hui, et auquel les gens font un peu confiance dans notre camp, et que c’est important de faire admettre que le problème est partout et ne se limite pas aux endroits où c’est le plus visible comme la CFDT.
Les problèmes de ces syndicats ne sont pas des « dérives » individuelles, mais le résultat mécanique de leur fonctionnement sur un modèle électoral et de la délégation de pouvoir qui va avec.
Et ces problèmes toucheront tous les (gros) syndicats, mécaniquement, tant qu’on ne remet pas en cause ce fonctionnement.
Argument : « c’est là où les syndicats sont les plus implantés qu’il y a le plus de grèves » §
Un autre argument, c’est qu’il y a en fait plus de grèves et les gens sont en moyenne plus combatifs·ves dans les entreprises où les syndicats sont implantés que dans les autres, et ce serait donc la preuve (supposément) que les directions syndicales ne freineraient pas, et que les critiques contre les orgas syndicales seraient infondées.
Mais malheureusement non.
Tout simplement parce que les syndicats ne sont pas des gros blocs monothil… monolini… motoli… enfin bref des gros blocs uniformes quoi, où tout le monde serait d’accord, mais qu’ils sont, eux aussi, traversés de rapports de force.
Je le répète : il y a plein de gens combatifs·ves dans les syndicats et plein de syndicalistes sincères et vénères, en particulier à la base.
Et en plus, c’est logique aussi, quand on veut s’organiser et défendre ses droits dans une entreprise face au·à la patron·ne, que le premier réflexe soit de passer par les syndicats !
Tout ça implique que 1) les sections syndicales apparaissent le plus dans les entreprises où il y a déjà des gens combatifs·ves, et 2) quand des syndicats sont implantés, il y a assez souvent au moins quelques syndicalistes sincères et combatifs·ves, ce qui peut entraîner quand même un peu le reste des travailleurs·euses de l’entreprise à l’être aussi.
Mais il faut se méfier, parce que c’est pas parce qu’on a des syndicalistes combatifs·ves à un moment que ce sera le cas l’instant d’après, car même les sections créées par des gens sincères peuvent se bureaucratiser progressivement, et les syndicats peuvent aussi parfois révoquer les mandats de leurs délégué·e·s trop combatifs·ves et gênant·e·s, et les remplacer par d’autres plus conciliant·e·s !
(Notez qu’on peut aussi avoir des gens qui sont sincères et combatifs·ves au départ, qui commencent à s’organiser, à créer une section syndicale, avec au départ le vrai espoir de faire des grèves et de faire plier la·le patron·ne, etc. Et puis quand leur patron·ne leur propose finalement des pots-de-vin, ces syndicalistes qui étaient sincères au départ finissent par changer d’avis et se disent que bon, « après tout, c’est ptètre pas si grave d’accepter, n’importe qui d’autre le ferait à ma place hein ;-) », et retournent leur veste.)
Mais plus généralement, les directions syndicales n’ont pas un pouvoir absolu, ni sur l’ensemble des syndicalistes (qui ne sont théoriquement pas sous les « ordres » de la direction du syndicat), ni sur les grévistes en général.
La relation entre la direction et la base n’est pas purement hiérarchique, mais est traversée de rapports de force, donc.
(Même si en vrai, les directions ont toujours un énorme ascendant du fait de leur légitimité d’élu·e·s et de leur position centrale.)
Donc c’est pas un contrôle parfait que les directions syndicales « vendent » aux capitalistes qui les corrompent, mais plutôt une influence importante.
Les directions ne peuvent jamais garantir qu’il n’y aura pas de grève (à petite comme à grande échelle), mais elles peuvent faire pencher fortement la balance dans le sens de « moins de grève ».
Argument : « organiser des grèves c’est difficile, et il y a plein de paramètres extérieurs aux syndicats qui les découragent » §
Ensuite, autre façon de minimiser la responsabilité des organisations syndicales : expliquer que si les mobilisations échouent, ce serait à cause de plein de facteurs extérieurs sur lesquels elles n’ont aucun contrôle, mais surtout pas la leur !
En vrac :
- ce serait la faute des travailleurs·euses qui ne seraient pas (ou plus) combatifs·ves, seraient démotivé·e·s, fatalistes, « n’y croiraient plus » de toute façon, et qui ne voudraient pas faire grève
- ou alors qui voudraient bien, mais ne pourraient pas se le permettre, vu le coût de faire grève… ou le risque de sanctions (risque de perdre son emploi par exemple…)
- sans parler de leur isolement, notamment pour les « travailleurs·euses indépendant·e·s », auquel le patronat fait de plus en plus appel, tant qu’il peut (genre Uber). Un isolement qui rend plus difficile de créer des solidarités, et de s’organiser ensemble dans un but commun…
- et puis il y a aussi une dépolitisation et une absence de conscience de classe, dues à la propagande libérale, qui font que les gens ne contestent même plus le capitalisme, et se satisferaient carrément de leur statut d’exploité·e·s !
Et en fait, tout ça est… en partie vrai.
Oui il y a tous ces éléments (et d’autres), qui ne sont pas dus aux syndicats, et qui sont des vrais obstacles pour notre camp pour organiser des grèves, et tout n’est évidemment pas de la faute des directions syndicales.
Au passage, tout ça permet aussi de dénigrer encore les gens qui critiquent, comme si on s’imaginait que ce serait facile d’organiser des grosses grèves.
On a plein de formules toutes faites, du genre « Une grève générale, ça ne se décrète pas », ou le fameux « Philippe Martinez n’a pas un gros bouton rouge “grève générale” caché dans son bureau sur lequel il refuserait d’appuyer hein ! ;-) » histoire de bien dire que les syndicats n’auraient pas un contrôle absolu sur ce qui se passe et tout, et ne voudraient surtout pas donner des ordres aux travailleurs·euses, oulàlà vous pensez !
Sauf que ça, c’est caricaturer pas mal la critique qu’on fait, pour pouvoir y répondre plus facilement !
À peu près personne ne prétend qu’organiser des grandes grèves, générales et durables, ce serait facile, ni qu’il y aurait une recette miracle et infaillible pour le faire.
Ce qu’on dit par contre, c’est que, sur tous les paramètres qui font les chances d’un mouvement social de réussir ou d’échouer, la combativité des organisations syndicales est centrale, parce que c’est elles qui sont en position d’organiser et de coordonner notre camp à grande échelle, mieux que n’importe qui d’autre, que c’est censé être leur responsabilité, et qu’on a besoin de se coordonner et de s’organiser à grande échelle pour être efficaces collectivement !
Les syndicats ont beaucoup de légitimité, donc beaucoup de gens les suivent, c’est comme ça.
Et donc, s’il y a effectivement tous ces facteurs extérieurs qui découragent et rendent difficiles les grèves, c’est beaucoup trop facile de se contenter de ça pour dédouaner totalement les syndicats !
D’ailleurs, c’est fréquent que les travailleurs·euses veulent en découdre, et se mobilisent, et que les syndicats ne suivent absolument pas !
J’ai donné plein d’exemples, mais quand on a une dizaine (ou plus) de « journées de mobilisations » isolées chaque année, qui rassemblent chacune des millions de personnes (presque) à chaque fois, il faudrait ptètre arrêter de tout mettre sur le dos des travailleurs·euses et des grévistes qui seraient pas assez motivé·e·s !
Beaucoup de gens sont souvent prêt·e·s à faire ces sacrifices, à se battre, parce qu’iels savent bien que des journées de salaire perdues c’est largement moins pire que les conséquences des réformes antisociales !
En 2010 par exemple, trois millions de personnes étaient descendues dans les rues quatre fois en quelques jours, et le record de mobilisation était de 3.5 millions (le 12 octobre) soit… 1.3 million de plus que le record de 1995 !
Et pourtant, seules une poignée de fédérations avaient appelé à la grève reconductible, mais pas les confédérations, qui avaient laissé le mouvement sans perspective…
Alors bien sûr que les conditions sont pas les mêmes, qu’on n’a pas de garantie que ce qui a marché en 1995 aurait fonctionné en 2010, gnagna, mais qu’on vienne pas nous dire que les gens seraient jamais prêt·e·s à se mobiliser, et ne voudraient pas se mobiliser, c’est de la mauvaise foi !
Oui il y a du fatalisme et du découragement parfois, mais c’est pas pour autant qu’il y a pas aussi des gros moments où la volonté d’en découdre est là et où les gens se mobilisent en masse !
Volonté que les syndicats ne suivent pas, et essayent même souvent de freiner et de décourager explicitement de plein de façons qu’on a vu.
Après si je voulais être chiant et chipoter, je pourrais aussi faire remarquer que, même pour ces paramètres « extérieurs » que j’ai cités, il y a peut-être aussi une part de responsabilité des syndicats.
Genre sur le coût de faire grève par exemple, qui dissuade pas mal de monde de participer ?
Mais c’est pour ça qu’il existe des outils comme des caisses de grève en fait, pour amortir un peu le choc et aider les grévistes à tenir !
Et là aussi, ce serait le rôle des syndicats de gérer ça, mais ils font tellement pas (ou mal) le job qu’on voit fleurir des tas d’initiatives de caisses de grève improvisées à chaque grève, parce qu’il y a un vrai manque et un vrai besoin !
D’autant plus que les syndicats en brassent des sous en général, comme je le disais. Donc même si l’ensemble de ce fric ne pourrait peut-être pas servir à financer des grèves, une partie le pourrait sûrement.
Mais bon, entre utiliser l’argent pour financer des actions efficaces et des grèves, ou l’utiliser pour payer des permanent·e·s et des bureaucrates, le choix est vite fait hein, vu que c’est ces permanent·e·s et ces bureaucrates qui décident !
Et tant que j’en suis à chipoter, même chose, voire encore pire en fait, pour ce qui est de la démotivation et du fatalisme des masses : alors là c’est vraiment du gros foutage de gueule d’évoquer ça comme excuse, parce que c’est totalement la responsabilité des syndicats ça par contre !
C’est à force de décennies de trahisons syndicales et de sabotages quasi-systématiques des grèves par les directions et la bureaucratie, qui ont fait que presque toutes nos grèves et nos mouvements sociaux ont échoué tout le temps, que les gens finissent par devenir découragé·e·s et fatalistes !
Ça alors !
Mais comment est-ce que les gens pourraient être optimistes après tout ça en fait ?
Alors qu’on a les moyens de faire reculer les capitalistes en plus ! Et s’il y avait des vraies stratégies combatives, des vrais gros appels à des grèves reconductibles, et un vrai travail de mobilisation en amont (et pendant) pour qu’elles réussissent et qu’elles s’étendent, cette démotivation et ce fatalisme s’évaporeraient aussi vite que la dignité de Manuel Valls s’évapore dès il y a un nouveau gouvernement devant lequel s’aplatir pour quémander un ministère !
Mais heureusement, vous me connaissez : c’est pas mon style de chipoter.
Argument : « Les directions n’ont pas de contrôle sur les mouvements, c’est les travailleurs·euses qui décident en AGs » §
Alors celui-là, c’est un peu une variante de l’argument précédent, où on va se défausser de la responsabilité sur les individus.
Ici l’idée est qu’on exagérerait le pouvoir des directions et leur contrôle sur les grèves, vu donc qu’il y a plein de paramètres extérieurs qui rendent difficiles les grèves, et que même si les directions étaient super combatives, ça changerait ptètre pas grand chose, et c’est pas pour autant qu’on aurait forcément des grosses grèves vénères, parce que les directions n’auraient pas la possibilité d’imposer une grève à une base qui ne la voudrait pas.
Pour illustrer ça, on m’avait cité des exemples de mobilisations qui ont réussi sans les syndicats, genre la grève de 1995, histoire de dire que les organisations syndicales (et leurs directions, du coup) n’auraient pas tant de pouvoir que ça, et ne pourraient pas vraiment empêcher une mobilisation très forte.
En gros, « si la base en veut vraiment et est très motivée, même si les directions syndicales freinent, elles n’arriveront pas à arrêter le mouvement ».
Plus précisément, l’argument est de dire que :
- les dates et les conditions de la grève se décideraient en Assemblées Générales (AGs) dans chaque entreprise, par les travailleurs·euses elleux-mêmes, et donc les syndicats (et leurs directions) n’auraient pas de contrôle là-dessus.
- Et tout ça permettrait (supposément) aux travailleurs·euses des différentes entreprises et différent·e·s secteurs d’activité d’« adapter » en quelque sorte le calendrier de la grève aux spécificités de leur secteur et de leur entreprise, et ce serait en fait elleux qui choisiraient des dates différentes dans différents secteurs, parce que ce serait plus adapté donc à leur situation spécifique et à leurs propres revendications.
Et donc peu importe ce que les organisations syndicales feraient ou diraient, finalement, ça ne changerait pas grand chose : la vraie responsabilité de tout ce qui se passe reposerait (encore une fois) sur les travailleurs·euses uniquement, et c’est elleux qui voudraient des journées de mobilisations isolées et différentes par secteurs, et surtout pas les directions qui imposeraient ces dates.
Du coup, c’est aussi les salarié·e·s qui voteraient les fins de grèves, car iels ne voudraient plus se mobiliser.
La prise de décisions serait donc totalement démocratique ! Youpi, c’est super, ça ! Vive la démocratie !
Bon, on va faire court : c’est des conneries ça.
Bien sûr qu’en apparence, les décisions se prennent en AG, sauf que on est ici dans l’illusion que le « vote en AG » :
- serait un vote totalement libre et éclairé, et
- ne dépendrait pas des conditions extérieures.
Or, les deux sont faux :
-
D’abord, comme partout, les gens votent et prennent leurs décisions selon les informations qui leur parviennent.
Logique : encore une fois, on ne peut pas décider selon des informations qu’on n’a pas.
Et comme les principaux canaux d’informations sur les luttes dans leur entreprise sont des délégué·e·s syndicales·aux et les positions officielles des syndicats, hé bien leur discours influe quand même pas mal sur les choix qui seront faits.
Selon que ces syndicalistes tiennent un discours combatif ou non, selon qu’iels disent que « oui, on peut gagner et faire plier la direction/le gouvernement ! », ou qu’iels disent que « ben non, on n’obtiendra rien finalement et ça vaut pas le coup de perdre des journées de salaire à faire grève maintenant », etc. bref selon qu’iels tentent d’encourager ou de décourager la poursuite du mouvement, hé ben le vote en AG sera peut-être pas du tout le même, évidemment !
Ça fait pas tout bien sûr, mais ça joue pas mal.
Parce que beaucoup de gens font globalement confiance aux syndicats, et aux délégué·e·s syndicales·aux.
Iels ont de l’influence, et donc pas mal de gens les suivront, et suivront leurs positions.
Peut-être pas tout le monde bien sûr, mais au moins une partie, peut-être suffisamment pour casser un mouvement de grève.
J’ai cité plusieurs exemples plus haut, comme le coup des responsables syndicales·aux (de la CGT notamment) qui passaient un peu partout pour appeler les cheminot·e·s à reprendre le travail, ou encore l’UTLA, qui avait forcé la main aux profs grévistes de Los Angeles pour leur faire signer l’« accord » au rabais que le syndicat avait négocié, histoire de faire arrêter la grève.
Iels font ça en sachant très bien que, même si une bonne partie des gens se rendent compte après coup qu’iels se sont fait·e·s avoir, une fois la dynamique du mouvement cassée, ce serait très difficile de reprendre.
Donc si les syndicats et leurs délégué·e·s poussent et incitent dans un sens ou dans l’autre, oui ça a beaucoup d’influence !
Et même s’il y a qu’une partie des grévistes qui font assez confiance aux représentant·e·s syndicales·aux pour les écouter et suivre ce qu’iels recommandent, ça peut suffire à casser un mouvement.
Et idem donc pour un vote en AG : imaginez que juste 10 % des gens suivent ce que dit le syndicat (et en pratique, il y en a probablement plus que ça), ben ça peut suffire (largement en fait) à faire basculer un vote, ou à faire passer d’une « large majorité favorable à la grève » à une majorité « fragile »…
-
Et ensuite, deuxième gros truc : le vote en AG n’est pas non plus totalement libre, parce qu’il dépend aussi des conditions extérieures, et encore plus si on est dans un mouvement qui dépasse l’entreprise (genre mouvement de grève sectoriel, ou national).
Parce qu’il y a besoin de se coordonner à grande échelle, avec les grévistes d’autres entreprises, pour être efficaces.
Si c’est pour faire grève bien fort dans son coin, mais qu’on est les seul·e·s à la faire, ben ça sera peu efficace, et ça ne risque pas trop de faire plier les capitalistes, donc c’est juste des journées de salaire perdues pour rien hein !
C’est une des difficultés les plus importantes de l’action collective en fait ça : votre intérêt à participer (ou non) à une action (comme une grève) dépend quand même pas mal de si beaucoup de monde autour va participer aussi ou pas, et de si la grève va être reconductible (donc efficace) ou pas.
Si la grève est bien suivie et est reconductible, elle a une chance de faire plier le pouvoir, donc ça vaut le coup d’y aller, pour la nourrir et augmenter les chances que ça marche.
Par contre, si la grève s’essouffle, ou est juste quelques journées d’actions séparées, ben de toute façon ce sera inefficace, quelle que soit votre détermination individuelle et celle de vos collègues dans votre entreprise, donc ça ne vaut ptètre pas tant que ça le coup d’y aller : c’est juste perdre des journées de salaire pour rien.
Et tout ça dépend évidemment de l’attitude des syndicats, vu que leurs appels ont de l’influence.
On sait par expérience, qu’on le veuille ou non, qu’il y a plein de gens qui les suivent.
Et on le constate régulièrement d’ailleurs, qu’il y a bien plus de monde qui vient aux journées où une intersyndicale appelle (par exemple), ou au moins quelques grosses orgas, que pour d’autres rassemblements organisés indépendamment.
Et encore une fois, c’est logique et inévitable :
- d’abord, bien plus de gens auront eu l’info si l’appel est lancé par des grosses orgas, qui ont beaucoup plus d’audience (sans même parler de leurs relais médiatiques)
- ensuite plus de gens font confiance malgré tout à des grosses orgas connues (grosse centrale syndicale), qui ont une grosse légitimité apparente, qu’à des organisateurs·trices pas connu·e·s.
- et puis enfin il y a l’aspect « prophétie auto-réalisatrice » qui renforce encore tout ça, puisqu’on sait que si c’est une grosse orga « légitime » et avec beaucoup d’audience qui appelle, il y aura plus de monde. Et donc on est plus incité·e·s à y aller pour renforcer le truc. Et donc, il y a plus de monde.
Et la magie de ça, c’est que ça marche même pour les gens qui sont très critiques des organisations syndicales, vu qu’on est dépendant·e·s de la mobilisation des autres !
Le fait d’appeler régulièrement à des grèves et manifs ponctuelles, inefficaces pour faire plier l’État et le patronat, mais impressionnantes par le nombre, ça permet aussi aux directions syndicales d’entretenir ce cercle vicieux, et donc de démontrer et de préserver leur influence.
Donc n’importe quelle AG, ou même groupe d’AGs vaguement coordonnées, n’aura jamais une influence comparable à des grosses orgas syndicales pour mobiliser, orgas qui ont une énorme légitimité institutionnelle, et dont c’est en fait le rôle (théorique) de coordonner notre classe !
Oui, parfois ça arrive que les AGs arrivent à devancer les syndicats, à les contourner, à organiser une mobilisation qui peut survivre (un temps) sans un vrai soutien des centrales syndicales, mais c’est juste beaucoup plus difficile.
D’ailleurs, même pour notre fameux contre-exemple de 1995 là, il faut pas oublier que les grévistes qui voulaient une reconductible, avaient au départ calé leur date de départ sur les dates décidées par les syndicats, avec l’appel à prolonger ensuite.
Donc au début, la journée du vendredi 24 novembre (journée de mobilisation à laquelle toute l’intersyndicale avait appelé), avec l’appel à reconduire déjà jusqu’au mardi 28 (deuxième journée à laquelle des syndicats avaient appelé), histoire qu’il y ait le maximum de monde au départ, et de maximiser les chances de créer une dynamique qui dure !
Les grévistes ont calé leurs dates sur celles où les syndicats appelaient, parce qu’iels savaient bien que c’est difficile en général de mobiliser du monde durablement, mais que c’est un peu moins difficile quand il y a des gros syndicats avec une grosse légitimité institutionnelle qui appellent, et du coup qu’il y a beaucoup de monde qui vient une première fois.
Donc voilà, même si on a des cas où les grévistes organisé·e·s en AGs ont réussi à déborder les syndicats, ça prouve absolument pas que les syndicats auraient peu d’influence sur ce qui se passe, mais juste que c’est parfois possible de les déborder malgré l’influence qu’ils ont, quand plein de conditions sont réunies.
Dernier argument : attribuer le comportement de la bureaucratie à l’idéologie ou à la lâcheté, mais pas à la corruption §
Enfin, une dernière façon de nier (ou de minimiser) la corruption dans les organisations syndicales dont je veux parler ici, c’est d’expliquer le comportement des directions et de la bureaucratie par une supposée idéologie, par les convictions (supposées) de leurs leaders, ou alors juste les attribuer à de la naïveté/tiédeur/lâcheté/bêtise, mais surtout jamais à de la corruption.
Par exemple, on entend et on lit souvent que la CFDT serait « libérale » (sous-entendu : par conviction), parce que ses dirigeant·e·s croiraient ptètre sincèrement que le libéralisme serait bien.
(Genre que ça pourrait au final créer des emplois, à long terme. Enfin je suppose.)
Sauf que c’est absurde.
Pour moi, c’est comme quand les gens critiquent le PS (ou d’autres gros partis prétendument de « gauche ») en les accusant d’être « soc-dem », en sous-entendant que ce serait un problème d’idéologie (genre les politicien·ne·s agiraient par conviction…) ou de mollesse et de manque de radicalité, de lâcheté des élu·e·s, etc.
Alors que c’est juste de la corruption et une question d’intérêts.
Ici, on n’est pas devant un déni complet que les directions syndicales ne seraient pas aussi combatives qu’il faudrait, ou qu’elles traîneraient les pieds, mais plutôt dans une minimisation, et surtout un déni des causes : ça n’irait pas jusqu’à la corruption donc, ni jusqu’au sabotage volontaire.
Ou alors, cette corruption, si elle existe peut-être par endroits, ne serait pas si importante que ça et n’aurait pas un impact si important que ça au final par rapport à tous les autres paramètres, et ce serait limite du complotisme de trop se focaliser là-dessus.
Ou alors, variante, les directions seraient juste pas très courageuses, peut-être parce que c’est des bureaucrates qui se laisseraient un peu aller à leur petit confort de bureaucrates et deviendraient juste moins combatifs·ves naturellement à cause de ça, et se contenteraient de vouloir préserver l’orga en faisant en sorte qu’elle ne fasse rien.
Bien sûr, là aussi il y a une part de vérité là dedans, et il y a aucun doute que les privilèges et le confort de la position de permanent·e ou de bureaucrate rendent « naturellement » moins radical·e comme je le disais, sans même avoir besoin de corruption.
Mais bon, d’une part, même si c’était « seulement » ça, je pense que ce serait déjà un argument suffisant pour tout faire pour se débarrasser du fonctionnement bureaucratique, parce que c’est évidemment un frein aux luttes.
Et donc rien que ça serait un argument pour se mettre à gérer les organisations syndicales en démocratie directe le plus possible, vu qu’on a intérêt à ce que les décisions soient prises par des gens qui pensent à la lutte en premier (donc, directement par les syndicalistes de la base, dont c’est l’intérêt), et surtout pas par des gens dont la première priorité est de préserver leur petit confort !
Mais le problème de sous-estimer l’ampleur de la corruption, c’est qu’on va pas étiqueter les directions comme des ennemies, mais juste comme molles, ou « timides », ou « tièdes ». Et donc on ne pas tout faire pour se passer d’elles, mais souvent croire qu’on pourrait se contenter de les « pousser » à faire un peu plus pour les luttes, en étant, nous, plus radicales·aux et combatifs·ves.
J’ai déjà cité le fameux « rasoir de Hanlon » pour les politicien·ne·s, et j’ai déjà expliqué pourquoi c’était faux. Mais on m’a déjà sorti plus d’une fois le même argument pour les directions syndicales, et je pense qu’il est faux là aussi, pour à peu près les mêmes raisons.
L’idée sous-entendue par ça, c’est qu’il y aurait des explications plus simples que la corruption pour leur comportement, et qu’il faudrait toujours privilégier l’explication « la plus simple ».
Sauf que la corruption est en fait… ben, l’explication la plus simple ici, justement !
En tout cas, l’explication la plus simple qui explique tout ce qu’on sait.
Essayons de prendre un peu de recul :
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pour ce qui est de la bêtise et de la « naïveté » (supposée) des leaders syndicales·aux, qui expliquerait en gros qu’iels ne comprendraient peut-être pas que des journées de grèves isolées sont inefficaces, ça n’a pas de sens quand on y réfléchit.
Tou·te·s ces gens-là arrivent à gravir les échelons et à se maintenir au pouvoir, à se faire élire (et réélire, souvent pendant de nombreuses années), dans un système quand même hyper-compétitif, avec énormément d’opportunistes et de carriéristes concurrent·e·s qui veulent arriver au sommet comme elleux et à leur place !
Et donc, ben… c’est pas des idiot·e·s, en fait !
Ça implique qu’iels ont au minimum une bonne capacité d’analyse et de planification stratégique, puisqu’iels sont capables de comprendre le fonctionnement bureaucratique de ces orgas (qui est souvent loin d’être simple, voire, artificiellement compliqué et alambiqué en fait), d’y comprendre les rapports de force entre permanent·e·s et bureaucrates, et de se dépatouiller dedans ! Assez pour faire carrière dedans en tout cas.
Alors bien sûr, pour arriver au sommet et se maintenir dans un système électoral, il y a une grande part de chance, et ça ne veut pas dire que les gens qui se font élire seraient systématiquement beaucoup plus intelligent·e·s en général que le reste du monde.
Mais de là à croire que ce serait tou·te·s des idiot·e·s qui comprendraient rien à ce qui se passe, mandat après mandat ?
C’est juste impossible.
Et on se rend bien compte d’ailleurs, quand on analyse un peu leurs stratégies pour arriver ou rester au pouvoir, qu’iels savent quand même bien réfléchir hein !
J’avais donné des exemples comme celui de la façon dont Philippe Martinez est arrivé à se faire élire et réélire (ou encore des exemples dans les partis et les autres institutions électorales), et certes, c’est peut-être pas du « génie », mais ça montre clairement par contre que ces gens ont quand même des bonnes capacités d’analyse de ce qui se passe et du fonctionnement des institutions autour d’elleux, de comment fonctionnent les rapports de force, comme je disais, etc.
Et donc on voudrait nous faire croire, ici aussi, que malgré tout ça, tou·te·s ces gens-là seraient tou·te·s tellement naïfs·ves et tellement bêtes, au point de ne pas arriver à comprendre des trucs évidents que tout le monde a compris sauf elleux, comme le fait que la grève coûte peu au patronat si elle n’est pas reconductible, ou que des journées de mobilisations séparées par secteurs c’est moins efficace et ça diminue les risques que la grève fasse tâche d’huile, ou encore que les « journées d’action » une fois de temps en temps découragent et tuent les mobilisations ?
Alors qu’à peu près tout le monde autour a compris tout ça en plus hein, et réclame régulièrement des grèves reconductibles d’ailleurs !
Donc non, quand les directions prônent et mettent en place ces stratégies, encore et encore, elles ne peuvent pas ignorer que ça réduit les chances que les mouvements sociaux et les grèves réussissent !
Elles ne peuvent pas ignorer que ces stratégies sont des stratégies perdantes.
Et donc, si elles le font quand même, et qu’elles continuent de le faire malgré les critiques et malgré les appels à changer de stratégie, c’est que c’est leur but !
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ensuite, la quantité d’exemples de corruption concrète de responsables syndicales·aux montre qu’on est pas devant un truc exceptionnel, mais au contraire largement répandu.
Les exemples que j’ai cités (et qui ne sont que la partie émergée de l’iceberg hein) montrent bien que les syndicats sont traversés de corruption à tous les niveaux, et que ça va jusqu’au sommet, avec à peu près l’ensemble des leaders syndicales·aux qui profitent systématiquement de recasages confortables de la part des capitalistes après leur mandat !
Et qu’on me dise pas que que s’iels sont tou·te·s embauché·e·s par des grandes entreprises ou des administrations, c’est sûrement pour leur talent et leurs compétences, ou je sais pas quoi, personne n’y croit !
Mais quel talent d’ailleurs ?
Non parce que si on regarde leur bilan systématiquement catastrophique quand iels étaient à la tête de leur syndicat (et si on refuse d’envisager la possibilité de la corruption hein, et qu’on pense donc qu’iels essayeraient sincèrement de faire ce pour quoi iels sont (censé·e·s être) payé·e·s, c’est à dire défendre les intérêts des travailleurs·euses), ben la seule conclusion à tirer ce serait que le principal « talent » de tou·te·s ces gens, en fait, c’est d’échouer lamentablement en boucle !
Pourquoi est-ce que les capitalistes embaucheraient des gens aussi nul·le·s, en fait ?
Bon allez, OK, admettons que ça pourrait peut-être arriver exceptionnellement que l’un·e ou l’autre soit vraiment engagé·e pour ses compétences.
Et bien sûr une embauche après un mandat n’est pas non plus une preuve absolue d’un recasage, et ne prouve pas qu’il y aurait forcément eu corruption derrière…
Mais sauf que ce serait exceptionnel dans ce cas.
Là on est devant un truc systématique !
Est-ce que ça aurait le moindre sens, s’il n’y avait pas de la corruption ?
Si c’était pas des remerciements pour services rendus ?
Qu’est-ce qui pourrait expliquer tout ça mieux et plus « simplement » que de la corruption, en fait ?
Franchement, je suis désolé, mais je ne vois pas !
Je rappelle qu’on parle de gens qui étaient censé·e·s être des ennemi·e·s des capitalistes juste avant, de par leur fonction hein, censé·e·s lutter contre leurs intérêts !
Les directions syndicales, leur rôle théorique c’est de défendre les intérêts des salarié·e·s contre les patron·ne·s (et contre l’État, du coup).
Donc pourquoi diable est-ce que le camp capitaliste leur donnerait des postes aussi confortables et si bien rémunérés en fait, si ces gens avaient vraiment fait tout ce qu’iels pouvaient juste avant pour lutter contre leurs intérêts ?
(Ou même, si ça ne changeait rien, et que ces directions étaient « de toute façon » juste naïves et inefficaces « d’elles mêmes » pour organiser des grèves ?)
D’ailleurs, il suffit comparer ça au traitement des syndicalistes dans les entreprises : les vrai·e·s syndicalistes vénères et combatifs·ves dans les entreprises, les patron·ne·s leur font pas des cadeaux hein, mais au contraire leur pourrissent la vie autant qu’iels peuvent, par des sanctions au moindre prétexte, des menaces, du harcèlement, des mises au placard, des licenciements abusifs, etc.
Les seul·e·s « syndicalistes » qui reçoivent des cadeaux des capitalistes, c’est celleux qui se dépêchent de ne surtout rien faire pour gêner leur patron·ne et leur entreprise, de ne jamais organiser de lutte ni de grève, et qui les sabotent quand il y en a !
Il n’y a pas de raisons de penser que ça serait différent pour les leaders des syndicats : si les capitalistes leur filent des postes aussi intéressants à chaque fois, c’est pas à cause de leur légendaire générosité désintéressée de capitalistes hein, mais parce qu’iels y gagnent quelque chose en échange.
Et ce quelque chose, c’est le sabotage systématique des luttes et des grèves !
Ces recasages, c’est à la fois un remerciement pour services rendus, mais aussi une incitation pour leurs successeur·e·s pour faire la même chose : « Voyez, votre prédécesseur·e nous a bien servi, et iel a fini par décrocher ce super secrétariat d’État très bien payé à la Fumisterie nationale. Alors si vous aussi vous voulez un poste confortable dans quelques années, vous savez ce qu’il faut faire maintenant. ;-) »
C’est là aussi qu’on voit le niveau de déni dans notre camp face à la corruption des responsables syndicales·aux d’ailleurs !
Parce que quand c’est des politicien·ne·s qui sont recasé·e·s par le patronat après leur mandat, on nous demande pas un milliard de preuves qu’iels auraient vraiment fait quelque chose en échange avant de nous autoriser à parler de conflit d’intérêts et de corruption, mais on le suppose sans problème (à raison bien sûr) !
Mais ça marche pas pour des leaders syndicales·aux, bizarrement, alors que tout indique que c’est le cas, et que c’est clairement l’explication la plus probable et la plus logique à leur comportement !
Donc il est plus que temps d’ouvrir les yeux là-dessus : les directions syndicales sont clairement corrompues et pas dans notre camp.
Elles font partie de nos ennemi·e·s, et il s’agit pas de les « interpeller » ou de les « pousser », mais de les combattre et de s’en débarrasser.
Il faut savoir terminer un chapitre (Conclusion) §
(META/TODO : virer ce bout ou le réorganiser un peu ? Hm…)
Il y aurait des tas de trucs à ajouter et à approfondir, mais je vais juste en dire deux mots, car ce chapitre est déjà assez long :
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sur le financement des syndicats en général. Le financement public par exemple (sous différentes formes) que les permanent·e·s et bureaucrates divers ont intérêt à conserver pour des raisons évidentes, mais qui est conditionnée à la bonne volonté de l’État évidemment (et donc à la non-combativité du syndicat).
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META dans un peu le même genre, quand la CIA a carrément financé les syndicats (comme FO).
Bon même si c’est plus le cas depuis longtemps (et que ça empêche pas la corruption massive dans tous les syndicats comme on l’a vu), ça dit l’importance pour le pouvoir et les États du contrôle de ces syndicats…
https://www.lemonde.fr/archives/article/1967/05/12/la-c-i-a-les-syndicats-et-la-presse-en-france_2628096_1819218.html
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sur l’inaction totale des syndicats face aux problèmes qui ne touchent pas directement le prolétariat blanc, et leur absence de soutien à d’autres luttes, par exemple contre les violences policières racistes.
Des flics tuent tout le temps des Noir·e·s et des Arabes lors de meurtres racistes, en toute impunité, ce qui donne régulièrement lieu à des manifestations et révoltes importantes dans les quartiers populaires, mais les syndicats se contentent (au mieux) de faire des communiqués pour appeler à ce que « la lumière soit faite », ce qui n’engage pas à grand chose, et n’organisent évidemment aucune grève en soutien à ces révoltes, alors que ce serait non seulement la seule chose juste à faire, évidemment, mais irait aussi dans l’intérêt de l’ensemble des prolos (y compris des prolos blanc·he·s, pas touché·e·s directement par le racisme de la police) de lutter contre l’autoritarisme et l’impunité de la police…
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sur le fait que les « dérives » qui se produisent systématiquement dans la gestion des syndicats, et qui sont régulièrement dévoilées dans la presse, ne sont curieusement jamais suivies de vraies mesures efficaces pour les empêcher, comme plus de transparence et plus de démocratie, parce que c’est jamais l’intérêt des bureaucrates (même si on en promet, histoire de dire. Comme en politique).
Exemple du fameux « kiosque numérique » à 300 000 euros, dénoncé dans « Au royaume de la CGT… », alors qu’à la suite de l’affaire Lepaon il y avait eu un engagement de pris (enfin, théoriquement) de contrôler sévèrement toutes les dépenses supérieures à 10 000 euros, d’établir forcément au moins trois devis, et que le moins cher soit pris (ce qui n’a pas été le cas).
« L’affaire Lepaon n’aura servi à rien » dit même l’auteur du bouquin.
Mais quand les responsables laissent des « dérives » continuer de se produire, encore et encore, c’est que c’est pas des dérives, mais le fonctionnement souhaité. Comme dans les États et les collectivités.
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sur l’illusion que les problèmes de corruption et de carriérisme seraient surtout limités aux partis et viendraient des partis, parce qu’ils seraient pleins d’apparatchiks et d’opportunistes, et que l’important serait surtout l’indépendance des syndicats vis-a-vis des partis.
Sauf que les syndicats sont eux aussi traversés de corruption à tous les niveaux, comme on l’a vu, et leurs instances de décisions fonctionnent en fait un peu comme celles des institutions électorales et des partis, en fait (même si leur but affiché n’est pas le même), et garantissent des privilèges similaires aux carriéristes qui arrivent à leur sommet.
Et donc, ben, les organisations syndicales attirent autant les opportunistes que les partis en fait, et génèrent les mêmes dérives, parce que c’est le fonctionnement électoral et la délégation de pouvoir qui génèrent ça.
Les syndicats sont des partis politiques comme les autres.
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sur l’idée que ces problèmes ne concerneraient que (ou surtout) les grosses structures et les gros syndicats, mais pas les plus petits.
C’est… pas complètement faux en fait, pour plusieurs raisons : d’abord parce que c’est plus facile de faire quelque chose d’un peu démocratique (donc en démocratie plus ou moins directe) à petite échelle, et donc plus difficile pour des opportunistes d’y prendre trop d’influence. En fait, même l’élection peut fonctionnouiller un peu à petite échelle dans certains cas, comme on le verra dans un chapitre prochain (même si elle ne fonctionne jamais à grande échelle).
Et ensuite, parce que, dans les petits syndicats, ben il y a moins de possibilités de profiter et de s’enrichir. Et donc, comme pour les partis, il y a un peu une auto-sélection, et les gens les plus opportunistes et carriéristes vont ailleurs d’elleux-mêmes (iels vont dans les gros syndicats), et du coup mécaniquement, dans les petits syndicats, il reste surtout des gens plus sincères et combatifs·ves.
Ça veut pas dire qu’il n’y aurait pas de corruption du tout à petite échelle (il y en a, on a vu pas mal d’exemples), mais juste qu’il y en aura un peu moins.
Mais le problème, c’est qu’on a aussi besoin de grosses structures pour se coordonner à grande échelle de toute façon, donc ça résout pas vraiment le problème !
Et faut pas croire qu’un assemblage de petites structures éviterait forcément les problèmes : ça peut être complètement équivalent à une grosse structure en fait ! Ça dépend comment c’est fait, mais si on se rassemble en délégant, comme c’est le cas dans environ toutes les confédérations actuelles, le résultat sera pas mieux.
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sur l’illusion que la « décentralisation » ou le fonctionnement en confédération empêcherait ou limiterait les dérives bureaucratiques, justement, alors que pas du tout.
Ici c’est encore lié à la même idée qu’on aurait plus de contrôle « démocratique » sur des petites structures que sur des grosses. Comme je disais, c’est en partie vrai, mais c’est parce que c’est plus difficile de s’organiser démocratiquement à grande échelle, et qu’on y arrive mal.
Mais du coup, on a l’illusion qu’un assemblage de petites orgas (comme une fédération), voire un assemblage d’assemblages de petites orgas (une confédération), serait forcément mieux qu’une grosse orga « centralisée ».
Sauf que c’est pas forcément vrai, parce que même si les petites orgas peuvent être (un peu) démocratiques de leur côté, pour fédérer et coordonner ces petites orgas, on passe presque tout le temps par de la… délégation.
Et donc, ben ça expose mécaniquement aux mêmes problèmes que la délégation pose partout : des gens qui prennent des responsabilités, donc de la légitimité, donc de l’influence et du pouvoir, et ça finit par générer de la bureaucratisation et de la corruption des responsables…
Il suffit de voir d’ailleurs tous les exemples que j’ai cités au sommet des trois principales organisations syndicales en France (la CGT, FO et la CFDT), c’est toutes les trois des confédérations, donc des associations de plein de plus petites structures !
Et certaines de ces petites structures peuvent être « propres » et combatives de leur côté, pour le coup !
Mais ça n’empêche pas qu’au sommet, on délègue la coordination de ces petites structures à des responsables (parce qu’on sait pas faire autrement), avec tous les problèmes déjà dénoncés…
Non, la vraie solution serait d’arriver à trouver des moyens de s’organiser en véritable démocratie directe, même à grande échelle, et d’arrêter de passer tout le temps par de la délégation partout !
-
En fait, toute délégation, même si elle est seulement temporaire et à petite échelle, peut poser les mêmes problèmes. Avoir des meneurs·euses dans une grève, même si c’est que ponctuel, ça présente toujours 1) un risque de corruption de ces meneurs·euses, et 2) un risque de pression sur ces meneurs·euses (ou de menaces et de violences contre elleux, comme on l’a vu).
Bien sûr, les grosses structures où il est possible de faire carrément carrière vont attirer encore plus les opportunistes et générer encore plus de corruption, mais ça reste possible de corrompre (et de faire pression sur) des gens isolé·e·s qui se retrouvent propulsé·e·s « leaders » un peu par hasard.
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peut-on « décréter » la grève ? Peut-être pas. Mais on peut créer les conditions qui la favoriseront ou la défavoriseront. Et les directions syndicales font tout pour qu’elle n’arrive pas, comme on l’a vu.
D’ailleurs si les syndicats fonctionnaient à grande échelle en démocratie directe, les gens pourraient y voter directement sur le choix d’appeler à la grève ou non, et sous quelles conditions, quels calendriers, etc. et avec une légitimité bien plus forte que ce que toutes les directions élues du monde n’auront jamais !
Donc ça serait plus « décréter » (ce qui sous-entend qu’une poignée de personnes imposent leur volonté à la masse) mais « décider collectivement », et ce serait évidemment le mieux à tous les points de vue !
-
Enfin, je reviens sur ce que je disais au début de ce chapitre : que la bureaucratisation des syndicats et la corruption des directions syndicales étaient responsables de nos échecs collectifs depuis des décennies.
Maintenant qu’on a vu la quantité industrielle d’exemples que j’ai détaillés, de corruption systématique à tous les étages dans les syndicats, de recasages, et de sabotages répétés des grèves et mouvements sociaux par des bureaucrates, c’est peut-être un peu moins difficile à admettre ?
C’est évident que si une partie de « notre camp », enfin, des gens qu’on croit être dans notre camp, et qui ont un pouvoir important et une influence importante (à cause de leur position centrale et de leur rôle de coordonner nos luttes) sont en fait des traîtres, et servent en fait le camp d’en face sans le dire, le camp des capitalistes, et qu’iels utilisent toute cette influence qu’iels ont, et font tout ce qui est en leur pouvoir pour qu’on échoue collectivement, ben on a beaucoup moins de chances de réussir.
Ce serait comme dans une bataille militaire : si une partie des officiers d’un camp sont corrompus par le camp d’en face pour ne pas attaquer à un moment crucial, pour livrer leurs troupes à l’ennemi, ou pour saboter leur propre camp d’une façon ou d’une autre, c’est évident que les chances de succès de ce camp dans la bataille sont largement diminuées. Et même si les soldat·e·s de ce camp sont super motivé·e·s et prêt·e·s à se sacrifier, c’est pas ça qui empêchera la défaite.
Si l’État et le patronat ont, depuis toujours, des complices à leur service, à la « tête » de nos forces, au sommet des orgas qui sont censées coordonner et organiser nos luttes, c’est logique et inévitable qu’on n’arrête pas de perdre !
Admettre ça est absolument vital si on veut enfin inverser la tendance !
Sur la bureaucratie : c’est bien les élections le problème §
Je vais terminer sur la bureaucratie.
Énormément de textes parlent de la bureaucratie syndicale, pour la dénoncer.
À raison, bien sûr.
Mais très peu disent que c’est dû à la logique électorale et à la délégation de pouvoir, et que le seul moyen d’éviter ça ce serait d’organiser les syndicats eux-mêmes en démocratie directe.
En fait, on a plein d’analyses différentes, qui pointent presque toujours des causes structurelles, mais presque jamais les élections et la délégation !
J’ai lu que c’était un « phénomène général », que c’était le résultat d’un « dysfonctionnement », des problèmes de personnes (genre à cause des permanent·e·s carriéristes et corruptibles), un problème de culture « paternaliste » de l’appareil syndical, j’ai lu que c’était à cause de l’émergence d’une « aristocratie ouvrière » ou encore de « l’intégration des syndicats à l’État » (Trotsky), etc. mais je n’ai jamais lu ni entendu nulle part que c’était la conséquence du modèle électoral !
Il y a des bouts de vérité dans toutes ces explications hein.
Par exemple, les liens des syndicats avec l’État pointés par Trotsky, avec toutes les façons dont l’État finance les syndicats et les rend dépendants financièrement, ça favorise totalement le développement de cette couche parasitaire qu’est la bureaucratie bien sûr.
Mais c’est largement insuffisant de s’arrêter là sans parler des élections et de la délégation de pouvoir, alors que c’est la première cause, et de loin !
Je pense que c’est un véritable angle mort des analyses politiques sur le sujet dans notre camp, alors que ce serait l’un des aspects les plus importants et les plus urgents pour notre classe de s’attaquer à ça !
Encore une fois on ne peut pas sous-estimer l’importance de ça : s’il y a de la bureaucratie et de la corruption des responsables syndicales·aux, c’est parce qu’il y a des responsables !
C’est parce que les décisions sont prises par un petit nombre de personnes, et que c’est possible de faire carrière.
C’est une
erreur fondamentale de notre camp de ne pas admettre que les élections posent les mêmes problèmes partout, y compris en dehors des États.
J’ai pris l’exemple des syndicats, mais c’est pareil dans les associations d’ailleurs : si vous vous demandez pourquoi dans telle asso à but (théoriquement) non lucratif, une décision en apparence aberrante est prise (genre l’achat à des entreprises de services ou de fournitures chères et pas forcément nécessaires,
un soutien affiché à une politique néfaste sous un prétexte idiot, etc.) hé ben l’explication est peut-être tout simplement de la corruption des responsables de cette asso, ou des conflits d’intérêts…
Alors, pourquoi cet angle mort ? Je sais pas vraiment. Probablement plusieurs causes, dont la difficulté à admettre que c’est tout le système qu’il faut remettre en cause (je reviendrai dessus dans un chapitre prochain).
Peut-être en partie aussi parce que ces textes sont écrit·e·s par des élu·e·s syndicales·aux sincères ici ou là (il y en a quand même pas mal, surtout parmi les gens qui ont peu de responsabilités), ou par des gens qui connaissent des élu·e·s syndicales·aux sincères, et du coup ça entretient ptètre l’impression fausse que les élections pourraient fonctionner dans certaines conditions, que ce serait pas elles le problème ?
Je sais pas exactement.
Mais le résultat est que tou·te·s ces gens n’envisagent jamais que c’est les élections le problème !
Des propositions de solutions incomplètes et inefficaces §
Du coup, ces explications incomplètes nous amènent toujours à des propositions de « solutions » incomplètes elles aussi, et inefficaces/insuffisantes :
-
soit il faudrait arriver à remplacer les permanent·e·s et les bureaucrates corrompu·e·s et carriéristes (ou tièdes, mous, lâches, libérales·aux, ce que vous voulez) par d’autres, qui seraient « moralement irréprochables », combatifs·ves, incorruptibles et désintéressé·e·s.
Ici c’est la même illusion que dans les États : l’illusion qu’on pourrait arriver à remplacer les mauvais·es élu·e·s par des bon·ne·s, sans avoir à changer le système qui les a mis·es là…
-
Ou alors, on nous présente carrément la bureaucratie comme une sorte de truc inévitable, qui sera toujours là, qui existera toujours quoi qu’on fasse, et qu’on ne pourrait qu’essayer de contourner, ou de la pousser à nous servir un peu de temps en temps (ou à nous freiner le moins possible) par la force de nos mobilisations.
Il faudrait la « déborder », pour qu’elle perde le contrôle du mouvement, ou la « pousser » à finalement appeler aux grèves reconductibles qu’on veut à force de mobilisations et de gueulantes, mais jamais essayer de s’en débarrasser !
Mais c’est pas s’attaquer à la racine du problème ça, mais juste essayer de trouver un moyen de contourner un peu les conséquences !
C’est un pansement sur une jambe de bois ! Un workaround plutôt qu’un bugfix !
Et ces deux idées sont fausses : 1) la bureaucratie sera toujours contre nous autant qu’elle pourra, et ne nous servira jamais, même si on arrive parfois à la déborder un peu, et 2) l’existence de cette bureaucratie parasitaire n’est pas une fatalité, mais juste la conséquence du modèle électoral, même si c’est jamais analysé comme ça !
Cette mauvaise analyse entretient l’illusion qu’on pourrait obtenir quelque chose de cette bureaucratie, et empêche de réfléchir à comment s’en débarrasser !
À la limite, le seul endroit où il faudrait pousser les directions syndicales, c’est dans un ravin !
Hahahaha !
Hm pardon.
Ce que je veux dire, c’est que, s’il y a vraiment un truc à retenir de ce chapitre c’est ça : la bureaucratie et les trahisons des directions syndicales ne sortent pas de nulle part, ne sont pas une fatalité. Elles sont la conséquence mécanique du fonctionnement actuel des organisations syndicales. Fonctionnement qui n’est jamais remis en cause ni même questionné !
Et si on veut changer les choses, on ne peut pas se limiter à juste organiser les luttes en démocratie directe localement, avec des AGs locales, mais rien de plus.
Évidemment qu’il faut faire ça hein (et c’est déjà pas facile, je suis d’accord), mais tant qu’on se contentera de ça et qu’on restera dépendant·e·s collectivement de la volonté de bureaucrates pour tout ce qui est prise de décision à plus grande échelle, donc pour la coordination de nos luttes, on sera désavantagé·e·s.
La délégation fait que, mécaniquement, les décisions sont toujours prises par un petit nombre (c’est le principe), et donc ce petit nombre va toujours développer des intérêts différents de la masse (que ce soit à faire carrière et préserver sa place, ou à cause de la corruption). C’est mécanique et inévitable. Et le fait qu’on trouve (parfois) des gens sincères qui arrivent à être élu·e·s quand même et qui sont prêt·e·s à aller contre leurs nouveaux intérêts d’élu·e·s et ne trahissent pas leurs précédent·e·s collègues, n’invalide pas qu’iels auraient intérêt à le faire, intérêt à trahir, et que la plupart des gens dans leur position le feront ! Ces gens sincères sont juste des exceptions, et croire qu’on pourrait en avoir un jour une majorité des comme ça dans un système électoral est juste complètement illusoire.
META : mettre ce bout plus haut ? Après le « en vrac » ?
Vous me croyez pas que c’est la délégation le problème ? Demandez-vous : qu’est-ce qui se passerait si les syndiqué·e·s décidaient tou·te·s directement (donc en démocratie directe) de ce que le syndicat fait, et donc aussi de ses règles de fonctionnement ?
Est-ce qu’iels laisseraient une opacité presque totale sur la façon dont leur fric est utilisé, comme actuellement ? Bien sûr que non ! Iels fixeraient des règles qui imposeraient toujours plus de transparence, et une vraie vérification effective à tous les étages.
Est-ce qu’iels continueraient de déléguer de la même façon ? Non plus : même s’il existe certaines tâches qu’on est obligé·e·s de déléguer (même en démocratie « directe », oui), iels décideraient de faire ça différemment, et de façon à ce que personne ne puisse faire carrière !
Si tou·te·s les syndicalistes décidaient directement, est-ce qu’iels fixeraient des salaires aussi élevés, avec tous les autres privilèges qu’on a vus, pour les personnes à qui une responsabilité est confiée ? Bien sûr que non !
Est-ce qu’iels les laisseraient être recasé·e·s par les capitalistes ou l’État ? Certainement pas, iels fixeraient au contraire des règles pour empêcher ça aussi ! (ce que tou·te·s les syndicalicien·ne·s aux manettes refusent systématiquement de faire hein)
Et est-ce qu’iels saboteraient leurs propres grèves, choisiraient des journées de « mobilisation » saute-moutons démobilisantes, une fois tous les 15 jours, pour s’épuiser eux-mêmes ? Absolument pas, évidemment, au contraire, iels voteraient des appels à la reconductible (ce qu’énormément de gens réclament) et se donneraient les moyens pour qu’elle réussisse !
Tous les problèmes qu’on a vus découlent de l’élection et de la délégation !
En fait les seuls arguments que je vois contre cette analyse, c’est juste les arguments classiques contre la démocratie directe en général : comme quoi le peuple (ou dans ce cas, la base) serait trop bête pour prendre directement les décisions, ou pas assez compétente, ou trop irrationnelle, trop manipulable, etc. Ou alors, l’idée qu’une démocratie directe à grande échelle, ce serait tout simplement impossible à réaliser, ou au moins trop difficile, etc.
Tous des arguments auxquels j’ai prévus de répondre en temps voulu, mais en fait il y en a qu’un seul dans le lot qui est vraiment fondé : le fait que c’est difficile à faire.
Pas impossible attention, mais oui, c’est vrai, c’est difficile de faire une démocratie directe à grande échelle en général, qui fonctionne bien et qui évite la fatigue démocratique et tous les pièges qui vont avec (comme la bureaucratisation justement). Et ça le sera aussi pour coordonner les luttes. Et c’est pour ça qu’on a tellement tendance tout le temps à avoir recours à de la délégation pour faire ça, parce que c’est plus facile et qu’on sait faire que comme ça.
Mais à partir du moment où on admet que c’est pas impossible, ben en y réfléchissant correctement (et collectivement), et en expérimentant, on finira bien par trouver des recettes qui marchent.
À condition d’arrêter de s’illusionner sur les directions, et de se fixer la démocratie directe comme objectif central, et d’y accorder l’importance qu’elle mérite, plutôt que de voir la question de la démocratie comme un truc accessoire, une revendication parmi d’autres.
Que faire maintenant à partir de là ? §
Alors pour conclure cette conclusion, que faire concrètement à partir de là ?
Hé bien… je ne sais pas exactement, désolé.
Comme je l’ai dit, je pense que la priorité et l’urgence pour notre camp, c’est d’arriver à nous organiser collectivement en démocratie directe à grande échelle, parce que ça conditionnera nos chances de succès dans toutes les luttes à venir. Ça, ça me paraît évident, sauf que je ne sais pas exactement comment y arriver.
Déjà, je ne suis pas sûr de savoir exactement comment organiser une démocratie directe à grande échelle, comment organiser les institutions.
J’ai bien quelques pistes pour commencer, dont je reparlerai plus tard, dans le tome 2, mais pas forcément de certitude sur ce qui serait le mieux…
Je pense que c’est un problème complexe qui ne peut pas être résolu par une seule personne, et une seule personne ne peut certainement pas imposer sa vision de la démocratie aux autres.
On ne décrète pas une organisation démocratique.
Et d’ailleurs j’ai pas un gros bouton rouge « démocratie directe » dans mon bureau sur lequel je refuserais d’appuyer. ;-) ;-) ;-)
Hm pardon.
Et puis un deuxième truc que je sais pas, c’est comment arriver à se débarrasser de la bureaucratie syndicale et faire des gros syndicats vraiment démocratiques aujourd’hui.
Est-ce qu’il faudrait tenter de se réapproprier les grosses orgas syndicales existantes, en diffusant en interne le plus possible un discours critique radical de la bureaucratie, et une revendication de démocratie directe partout, pour essayer de convaincre le maximum de syndicalistes sincères de cette nécessité absolue d’engager un vrai bras de fer interne avec leur direction, pour arriver à chasser les bureaucrates des orgas, tout en transformant ces orgas pour les rendre vraiment démocratiques ?
Ou alors, est-ce qu’il faudrait au contraire considérer que ces grosses orgas seraient déjà perdues de toute façon, que la dynamique interne donnera toujours trop de légitimité et de pouvoir aux bureaucrates pour qu’on puisse les renverser et transformer l’orga pour en faire quelque chose de correct, et qu’il faudrait plutôt tenter de créer de nouvelles structures fonctionnant en démocratie directe à grande échelle ? Avec l’objectif de convaincre ensuite le plus possible de syndicalistes sincères des gros syndicats bureaucratisés de les quitter pour rejoindre ces nouvelles structures vraiment démocratiques, pour les faire grossir, et laisser les anciennes orgas bureaucratisées disparaître ?
Ou encore, variante, faire grossir les petites structures un peu démocratiques existantes, tout en faisant gaffe à ce qu’elles restent démocratiques en grossissant ?
Ou peut-être un peu de tout ça en même temps ?
Malheureusement, j’ai pas de réponse à tout ça, et aucune certitude sur quelle stratégie fonctionnerait le mieux…
Mais dans tous les cas, je pense que notre priorité devrait être de faire prendre conscience au plus grand nombre de l’ampleur de la corruption des directions, du fait que non, c’est pas juste de la tiédeur ou de la mollesse, et surtout, de faire prendre conscience de l’importance de cette question de démocratie interne, et de l’urgence de la critique du principe des élections et de la délégation partout, et pas seulement à échelle locale, mais jusqu’au sommet de nos orgas.
Les élections posent les mêmes problèmes partout, même en dehors des États, parce que les mêmes causes entraînent toujours les mêmes effets.
Tant que cet aspect absolument central continuera d’être sous-estimé par tout le monde, on ne pourra pas avancer.
C’est le but de ce texte/chapitre, et c’est pour ça que j’ai argumenté aussi longuement et avec autant d’exemples : dans l’espoir de convaincre le plus de monde de l’importance centrale de cette question.