Chapitre on sait pas encore combien : Les syndicats et les élections dans les syndicats §

NOTE : ce texte/chapitre est encore à l’état de brouillon, en attente de retours critiques et commentaires. Je ne pense pas qu’il évoluera énormément, et vous pouvez quand même le sauvegarder et le repartager sous licence Creative Commons BY-NC-ND1. 1, à condition de citer l’auteur (Jor) et le site d’origine (ddirecte.org), et de ne pas faire de bénéfice dessus.
(Note aussi : quand vous voyez « META », vous inquiétez pas c’est juste une note pour moi, pour me rappeler de revenir à cet endroit plus tard.)

Bien. On a vu que les partis politiques étaient aussi pourris que l’État, car fonctionnant sur un modèle électoral. Mais le problème ne se limite pas à ça, et concerne en réalité tout type d’orga qui fonctionne sur un modèle électoral et représentatif, et donc aussi : les associations à but (théoriquement) non lucratif, et, ce qui est particulièrement important pour nous, les syndicats.
Les syndicats sont importants pour notre camp, primordiaux même, parce que c’est eux qui organisent et coordonnent nos luttes et nos grèves, c’est à dire notre riposte contre les attaques antisociales de l’État et du patronat. Selon que les syndicats sont combatifs ou pas, efficaces ou pas, ça change tout dans nos chances de victoire, et dans le rapport de force avec le camp capitaliste !
Malheureusement on y retrouve tous les problèmes qu’on retrouve dans les autres institutions électorales, comme un manque flagrant de démocratie, ou de la corruption à tous les étages, qui sont les conséquences mécaniques de la délégation.
J’avais déjà parlé un peu de la corruption et du fait que c’était justement la conséquence inévitable de la logique électorale et de délégation de pouvoir, et donné une poignée d’exemples de corruption dans les syndicats dans le chapitre dédié à la corruption, mais je vais en remettre une grosse couche ici (et, au delà de la seule corruption, sur toutes les conséquences du fonctionnement électoral, comme la bureaucratisation), parce que c’est vraiment trop important, et le déni du problème dans notre camp est beaucoup trop important, et ses conséquences absolument dramatiques.
En fait, j’irai même jusqu’à dire que c’est à cause de ça que notre camp perd sans discontinuer, depuis des décennies, donc il est plus que temps de regarder le problème en face !
Le problème, c’est que les syndicats fonctionnent eux aussi sur un modèle représentatif, avec une délégation importante du pouvoir à un petit nombre de personnes : lorsqu’il y a des grèves dans une entreprise, c’est (généralement) organisé par quelques délégué·e·s syndicales·aux (ou une poignée de meneurs·euses). Et quand il y a des grèves sectorielles ou au niveau national, c’est coordonné par des organisations syndicales, où c’est généralement des bureaucrates élu·e·s qui prennent les décisions, donc un petit nombre de personnes.
En pratique, presque à chaque fois, l’efficacité de la grève, va dépendre presque totalement (ou en grande partie) de la bonne volonté d’un petit nombre de personnes. Et du coup c’est logique que ces personnes (permanent·e·s, délégué·e·s syndicales·aux, et directions syndicales), soient la cible de tentatives de corruption ou « d’arrangements » de la part du patronat pour décourager les grèves ou les saboter, et bien souvent ça marche, comme on va le voir.
Je précise ici par avance2.
Et je le répéterai et j’y reviendrai au cours du chapitre, car je suis payé à la ligne.
2 que mes critiques des syndicats ici, même si elles sont radicales, ne visent absolument pas les syndicalistes en bloc, dont l’écrasante majorité sont sincères, mais les directions et la bureaucratie syndicales, et surtout la façon dont les syndicats fonctionnent, parce que c’est ce fonctionnement qui génère cette bureaucratie.

Exemple « imaginaire » simplifié d’un·e syndicaliste qui organiserait une grève, puis serait corrompu·e et trahirait §

On va prendre un exemple fictif simplifié, histoire de bien illustrer le problème.
Imaginez une entreprise avec quelques dizaines de personnes… allez, on va dire une trentaine de personnes… qui veulent se mettre en grève pour réclamer une augmentation de salaire de cent euros. La grève commence, coordonnée par un·e « leader » syndical·e (genre délégué·e syndical·e).
  1. Maintenant mettez-vous d’abord dans la peau de la·du patron·ne pendant cette grève3.
    Enfin, peut-être pas littéralement « dans la peau », car c’est pas exactement légal.
    3 : iel a quelques dizaines (ou centaines) d’employé·e·s en colère en face, qui réclament des meilleurs salaires et des meilleures conditions de travail, et iel veut surtout pas céder.
    Du coup, c’est logique de tenter (au moins) de proposer aux représentant·e·s et délégué·e·s syndicales·aux qui organisent la grève des avantages personnels, en échange de l’arrêt de la grève.
    Par exemple, si vous avez des dizaines d’employé·e·s qui réclament une hausse de 100 € mensuels, vous pouvez proposer à la place une augmentation de 300 € mensuels aux deux syndicalistes qui viennent faire la négociation au nom de ces employé·e·s, s’iels font arrêter (ou échouer) la grève.
    C’est totalement dans votre intérêt de patron·ne.
    D’abord dans l’immédiat, ça vous reviendra beaucoup moins cher d’augmenter deux salarié·e·s de 300 €, de que d’augmenter plusieurs dizaines de personnes de 100 €, évidemment.
    Mais en plus (et surtout), ça évite de céder aux revendications des salarié·e·s ! C’est super important de ne jamais céder, et les patron·ne·s veulent à tout prix éviter. Parce que céder à une grève une fois, c’est laisser les employé·e·s prendre conscience de leur propre force et de leur propre pouvoir de blocage, et c’est donc s’exposer au risque d’avoir d’autres grèves plus tard pour revendiquer d’autres trucs !
    Donc c’est y perdre encore plus sur le long terme, et voir son autorité de patron·ne attaquée. Pour ne pas céder, les patron·ne·s peuvent même être prêt·e·s à perdre plus d’argent (en corruption, ou en conséquences de la grève) que ce que céder à cette grève leur coûterait directement !
    Donc les patron·ne·s vont forcément proposer ce genre d’arrangements aux syndicalistes qui viennent les voir et qui peuvent faire arrêter la grève. C’est presque inévitable.
  2. Maintenant, mettons-nous à la place des délégué·e·s qui vont négocier avec ce·tte patron·ne : elleux aussi auraient intérêt à accepter, évidemment !
    Parce qu’entre :
    • une augmentation de 300 € certaine tout de suite et être dans les petits papiers du ou de la patron·ne (c’est à dire : de la personne qui peut décider de votre carrière pendant les années à venir, quand même !), ou alors
    • poursuivre une grève pour arracher peut-être (c’est même pas sûr) une augmentation de 100 € seulement (donc trois fois moins), et risquer en plus de se voir emmerdé·e dans sa carrière plus tard par ce·tte même patron·ne au moindre prétexte, voire licencié·e, parce que vous avez refusé de vous arranger…
    …ben c’est vite fait de voir ce qui est le plus intéressant hein !
    (Bien sûr, en théorie les patron·ne·s n’ont pas le droit de traiter les responsables syndicales·aux ou les grévistes plus sévèrement que les autres juste parce que c’est des responsables syndicales·aux ou des grévistes. Mais dans la vraie vie, on sait tou·te·s qu’iels le font tout le temps et qu’il y a pas forcément de recours, vue notamment la mauvaise foi des tribunaux, dont j’ai déjà parlé…)
    Et encore, là j’ai dit juste 300 € dans mon exemple pour simplifier, mais peut-être qu’en vrai les enchères pourront monter bien plus haut, genre 500 ou plus, avec éventuellement des promotions en plus (ou des changements de postes, genre une mutation demandée depuis longtemps) qui amélioreront pas mal les conditions de travail des corrompu·e·s. Sans même parler de la hausse de salaire, la possibilité d’être promu·e·s cadres par exemple, pour ne plus avoir à bosser elleux-mêmes, mais juste gérer le travail des autres, c’est évidemment vachement intéressant !
    Du point de vue des patron·ne·s, ça coûte peut-être un peu cher hein, mais ça reste toujours beaucoup plus rentable que de laisser les grévistes gagner. (D’autant que l’entreprise a ptètre besoin de cadres de toute façon, donc ça change pas grand chose pour la·le patron·ne de prendre ceux-là plutôt que d’autres !)
    Et c’est encore plus facile du fait que les salaires des un·e·s et des autres ne sont pas connu·e·s : si votre représentant·e syndical·e a une augmentation de plusieurs centaines d’euros peu de temps après une grève qui échoue, vous le saurez peut-être même pas… Donc il peut bien y avoir une vraie négociation entre représentant·e·s du personnel et patron·ne·s, sauf que le sujet de cette négociation ne sera pas forcément ce que la grève pourrait obtenir pour tout le monde, mais ce que les représentant·e·s pourront obtenir pour elleux tou·te·s seul·e·s…
Et si vous pensez que j’affabule, en fait je n’invente rien : c’est exactement ce qui s’était passé par exemple en 2017, lors du dégraissage par la société Ouibus (filiale de la SNCF), quand certains syndicalistes qui prétendaient organiser des grèves ont en fait été promus responsables, en échange de leur inaction !4.
Bon OK dans cet exemple c’était pas pour demander une augmentation, mais pour obtenir des conditions de licenciement un peu moins scandaleuses. Mais ça revient au même : des syndicalistes ont trahi leurs collègues par intérêt personnel.
4
Donc voilà, dans ce genre d’exemple, c’est complètement clair que c’est autant dans l’intérêt des patron·ne·s que des syndicalistes de « s’arranger entre gens intelligent·e·s », comme on dit, plutôt que de tenter l’affrontement par la grève…
Ça ne veut pas dire que tou·te·s les syndicalistes vont le faire et vraiment trahir leurs collègues, bien sûr, mais iels vont au minimum être tenté·e·s, c’est obligé, et surtout : ce serait dans leur intérêt de le faire, et ça c’est un problème.
Ici on voit totalement l’intérêt de la délégation de la responsabilité à un petit nombre de syndicalistes… pour le patronat ! Ça permet de négocier à huis clos, avec un tout petit nombre de personnes en face !
Et si la corruption ne marche pas (ou coûterait trop cher), c’est aussi possible de menacer et de faire pression sur les leaders, ce qui est aussi facilité par la délégation : à partir du moment où l’efficacité des grèves dépend d’une poignée de personnes, même si c’est pas des élu·e·s mais des gens qui se retrouvent propulsé·e·s « leaders » un peu par hasard et par les circonstances, les patron·ne·s peuvent quand même faire pression sur ces personnes, à coups de menaces plus ou moins explicites… Et donc même si ces syndicalistes ne veulent pas trahir ouvertement leurs collègues en sabotant, ptètre qu’iels seront quand même pas aussi combatifs·ves que s’il y avait pas eu ces menaces hein…
Il y a même régulièrement des meurtres de syndicalistes trop gênant·e·s commandités par des entreprises, par exemple en Colombie. Et même en France, il y a parfois des tentatives, comme en 2019 contre un syndicaliste de McDonalds à Marseille, ou encore, en 2021, une cheffe d’entreprise dans l’Ain qui avait payé des tueurs à gages5.
Dont un ex commandant de police de la DGSI…
5 75 000 euros pour faire assassiner un syndicaliste gênant ! (Heureusement, le projet a avorté.)
Même si c’est des cas extrêmes qui restent rares, ça dit quand même quelque chose des intérêts en jeu, et de jusqu’où les patron·ne·s peuvent être prêt·e·s à aller pour les défendre ! À côté de ça, tenter de corrompre est évidemment bien moins « grave », moins risqué, et donc bien plus fréquent, et ce sera l’approche privilégiée le plus souvent.
Ici encore, que ce soit des pressions, des menaces, des violences, ou des tentatives de corruption, tout ça est rendu largement plus facile parce qu’on confie la responsabilité d’organiser les grèves et de négocier avec le patronat à un petit nombre de personnes.

La corruption dans les syndicats (exemples) §

Ici on me dira ptètre que « Oui enfin bon t’exagères. OK ça peut parfois arriver ce que tu dis, et t’as trouvé un exemple, mais tou·te·s les syndicalistes font pas ça quand même, c’est exceptionnel ! »
Et… oui et non, en fait. C’est vrai que tou·te·s les syndicalistes ne font pas ça. Loin de là en fait. Je pense même que la plupart des syndicalistes sont sincères et honnêtes. En particulier à la base.
Par contre, dire que ce serait « exceptionnel » ? Houlà, là non, désolé, je pense que c’est bien naïf !
La corruption est très répandue dans les syndicats, beaucoup plus qu’on le croit, en particulier au « sommet », et je crois qu’il faut surtout pas la sous-estimer.
Comme pour la corruption des politiques, on a quantité d’exemples qui sortent régulièrement dans la presse, voire des bouquins entiers qui en parlent, genre « Solidarity for sale »,6.
De Robert Fitch, 2006.
6 sur la corruption des syndicats aux US, ou « Syndicats - corruption, dérives, trahisons »,7.
De Jean-Luc Touly et Roger Lenglet, 2013.
7 dont j’ai repris certains des exemples ici.

Les magouilles dans les Comités d’entreprise §

Un truc qui revient beaucoup : la corruption et les magouilles dans tout ce qui est comités d’entreprise (CE), ou les institutions assimilées.
Pour rappel, les comités d’entreprise sont des institutions représentatives du personnel dans les entreprises.8.
Qui ont été remplacés par les CSE, « Comité social et économique », depuis une loi de 2018, mais qui ont les mêmes attributions.
8
Rôles (théoriques) du comité d’entreprise : principalement organiser des activités sociales et culturelles au bénéfice des salarié·e·s et de leur famille proche, et vérifier les comptes de l’entreprise.
Les CE sont composés d’élu·e·s syndicales·aux, mais toujours présidé par des représentant·e·s de l’entreprise.
Bref, on a donc énormément de magouilles dans ces Comités d’entreprise, vu que c’est des instances qui gèrent des sommes considérables :
Bref, des magouilles à la pelle donc, et c’est juste quelques exemples parmi beaucoup d’autres…
Ce qui est frappant, c’est l’inaction quasi systématique des directions d’entreprises, voire leur complicité. Elles sont censées surveiller et contrôler quand même ce qui se passe dans le CE, ce qu’il advient de tout ce fric, mais bizarrement ne font rien pour mettre fin aux malversations. Alors qu’elles peuvent difficilement les ignorer hein, vu que c’est toujours l’entreprise qui préside le CE…
En fait, les entreprises laissent souvent faire en regardant ailleurs, en sachant très bien que les représentant·e·s syndicales·aux piquent dans la caisse, et qu’iels savent que l’entreprise sait et ne fera rien. C’est au mieux une entente tacite.
C’est vachement pratique en fait, parce que ça permet à l’entreprise d’acheter les syndicalistes, comme si elle leur versait directement de l’argent, mais l’avantage de cette approche (qui revient en gros à mettre un gros paquet de fric sur la table et à fermer les yeux en attendant que les syndicalistes piquent dedans), c’est qu’en cas de souci (par exemple judiciaire) ça permet ensuite à l’entreprise de prétendre plus facilement qu’elle y serait pour rien et qu’elle ne savait pas qu’il y avait des malversations…
Mieux que ça : les entreprises ont parfois carrément volé au secours des syndicats pour leur éviter des ennuis, comme en 2000, quand la SNCF a remboursé gentiment une dette de treize millions de francs quand même, contractée par un de ses CE, alors que c’est la CGT qui l’avait contractée, et qui aurait dû la rembourser…
Quelle générosité ! Et certainement totalement désintéressée de la part de la SNCF bien sûr…
Donc peut-être que ce fonctionnement arrange en fait pas mal les entreprises, et que c’est pour ça qu’elles laissent toutes ces « dérives » se produire ? Les Comités d’entreprise, ça sert aussi de prétextes vaguement légaux pour filer plein de fric à des syndicalistes corrompu·e·s, et à acheter comme ça la paix sociale.11.
On pourrait d’ailleurs questionner leur utilité en général à part ça, vu que peu de salarié·e·s profitent en pratique de leurs services : pour le CE de la RATP par exemple, 13 % seulement des salarié·e·s de la RATP lui font appel pour organiser leurs séjours de vacances, dont surtout les salarié·e·s les plus favorisé·e·s de l’entreprise… On est loin de la prétention de permettre « au plus grand nombre » de partir en vacances…
11

Des tas d’autres magouilles (pub dans la NVO, etc.) §

Le bouquin dénonce plein d’autres magouilles en vrac, comme au journal de la CGT, la NVO (la Nouvelle Vie Ouvrière), qui (comme apparemment pas mal d’autres publications syndicales…) a été pendant des années financé par… de la pub pour des grandes entreprises et des collectivités !
Ce qui veut surtout dire : que ces entreprises ont versé plein d’argent au journal ! Et on parle pas de petites sommes : le prix cité pour une seule page de pub (pour Dalkia) va jusqu’à 7 000 euros la page ! Parmi les annonceurs, on trouve des entreprises comme Air France, Dassault, Veolia, EDF, GDF, etc.
Ce qui est d’autant plus curieux que le lectorat de la NVO n’est pas le public visé par une bonne partie de ces entreprises (aucun·e particulièr·e ne traite directement avec Dassault ou Veolia par exemple, c’est les collectivités qui sont leurs client·e·s). Elles n’ont donc pas beaucoup d’intérêt à dépenser des sommes pareilles dans un but publicitaire.
C’est donc juste un prétexte légal pour filer de l’argent aux syndicats, encore.
Et c’est pas comme si les recettes publicitaires étaient anecdotiques hein : en 2010 elles représentaient 1.5 M€ de rentrées d’argent pour la NVO, pour un chiffre d’affaires de 8 M€. Et étaient d’autant plus importantes que la NVO était fragilisée financièrement : ce qui donne un pouvoir plus important aux annonceurs évidemment…
Sinon on y retrouve là aussi des histoires d’emplois fictifs, de distribution d’enveloppes de billets à des permanents, de cartes bancaires permettant à des cadres de retirer directement du liquide depuis le compte du syndicat, etc. Au moins une cinquantaine de personnes auraient été concernées apparemment, dont des cadres également membres du bureau confédéral de la CGT…
Le livre cite aussi des magouilles à la Poste : des repas luxueux offerts à des syndicalistes par la direction, et d’autres avantages comme des primes, des augmentations, des chèques cadeaux, des journées de RTT injustifiées (plus du double de ce que le statut de la personne était censé leur garantir !), etc.
Il y a même eu des distribution de timbres produits (donc certains devaient avoir pas mal de valeur) à des employé·e·s, en quantité, et sans traçabilité. Plus généralement, la direction de la Poste a carrément subventionné directement les syndicats de plusieurs façons. Un bon moyen de les tenir…
Bref je ne vais pas re-citer ici tous les exemples du bouquin (y en aurait trop), et j’en ai fait qu’un résumé express, mais il faut vraiment voir que tout ça est largement répandu.
Bien sûr, presque à chaque fois, tous ces cadeaux et tout ce fric dont les entreprises arrosent les responsables syndicales·aux s’accompagnent, curieusement, d’une absence de réaction des syndicats face aux pires manœuvres de l’entreprise contre ses employé·e·s ! Étonnant hein ?
On a comme ça de nombreux cas de harcèlement moral de salarié·e·s, des plans de licenciements ou de « restructurations », des délocalisations, etc. sans que les syndicats lèvent le petit doigt !
Ça va même souvent plus loin que la simple inaction, et jusqu’à la complicité active ! Les syndicats se chargent souvent eux-mêmes de faire pression sur leurs délégué·e·s trop incorruptibles et qui voudraient organiser des actions et des grèves pour les en dissuader : chantages, harcèlement (là aussi), retrait des mandats syndicaux, etc. Les syndicats peuvent même accepter de servir d’alibi aux directions, comme lorsque certaines centrales syndicales à la Poste ont signé des attestations prétendant que tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes à Phil@poste,12.
La division de la Poste chargée de l’impression des timbres.
12 et prétendant que la direction de l’entreprise n’avait rien fait de répréhensible, non non, alors qu’il était établi qu’elle avait harcelé et menacé des salarié·e·s, au point qu’il y avait même eu des tentatives de suicides…
Cette complicité des syndicats alors qu’ils sont censés combattre les abus de leurs entreprises, c’est juste la conséquence logique, malheureusement, de tout ce fric distribué : comme je le disais, les entreprises sont à but lucratif, donc elle laisseraient pas des millions d’euros être détournés chaque année (littéralement, quand on parle du budget de CEs de grosses boites…), si ça leur rapportait rien en retour hein ! Ce fric vient en contrepartie de la passivité et de la coopération des syndicats pour éviter qu’il y ait des grèves.

Le cas de FO à Marseille §

Autre exemple de corruption encore, mais dans un autre style : à Marseille, l’alliance clientéliste historique du syndicat Force Ouvrière (FO) avec le maire depuis… trois générations ! Une alliance initiée en 1953 par le maire d’alors, Gaston Defferre,13.
Oui je sais ça sonne bizarrement, le « maire d’alors ».
13 au départ pour contrer la CGT.
Une alliance là aussi basée sur un échange de bons procédés entre gens raisonnables :
Tout ça fait que le syndicat remporte systématiquement toutes les élections professionnelles depuis soixante-dix ans ! Quant au maire, il y gagne un soutien de poids lors des élections !
Gagnant-gagnant, on vous dit.
Et tous les maires et leaders syndicales·aux qui se sont succédé ont à chaque fois maintenu et entretenu le système, parce que c’était tout simplement dans leur intérêt !
Inutile de dire que tout ça ne va pas vraiment dans l’intérêt des salarié·e·s par contre là non plus, qui ont peut-être l’impression d’être défendu·e·s, mais le sont pas vraiment.

Des exemples à l’international et aux US §

Bien sûr, j’ai surtout pris des exemples des grosses boîtes en France, mais ça se limite pas à ces grosses boîtes ni à la France, et on en trouve un peu partout, vu que les syndicats fonctionnent un peu partout de la même façon.
USA : la corruption des leaders de l’UAW §
On a aussi eu par exemple, aux États-Unis, la corruption des leaders de l’UAW15.
L’United Auto Workers, l’un des plus importants syndicats outre-Atlantique.
15 par les constructeurs automobiles. En gros, les leaders de l’UAW ont détourné des millions de dollars de cotisations syndicales à leur profit, reçu des pots-de-vin par des entreprises sous différentes formes pendant des années, et en échange ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour servir la direction : freiner et saboter les luttes des salarié·e·s, briser leurs grèves, réprimer les salarié·e·s et les monter les un·e·s contre les autres, et leur faire accepter de force tous les « accords » exigés par la direction qui réduisaient les salaires effectifs ou exigeaient plus d’heures travaillées… Et tout ça pendant plusieurs décennies (depuis au moins 1979, quand le président de l’UAW avait rejoint… le conseil d’administration de Chrysler !).
USA : le sabotage des grèves à Northwest Airlines par trois principaux syndicats §
Autre exemple bien parlant, aux US encore : la grève de 2005 à Northwest Airlines (NWA), et son sabotage par les principaux syndicats.
Une histoire intéressante, parce qu’elle montre bien la trahison répétée des syndicats, et que c’est pas des cas isolés.
Quelques années avant, en 2001, les travailleurs·euses avaient arraché des avancées importantes grâce à une grosse grève, organisée avec le soutien d’un syndicat assez combatif à l’époque, l’AMFA.16.
37 % d’augmentation de salaire quand même, un doublement du taux des pensions, la mise en place de limites à la sous-traitance, etc.
16
Sauf que, trois ans plus tard, en octobre 2004, la Northwest Airlines voulait absolument revenir sur ces avancées, et surtout briser les tentatives de grèves futures. Dans les nouvelles « négociations », elle a imposé des conditions inacceptables, dont des baisses de salaires de 25 %, des réductions de pensions, le licenciement de plus de 50 % des employé·e·s, des réductions du nombre de jours de congés, etc. ! Face à ça, l’AMFA a évidemment organisé une grosse grève l’année suivante, sauf que là, la NWA s’était préparée à affronter une grosse grève, et surtout, s’était assurée d’abord d’avoir le soutien des autres principaux syndicats : l’IAM,17.
L’International Association of Machinists.
17 la TWU18.
Transport Workers Union.
18 et l’IBT.19.
International Brotherhood of Teamsters.
19
Du coup tous ces syndicats ont tout fait pour que la grève organisée par l’AMFA échoue : ils ont appelé leurs membres à briser les grèves et à traverser les piquets pour aller travailler, avec des prétextes bidons, du genre « parce qu’après tout il vaut mieux que ce soit nos membres qui bossent pendant la grève que des briseurs de grève recrutés exprès pour ça » ! L’un des syndicats (la TWU) a même carrément organisé un forum de l’emploi pour recruter des briseurs·euses de grève ! Ces syndicats ont finalement réussi à faire échouer la grève, et la compagnie a pu imposer ses exigences immondes et virer des milliers de travailleurs·euses…
Luca Visentini, secrétaire général de la Confédération syndicale internationale, mouillé dans le Qatargate §
Autre exemple de corruption de syndicalistes à l’international : fin 2022, c’est le syndicaliste italien Luca Visentini, secrétaire général de la Confédération syndicale internationale (CSI), qui a été mouillé dans le scandale du Qatargate et a admis avoir reçu 50 000 euros de la part d’une ONG financée par la monarchie qatarie. Une autre syndicaliste italienne, Susanna Camusso, qui avait été candidate à la présidence de la même CSI en 2018, a aussi été accusée d’avoir reçu la même somme de la part de la même ONG, à un moment où le Qatar cherchait à amadouer les syndicats à l’international à propos des conditions de travail sur les chantiers qataris de la coupe du monde…
Coïncidence, Luca Visentini avait aussi été particulièrement indulgent, limite élogieux en fait, par rapport aux conditions de travail pendant la Coupe du monde au Qatar, parlant carrément de « success story » et d’un modèle à suivre, ce qui est particulièrement gonflé, quand on sait que des centaines au moins de travailleurs migrants sont morts sur les chantiers de la Coupe du monde au Qatar à cause des conditions de travail inhumaines !

Pas seulement dans les grosses boites §

Et faut pas croire que ça se limiterait aux grosses boites non plus hein !
Il y a sûrement plus d’exemples de magouilles comme ça qui sont connus et documentés dans des grosses boites, parce que :
  1. il y a mécaniquement plus de monde impliqué que dans les magouilles des petites boites, ce qui augmente quand même un peu le risque qu’au moins une personne sincère finisse par tomber dessus et par lancer l’alerte, et puis
  2. ça intéresse plus le public évidemment de savoir qu’il y a eu de la corruption dans une entreprise énorme que tout le monde connaît (genre La Poste, EDF, la SNCF, la RATP…) que dans une TPE à dix employé·e·s du fin fond de la Corrèze hein…20.
    Désolé pour la Corrèze, mais bon, Chirac et Hollande c’est de votre faute quand même !
    20
Mais l’exemple (fictif) que je citais avant démontre je pense que c’est facile pour les patron·ne·s de proposer aux syndicalistes des « arrangements » plus avantageux pour elleux que n’importe quelle lutte ou grève le sera jamais, et que ce sera le cas à partir du moment où il y a un petit nombre d’intermédiaires entre la direction et les salarié·e·s, et où le patronat négocie avec un nombre réduit de personnes.
Bien sûr, le budget de la corruption va aussi dépendre de la taille de l’entreprise, et plus une entreprise a de salarié·e·s, et plus la direction pourra proposer des avantages important·e·s à la poignée de syndicalistes avec qui elle traitera, et ça restera toujours (beaucoup) plus intéressant pour tout ce monde que d’aller à l’affrontement…

Les gros syndicats brassent des millions §

Et encore, ici j’ai surtout cité des exemples de corruption syndicale qui impliquaient une entreprise, mais y a aussi des magouilles purement « internes » aux syndicats, comme des détournements de fonds, du copinage, des marchés « publics » truqués, et autres combines diverses, où on voit que beaucoup de leaders syndicales·aux n’ont pas de scrupules et n’hésitent pas à piquer dans la caisse pour leur intérêt personnel.
Mais en même temps, est-ce que c’est si étonnant que ça qu’il y ait tout ça, vu le fric que les gros syndicats brassent ?
Pour les syndicats importants et les grosses confédérations, on parle de budgets qui se chiffrent en dizaines, voire centaines de millions d’euros annuels au total.
En 2003-200421.
Chiffres publics les plus récents que j’ai pu trouver. La source est un rapport public de 2006.
21 :
(Et ça c’est juste en France, où le taux de syndicalisation est faible par rapport à pas mal de ses voisins, mais dans d’autres pays comme l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, les sommes sont encore plus élevées…)
Et tout ça, c’est sans compter tout le fric géré par les comités d’entreprises et autres, dont on a vu juste quelques exemples plus haut, et qui là aussi se chiffre en (dizaines de) millions d’euros pour les grosses boites !
Donc même si tout cet argent n’est pas exactement rassemblé en un seul endroit, c’est quand même des très grosses sommes qui circulent au total. Des sommes comparables à celles gérées par certaines collectivités hein. Du coup c’est pas vraiment surprenant qu’une telle quantité de pognon attire les rapaces et génère des magouilles à tous les niveaux, ici encore.
C’est pas spécifique aux syndicats remarquez hein, ce sera le cas dans n’importe quelle organisation avec un budget important : genre grosse association, collectivité, etc. : sur tout le fric que ces orgas gèrent, c’est un peu logique que des tas de gens tentent de se servir un peu ici ou là, en se disant que ça se verra pas trop.
Et ici encore c’est dû à la délégation du pouvoir de décision à un petit nombre de personnes : s’il y avait une vraie transparence et que la façon dont le fric était utilisé était décidée par l’ensemble des membres du syndicat (en démocratie directe donc), il ne pourrait pas y avoir ces problèmes (ou pas à une échelle comparable, et ce serait marginal).

La bureaucratie §

C’est le moment de parler un peu de la fameuse bureaucratie syndicale, souvent dénoncée (à raison) par à peu près tout le monde comme un obstacle aux grèves et aux luttes.
Plusieurs définitions existent de la bureaucratie, comme une « aristocratie du travail », une « couche privilégiée parmi les travailleurs·euses » liée à la bourgeoisie, et qui a des intérêts particuliers à défendre, plutôt que l’intérêt de tou·te·s les travailleurs·euses.
Tout ça est vrai, mais pour simplifier, concrètement, la « bureaucratie », dans une organisation hiérarchisée, c’est tou·te·s les gens qui se partagent plus ou moins le pouvoir de décision. Donc, dans notre cas, des cadres du syndicat, qui sont soit élu·e·s, soit nommé·e·s par des élu·e·s, puisque ces organisations fonctionnent sur un modèle électoral.
Des gens qui, du fait de leur position de chef·fe·s, de cadres, de leaders, ont des intérêts différents de ceux de la masse, intérêt à préserver et à consolider leur position plutôt qu’à tout faire pour que les luttes réussissent.

L’exemple de la confédération de la CGT §

Pour voir un peu comment ça marche, rien de mieux que des exemples. Du coup voyons un peu comment l’actuel grand chef de la CGT, Philippe Martinez, est arrivé au pouvoir, et comment lui et les autres à la direction traitent leurs subordonné·e·s.23.
Ici, je me base en partie sur le bouquin « Au royaume de la CGT : la résistible ascension de Philippe Martinez » (Jean-Bernard Gervais, 2020).
23
Philippe Martinez, arrivé aux manettes dans un déni flagrant de démocratie §
Déjà, son arrivée aux manettes de la CGT commence par une première énorme magouille électorale : élu dans un déni flagrant de démocratie !24.
Bon, les élections c’est déjà de la merde et pas démocratique en général hein. Mais même par rapport aux élections en général, ici il y a eu une grosse manipulation.
24
Pour simplifier un peu : en janvier 2015, à la suite de l’affaire Lepaon (dont je parlerai plus loin), qui a forcé le secrétaire général Thierry Lepaon à démissionner, la CGT devait d’urgence le remplacer et trouver un nouveau secrétaire général. C’est donc le CCN (Comité confédéral national), une sorte de parlement de la cégété, qui rassemble des délégué·e·s de plein de fédérations (vu que la CGT est une confédération), qui devait en gros décider de qui mettre aux manettes, au moins en attendant que les militant·e·s puissent voter.
Pour dire à quel point c’est démocratique, c’est Thierry Lepaon qui, en partant, a choisi son successeur : Philippe Martinez. Parce que Lepaon avait certes dû démissionner du secrétariat général, mais il siégeait toujours à la Commission exécutive (la direction de la CGT), et son clan y était majoritaire, ce qui lui donnait encore beaucoup d’influence. Mais il fallait encore faire accepter tout ça, et faire valider Martinez par le CCN (le parlement), ou par le vote des militant·e·s.
Il faut savoir que le CCN fonctionne un peu selon le principe bien pourri de l’élection présidentielle américaine par « collèges », où chaque fédération représentée a un certain nombre de voix (selon son nombre de membres), et ces votes basculent tous du même côté, théoriquement selon ce qu’ont voté majoritairement les gens de cette fédé.
Et donc, la veille de ce CCN, la fédération CGT de la Santé, une des plus importantes, avait voté contre l’hypothèse Martinez, à une écrasante majorité (75 %). Sauf que, le lendemain, les délégué·e·s de cette fédération au CCN n’ont pas respecté le mandat qui leur était donné et ont voté pour, faisant basculer 36 voix sur les 335 du CCN ! Pourquoi ? Parce que la secrétaire générale de la fédé Santé était alors Nathalie Gamiochipi, la… compagne de Philippe Martinez !
Bref, ici cette magouille n’avait pas suffi à faire élire Martinez directement (il lui aurait fallu 66 % des voix du CCN, et il n’en a eu que 57 % en tout), mais ça lui a donné assez d’élan pour être perçu par beaucoup de monde comme le choix « naturel » pour ce poste, et lui a permis de se faire ensuite élire par les militant·e·s de la CGT lors du vote qui a eu trois semaines après le CCN, début février 2015…25.
D’autant qu’ici en plus, on peut imaginer que les militant·e·s étaient pressé·e·s d’enfin tourner la page de la crise Lepaon, ce qui a dû aussi jouer dans leur acceptation de la seule proposition qui leur était faite…
25
Après, on peut se consoler en se disant que, au congrès suivant de la fédération Santé, à peu près l’ensemble de la direction de cette fédé a ensuite été virée dans la foulée par le vote des militant·e·s, en colère (et on les comprend) de cette trahison… Sauf que c’était trop tard : le « coup d’État » à la confédération était déjà fini, et Martinez déjà sacré grand chef à plumes.
Et puis vous inquiétez pas pour ces traîtres·ses : une bonne partie d’entre elleux ont été recasé·e·s par Martinez ensuite pour les remercier ! Deux-trois exemples sont cités dans le bouquin :
La première année de mandat : un an de… campagne électorale §
Et après cette grande victoire pas du tout illégitime, Philippe Martinez a passé un an à… sillonner la France, organisant pas moins de deux mille rencontres avec des syndicalistes, en un an et quatre mois à peine ! Soit plus de quatre par jour en moyenne, tous les jours, week-ends et jours fériés compris !
Prétexte : comprendre pourquoi l’engagement syndical décline et pourquoi les troupes à la CGT diminuent.
Alors désolé, mais j’ai un petit doute sur la nécessité de faire tout ça, si c’était vraiment le but. Je veux dire : il y a pas besoin d’aller discuter en personne avec autant de gens pour se faire une idée ! C’est pas comme si les études et les interprétations sur le sujet manquaient,26.
Même si elles avancent parfois des causes contradictoires, selon qu’elles sont faites par des gens de droite ou par des gens un peu de bonne foi.
26 et si c’était vraiment pour savoir ce qu’en pensent les adhérent·e·s de la CGT, ça aurait probablement été possible (et plus simple, moins coûteux, et ça aurait gagné du temps à tout le monde) de faire des sondages, ou des questionnaires à faire remonter, par exemple.
Mais non : là le mec a littéralement passé une année de son mandat à aller discuter et serrer des paluches partout en France ! La vraie raison, plus probablement : se faire connaître, donner l’image de quelqu’un d’accessible et proche de ses troupes, et faire oublier son élection illégitime. C’est en fait… une campagne électorale qui ne dit pas son nom !
Qui a bien fonctionné d’ailleurs, puisqu’il a été réélu secrétaire général l’année suivante, en avril 2016, avec 90 % des voix, et est resté à ce poste jusqu’en 2023 !
Bureaucratie partout, syndicalisme nulle part §
Et si on regarde le fonctionnement de la confédération de la CGT en général, c’est tout à fait représentatif de ça : bureaucratie partout, syndicalisme nulle part (ou presque).27.
Source encore : « Au royaume de la CGT », de Jean-Bernard Gervais.
27
Le livre décrit une orga absolument pas démocratique, où les enjeux d’appareil priment sur toute autre considération, où la priorité des bureaucrates un peu partout est de préserver leur propre place et leurs petits privilèges à tout prix, à coups de négociations et d’alliances, et où la défense des salarié·e·s passe systématiquement au second plan (voire est carrément absente).
Le bouquin cite aussi, pèle-mèle :
Bref, ça craint. Mais là aussi, c’est des méthodes loin d’être l’apanage de la CGT…
En octobre 2018, le Canard enchaîné avait révélé que des cadres proches du secrétaire général de Force Ouvrière, Pascal Pavageau (qui a dû démissionner à cause de ça), avaient constitué un fichier illégal rempli d’informations personnelles sur plus d’une centaine de responsables de la centrale syndicale, avec des informations comme leurs idées politiques, leur état de santé ou leur orientation sexuelle, et même des appréciations personnelles, voire des insultes…
En plus des infos personnelles « classiques », étaient notées aussi les proximités partisanes des gens, comme « déteste Jean-Claude Mailly » ou « apprécié par Pascal Pavageau », et une des mentions en particulier, bien révélatrice, était « trop intelligent pour le faire entrer au Bureau Confédéral »…
Ce genre de fichage sert bien sûr aux bureaucrates dans leurs petits complots pour la prise (ou la conservation) de leur pouvoir : dans le cas extrême, à avoir des moyens de pressions sur d’autres bureaucrates, ou, au moins, à savoir avec qui iels peuvent s’allier, et qui est potentiellement dangereux·se parmi les autres cadres…
La lutte des places plutôt que la lutte des classes §
On a aussi des choix faits par la direction du syndicat selon des questions d’intérêt personnel et de basses considérations de personnes, ou des calculs électoraux internes. La confédération choisira par exemple plusieurs fois de ne pas relayer les luttes de certain·e·s salarié·e·s dans certains domaines à cause de ça :
Et tout ça, c’est que quelques exemples qui m’ont marqué, mais je peux pas vous résumer tout le livre non plus hein.
Donc voyez, il y a même pas besoin d’aller jusqu’à la corruption (même si elle est fréquente) pour démontrer la nocivité du système : le simple fait que des gens puissent faire carrière dans le syndicalisme pourrit le syndicalisme de l’intérieur, et contribue à le vider de sa combativité.
Cette possibilité de faire carrière crée des permanent·e·s dont l’intérêt change immédiatement à cause de leur position de permanent·e·s, de la même façon que l’intérêt des élu·e·s dans les autres institutions change à cause de leur position d’élu·e·s. Leur intérêt devient instantanément la préservation de l’organisation, et la préservation de leur propre place et de leurs privilèges, plutôt que les luttes.

Les privilèges des bureaucrates §

Et un petit coup d’œil du côté des privilèges que s’accordent les bureaucrates au sommet de ces orgas suffit pour se rendre compte qu’iels se foutent des luttes : entre leurs salaires de député·e·s (ou pas loin…) et les autres gros avantages qui vont avec, c’est évident que c’est pas la défense des salarié·e·s qui les préoccupe.
CFDT : entre quatre et cinq mille euros net mensuel §
Laurent Berger (grand patron de la CFDT) touchait en 2018 5 400 euros net par mois, « treizième mois compris », ce qui le plaçait parmi les 5 % de salarié·e·s les mieux payé·e·s du pays. C’est aussi un peu plus que son prédécesseur, François Chérèque, qui se contentait de « seulement » 4 500 euros nets sur treize mois.
CGT : Thierry Lepaon, le meilleur d’entre nous §
Ensuite, l’inénarrable Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT entre mars 2013 et janvier 2015, où il a été poussé à la démission par les scandales sur son train de vie à la confédération. Il y a beaucoup de trucs, mais pour essayer de faire court :
Notons quand même que Thierry Lepaon a été plus tard « blanchi » (enfin, uniquement pour ce qui concernait son appartement) par une enquête interne de l’IGPN… euh, je veux dire, une enquête interne de l’équipe suivante pardon, celle de Philippe Martinez, qui a dit que Lepaon n’aurait pas eu connaissance du coût des travaux.
Ce qui est non seulement invérifiable, et contredit par la presse,35. 35 mais en plus n’apporte pas non plus le début d’un commencement de justification pour ses autres abus (son salaire et sa prime « de départ »). Mais ça n’a pas empêché Martinez de répéter partout que l’honneur de Lepaon aurait été injustement sali et que c’était limite une victime d’un complot pour nuire à la CGT…
Bien sûr, la plupart des gens n’iront pas creuser le sujet de toute façon (par manque de temps, je les blâme pas), et se contenteront donc de la version officielle de la direction de la CGT comme quoi le scandale Lepaon n’en était pas vraiment un, et que y a rien à voir circulez.
Mais attendez, c’est même pas fini ! En fait, Thierry Lepaon a été tellement bien blanchi par la CGT, que celle-ci a continué de payer la location de son appartement « de fonction » pour lui jusqu’en février 2016 (soit 2 000 euros mensuels donc, pendant plus d’un an après sa démission), et a continué de lui verser son salaire (de 4 200 euros nets mensuels) au moins jusqu’en avril 2016.
Coût total de l’ex-grand chef pour la cégète depuis sa démission : au moins 150 000 euros, en à peine plus d’un an ! Le tout, justifié par son successeur Philippe Martinez parce que « nous n’avons pas trouvé d’évolution professionnelle en ce qui le concerne ».
Ah, c’est beau une telle solidarité ! On ne laisse pas tomber un camarade bureaucrate qui a tant donné (et surtout, tant pris).
CGT : Les « modestes » trois mille quatre cents euros de Philippe Martinez §
Par comparaison avec tout ça, le salaire de Philippe Martinez aurait l’air presque trop bas : « seulement » 3 400 euros net par mois en 2018, officiellement.
Ça a l’air un peu plus modeste, ptètre une précaution pour pas sauter directement, à la suite de l’affaire Lepaon, justement ?
Mais bon ça le place quand même parmi les 16 % de gens les mieux payé·e·s du pays hein, donc c’est pas non plus la misère pour lui hein. D’autant qu’il faut se méfier des chiffres fournis, qui peuvent souvent cacher des petites subtilités ou des grosses arnaques : rappelez-vous de François Ruffin, qui répétait partout qu’il se payait prétendument « au SMIC » comme député, et en creusant un tout petit peu on avait vu que c’était un gros mensonge… Donc il est pas dit que Martinez ait pas d’autres (petits ou gros) avantages en plus à côté, dont il se vante peut-être pas trop…
FO : des cadres qui se permettent tout §
Enfin, Jean-Claude Mailly, l’ex-patron de Force Ouvrière entre 2004 et 2018, où il touchait quand même la jolie somme de, accrochez-vous, cent mille euros bruts de salaire annuel, en comptant les primes. Soit plus de 6 500 net mensuel quand même, ce qui le plaçait parmi les 3 % de gens les mieux payé·e·s du pays !36.
Oui je sais j’aime bien faire cette comparaison. Je fais partie des 8 % des gens qui font le plus souvent cette comparaison.
36
Mailly était pas le seul, notez, et plusieurs autres hauts responsables de la confédération de FO percevaient entre 5 000 et 7 000 euros bruts mensuels. Ça va quand même. Sans parler de leurs notes de frais : apparemment le bureau confédéral de FO, qui compte à peine treize membres, avait dépensé, en 2017, 388 000 euros en notes de frais diverses (nuits d’hôtel, trajets d’avion, loyers…), soit presque 30 000 euros par personne en une année ! Si on ajoute ça à un salaire de 5 000+ euros bruts, mensuels, ça fait plus de 90 000 euros par bureaucrate par an ! Ça fait cher le kilo quand même…
Tout ça, alors que l’organisation était en plus en difficulté financière, et avait affiché une perte de 635 000 euros la même année !37.
Soit le « coût » de sept bureaucrates à peine !
37
C’est Thierry Lepaon qui doit l’avoir mauvaise : si les salaires et le train de vie des cadres de FO avaient fuité dans la presse avant son affaire à lui, par comparaison ses propres excès seraient presque passées pour presque-pas-trop-déraisonnables-enfin-bon-y-a-encore-pire-ailleurs-quoi, et il aurait ptètre même pas eu à démissionner !
Conclusion salaires et privilèges §
Désolé j’ai pas trouvé les salaires de tout le monde, j’ai donné ceux des figures les plus connues des principales orgas, histoire de montrer à quel point tout ça ressemblait quand même vachement au traitement des élu·e·s dans les institutions !
Et comme dans les institutions, il faut pas oublier que ces gens-là ne décident pas de leurs salaires tou·te·s seul·e·s, hein ! (ni du montant des travaux de leurs appartements, etc.) Toutes ces décisions sont votées au bureau confédéral (ou au CCN, ou n’importe quel autre organe de prise de décision des centrales syndicales), donc à peu près l’ensemble des bureaucrates qui gravitent autour de ces personnalités de premier plan sont au courant, sont d’accord, et sont probablement rémunéré·e·s des salaires assez proches de ceux des grand·e chef·fe·s ! (comme le cas des cadres de FO le prouve d’ailleurs)
On n’est pas devant des exceptions, qui concerneraient juste une poignée de secrétaires généraux qui se gaveraient en loucedé, sans que personne d’autre soit au courant : tout le monde autour d’eux sait, et, soit bénéficie d’un traitement similaire, soit espère en bénéficier un jour en progressant suffisamment dans l’orga. Et donc personne ne s’oppose à ça, au contraire.
Ici encore, tout ça est lié au principe de l’élection et de la délégation de pouvoir, et au fait que les élu·e·s auront toujours des intérêts différents de l’électorat, à cause de leur position d’élu·e·s ! Là où la masse des syndicalistes auraient intérêt à ce que les moyens de leur orga soient utilisés pour les luttes, ces bureaucrates et syndicalicien·ne·s professionnel·le·s ont intérêt à récupérer le maximum de fric pour elleux.
Les bureaucrates se foutent éperdument des luttes. Leur priorité est la préservation de leur position et de leurs privilèges, et un train de vie le plus confortable possible (au frais de l’organisation, évidemment).
Ça implique donc forcément que, même sans parler de la corruption, leur intérêt de bureaucrates est de faire en sorte :
  1. qu’il y ait le moins de transparence possible (par exemple, sur la façon dont l’argent est vraiment utilisé). Parce qu’évidemment, s’il y avait une vraie transparence, les syndicalistes de la base ne laisseraient pas faire tout ça et ne laisseraient pas ces parasites se goinfrer avec leur fric !
  2. qu’il y ait le moins de démocratie possible en interne, et que la base n’ait jamais trop son mot à dire sur les décisions qui sont prises, ni sur les règles de fonctionnement de l’orga.
    Sinon elle exigerait de la transparence évidemment, et que les moyens de l’orga soient utilisés pour les luttes, et pas pour les bureaucrates. Elle exigerait que ses représentant·e·s rendent des comptes, limiterait leurs salaires à des montants raisonnables et supprimerait leurs privilèges.
  3. Enfin, les bureaucrates ont intérêt à ce que les luttes échouent.
    Pour trois grosses raisons. D’abord, le coup des vases communicants : plus il y a de moyens consacrés aux luttes et aux grèves, et moins il reste de fric pour les bureaucrates et les permanent·e·s. Simple, basique.
    Ensuite, parce que les bureaucrates espèrent négocier et obtenir des beaux recasages de la part des capitalistes après leur mandat syndical (je vais parler des recasages dans un instant). Mais évidemment, ce serait pas possible si leur syndicat était combatif, vu que les recasages viennent récompenser justement le sabotage des luttes !
    Enfin, les bureaucrates ont intérêt à ce que les luttes échouent, parce que l’État et les capitalistes ne tolèrent les syndicats que tant qu’ils ne sont pas combatifs. Si une de ces orgas devenait trop combative et dangereuse, l’État l’attaquerait vraiment et prendrait n’importe quel prétexte pour tenter de l’interdire ou de saper ses moyens d’une façon ou d’une autre. Bien sûr, c’est pas dit qu’il y arriverait (l’État n’est pas tout puissant, et quand les gens sont combatifs·ves et s’organisent, c’est possible de le mettre en échec), mais les bureaucrates n’ont pas du tout intérêt à ce que ça se produise, évidemment. Le plus sûr pour elleux est que le syndicat ne soit pas combatif.

Les conflits d’intérêt jusqu'au sommet : les recasages d’ex-leaders syndicales·aux par des capitalistes §

Ça ne s'arrête pas là, et malheureusement les exemples que j'ai cités ne sont absolument pas des exceptions, mais la règle, un peu comme pour la corruption des politicien·ne·s, parce qu'encore une fois la corruption n'est pas un problème de personnes, mais la conséquence mécanique de la délégation de pouvoir à un petit nombre.
On a des exemples qui posent question jusqu'au sommet des confédérations syndicales, avec des recasages de nombreux·ses ex-leaders syndicales·aux par l'État ou par des boîtes privées, une fois leur mandat terminé !
Quelques exemples pour la route :
La CFDT §
FO §
La CGT §
On va arrêter là les exemples.
Bien sûr, à chaque fois, ces syndicalicien·ne·s s’étaient principalement illustré·e·s à la tête de leur organisation par leur mollesse, voire leurs sabotages explicites des luttes.
Si vous aussi vous vous demandiez à quoi servent ces innombrables Conseils Trucmuche qui n’ont qu’une fonction consultative et dont tout le monde se fout, qui ne travaillent pas beaucoup et ne produisent pas grand chose, mais dont les membres sont rémunéré·e·s des sommes astronomiques, hé ben voilà : ça sert à recaser des bureaucrates syndicales·aux.

À quoi servent les grèves ? C’est quoi une grève efficace ? §

Avant de voir comment les bureaucraties syndicales corrompues sabotent les grèves en pratique, c’est le moment de faire une petite parenthèse (mais importante), pour parler un peu des grèves elles-mêmes, vu que c’est l’arme principale de notre camp dans la lutte des classes, et d’essayer de voir ce qui fait qu’une grève est efficace ou pas !
Pour faire simple, pour qu’une grève soit efficace, il faut qu’elle soit 1) la plus étendue possible, et surtout, 2) qu’elle soit reconductible.
Déjà, premier rappel : le principe de la grève, c’est d’attaquer le patronat au portefeuille, en arrêtant de travailler, donc de produire des richesses pour lui, car tous les gouvernements (et l’ensemble de la classe politique hein, pas seulement les macronistes) obéissent au patronat, comme on l’a vu, et servent toujours les intérêts du patronat. Donc en attaquant le patronat, on attaque les vrais donneurs d’ordres !
Plus on coûte de l’argent au patronat, et mieux c’est, et plus les capitalistes sont incité·e·s à céder. À l’inverse si on leur coûte pas trop, ben iels refuseront de lâcher quoi que ce soit, évidemment !
Il faut bien comprendre que c’est cet aspect qui est le plus important dans les luttes, pas les manifs ! (même si les manifs sont utiles, j’y reviendrai)
Dans le même genre, les grèves bloquent les gens et embêtent la population, mais c’est pas un but hein. C’est juste un dégât collatéral inévitable (j’y reviendrai aussi).

Grève reconductible VS journées de grève ponctuelles et isolées §

Bref, donc la grève la plus efficace, c’est la grève reconductible et généralisée (ou la plus généralisée possible). Il faut pas oublier que la grève coûte toujours aux grévistes aussi (vu qu’iels arrêtent le travail et ne sont pas payé·e·s pendant cette période, et peuvent subir en plus de la répression patronale). Malheureusement, on peut pas faire autrement. Mais il n’y a que la grève reconductible, la plus généralisée possible, qui coûte au patronat plus qu’elle coûte aux grévistes.
Si la grève est ponctuelle, genre des journées de grève éparpillées ça et là, le patronat sait à l’avance qu’elle va s’arrêter après une journée. Il peut estimer à l’avance ce qu’il va perdre comme fric, et sait qu’ensuite le travail reprendra de toute façon. Autrement dit, le patronat a juste à serrer les dents une journée. Ça lui met aucune réelle pression pour céder des trucs.
Le patronat peut préparer des stocks pendant les journées de travail, qui lui permettent facilement de tenir pendant la journée de grève, et la production au final sera peu impactée (juste un peu retardée).
D’ailleurs à ce petit jeu il faut pas sous-estimer la fourberie des patron·ne·s : quand une grève est prévisible, iels font en sorte de préparer des stocks à l’avance pour être le moins impacté·e·s possible, les bâtards ! Un grand classique, c’est de remplir les stocks juste avant l’annonce d’un plan de licenciements, parfois en faisant faire des heures supplémentaires aux employé·e·s, histoire d’être bien préparée face aux grèves qui suivront l’annonce des licenciements !
Il faut pas oublier non plus que les entreprises dépendent souvent les unes des autres pour leur production. Genre les produits transformés par l’usine Truc sont nécessaires à l’usine Bidule pour faire ses produits finaux, ce genre de trucs. Et donc, des grèves reconductibles ont un potentiel de réaction en chaîne et de dégâts collatéraux dans d’autres entreprises bien plus importants que des grèves ponctuelles !
On va prendre deux cas de figures simplifiés.
D’abord des grèves ponctuelles dans différents secteurs, mettons cinq journées isolées dans un mois :
Bref, en général la production retardée légèrement c’est un peu chiant pour le patronat, mais pas plus que ça. C’est aussi plus facile de trouver des remplaçant·e·s pour les grévistes si on a une journée unique, en demandant aux non-grévistes de faire quelques heures sup’ ou de venir travailler un jour où iels auraient été de repos. Et souvent le patronat a des stocks et des réserves pour tenir de toute façon.
Et en plus, faut pas oublier que le patronat n'a pas à payer les journées de grève (logique, vu que c’est des journées non travaillées). Donc certes, ça retarde un peu sa production, mais il y a cette économie de salaires qui compense un peu, tant que la grève est ponctuelle.
Maintenant, prenons le cas d’une reconductible, par exemple cinq journées à la suite (donc toute une semaine de travail, du lundi au vendredi, si on compte en jours ouvrés) :
Et plus généralement, ce sera évidemment plus difficile de trouver des non-grévistes pour remplacer tout ce monde tout ce temps, parce que la quantité d’heures sup’ que les gens peuvent faire est pas illimitée, parce que les êtres humains ont des limites physiques tout simplement…
Notez bien que dans les deux cas, j’ai pris (exprès) un exemple où il y a cinq journées de grève en tout, soit éparpillées, soit à la suite. Donc ça coûte la même chose aux employé·e·s en journées perdues au total dans les deux cas hein ! Mais le deuxième cas (la reconductible) coûte beaucoup plus cher au patronat que des petites grèves éparses !
En plus dans ce cas que j’ai pris, ça permet de faire le « pont » entre deux week-ends qui se suivent, donc ces cinq journées de grève bloquent et retardent la production pendant neuf jours au total ! Prenez ça dans les dents, bâtards de capitalistes !
Hm. Bref, donc rien qu’une semaine d’affilée ça peut commencer à faire très mal. Et surtout, dans tous les cas, ça fait beaucoup plus mal que le même nombre de journées de grèves éparpillées !

La fluxtendutisation du capitalisme §

Il y a un autre truc important aussi à pas oublier : le fait que les entreprises ne peuvent pas avoir une trésorerie très importante ni de gros stocks en général, parce que ben, habituellement elles sont obligées de fonctionner en flux tendu, pour des raisons de compétitivité. Dans un monde capitaliste, les entreprises sont encouragées à produire et à vendre vite, à vendre le plus tôt possible après la production, et si elles devaient stocker de la matière première ou des produits transformés pendant pas mal de temps plutôt que de les vendre rapidement, ça impliquerait toujours un coût et un manque à gagner par rapport à une vente immédiate.
Idem pour l’argent : garder plein de fric de côté, plutôt que de le réinvestir immédiatement, c’est un manque à gagner. L’argent qu’elles ont et qu’elles ne distribuent pas en dividendes, les entreprises ont intérêt à l’utiliser le plus tôt possible pour produire, pour produire vite et au plus bas coût possible, et vendre le plus vite possible, parce que le contraire implique une perte de temps et de productivité.
Donc en temps normal, les entreprises ne peuvent tout simplement pas se permettre d’avoir trop de stocks ni de trésorerie inutilisée à cause de ça. Si elles faisaient ça elles seraient moins compétitives que leurs concurrentes qui fonctionnent en flux tendu, donc le principe de concurrence du capitalisme les force presque toutes à fonctionner presque toujours en flux tendu le plus possible (à différents degrés bien sûr, selon les domaines d’activité et l’évolution de la demande, etc.).
Elles peuvent quand même faire des stocks au cas où, bien sûr, pour se préparer à une grève annoncée bien à l’avance, parce que c’est moins pire de leur point de vue que de subir de plein fouet les effets de cette grève ! Mais elles ont quand même intérêt autant que possible à fonctionner en flux tendu la plupart du temps, donc en général elles ne sont absolument pas préparées à faire face à des grèves-surprises par exemple !
META : bout où je simplifie et je généralise un peu trop ? à réécrire ou à modifier ? TODO : Parler aussi du coût de l’arrêt des outils de production (s’il y a des coûts fixes notamment, même lorsque les machines sont à l’arrêt). Bien sûr en vrai la question des stocks ou du coût de l’arrêt des outils de production dépend totalement du domaine d’activité et ne peut pas forcément être généralisée autant que je le fais…

Des grèves généralisées §

Et ensuite il faut que la grève soit la plus généralisée possible, parce que plus il y a de monde et de secteurs qui font grève en même temps, plus ça coûte cher, et plus c’est difficile de réprimer tout ça ! Si vous avez peu de monde qui fait grève, c’est beaucoup plus facile de s’en prendre aux grévistes (soit par de la violence physique de la police, soit par des sanctions dans l’entreprise après coup, genre licenciement sous un prétexte bidon).
Mais si c’est l’ensemble des employé·e·s (ou presque), c’est beaucoup plus compliqué, bien sûr…
Aussi, si la grève est limitée à une seule entreprise (ou même à un seul secteur d’activité), bref à un nombre réduit de personnes, ça permet aussi souvent au patronat d’amortir les pertes (vu que souvent patron·ne·s sont actionnaires de plusieurs entreprises dans différents domaines et ont plusieurs sources de revenus, donc les gains dans un secteur d’activité peuvent compenser les pertes dans un autre).
Et puis, il faut pas oublier non plus qu’énormément d’entreprises font appel à de la sous-traitance de plusieurs boites différentes. Donc si les employé·e·s de l’une ou l’autre de ces boites font grève, ben l’entreprise donneuse d’ordres demandera juste à ses concurrentes de fournir un peu plus d’heures de travail pendant cette période, et il y aura pas grand chose de fait. Dans ces cas, il faut au minimum une grève sectorielle pour impacter sensiblement les profits.
Ici encore, comme partout ailleurs, l’individualisme n’est pas une option pour notre camp, et il n’y a que la solidarité qui fonctionne.
Donc notre meilleure chance d’obtenir quelque chose, c’est la grève la plus généralisée possible, et surtout reconductible : prolonger la grève tant qu’on n’obtient pas satisfaction. Tous les jours, on prolonge la grève de 24h, tant que le patronat et le gouvernement ne cèdent pas. Là, le patronat continue de perdre de l’argent tant qu’il cède pas. Grosse pression pour céder !
Et tout ça, c’est sans parler du fait qu’une reconductible augmente les chances que d’autres secteurs qui n’avaient pas fait grève au départ puissent se greffer au mouvement en route, en se rendant compte que finalement il y a du monde, que ça fédère, etc. Une grève reconductible c’est notre meilleure chance que la grève fasse tâche d’huile et s’étende, et d’aller vers une grève générale.
Bien sûr notre objectif à terme serait d’aller encore plus loin, et de remettre en cause ce régime politique illégitime, pour le remplacer par une démocratie directe, seule véritable démocratie, et abolir le capitalisme au passage. Mais la grève générale c’est aussi le meilleur moment pour ça, car tout le monde a arrêté le travail, les gens relèvent la tête, les flics sont débordés par le nombre, le patronat et le pouvoir politique sont affaiblis. La grève générale c’est là où on a le plus de chances d’avoir des révoltes à grande échelle qui se poursuivent et qui se nourrissent, une vraie solidarité qui s’installe, et une vraie remise en cause de la société injuste actuelle.
Même avant d’en arriver là, plus la grève est importante, durable, et inattendue, et plus elle fera mal au patronat, et donc plus on a de chances d’obtenir de choses.

Les grèves gênent les usagèr·e·s, c’est malheureusement inévitable, mais c’est pas le but §

Une autre remarque pendant que j’y suis, sur le fait que la grève gêne les usagèr·e·s (des transports en commun, des services de courrier et de livraison, du ramassage des ordures…), un truc que les capitalistes et leurs allié·e·s arrêtent pas de rappeler avec leur hyperbole bien dégueulasse comme quoi les grévistes « prendraient les usagèr·e·s en otage ». Mais attention : contrairement à ce que cette formulation sous-entend, c’est absolument pas un but d’embêter les usagèr·e·s pour faire pression sur l’État, parce que l’État s’en fout évidemment que les gens soient bloqué·e·s ou emmerdé·e·s en général dans leur vie de tous les jours (ou ne puissent pas partir en vacances, etc.), tant que ça les empêche pas d’aller au travail produire des richesses pour le patronat !
Donc c’est pas un but de bloquer les gens, mais c’est un dommage collatéral inévitable par contre : si on veut coûter de l’argent aux capitalistes, et suffisamment pour les faire reculer, on n’a pas d’autre choix que de tout bloquer, et au passage ça impliquera presque toujours une gêne pour les usagèr·e·s, malheureusement. Il y a pas vraiment de moyen de gêner les capitalistes sans gêner les usagèr·e·s, et souvent quand ce serait possible, c’est interdit ou découragé de plein de façons par la loi, et ce serait de toutes façons moins efficace.40.
Comme la fameuse « grève de la gratuité » dans les transports en commun : d’une part c’est pas légal, et en plus ça bloquerait moins l’économie aussi, donc ce serait quand même beaucoup moins efficace comme levier de pression sur le patronat.
40
Non je pense qu’il faut admettre que les grèves un tout petit peu efficaces impliquent presque toujours comme dommage collatéral une gêne pour les usagèr·e·s, et qu’on peut pas vraiment faire autrement.
Maintenant cette gêne, même si elle est instrumentalisée par la propagande capitaliste pour monter les gens contre les grévistes, reste on va dire « raisonnable » par rapport à l’enjeu des grèves : quand on prend un peu de recul et qu’on regarde les réformes qui tentent de repousser l’âge de la retraite par exemple, je pense que la plupart des gens préféreraient clairement sacrifier deux semaines de vacances une fois, plutôt que de sacrifier deux années de leur vie à être obligé·e·s de travailler plus longtemps, et le tout pour une retraite encore plus misérable, hein !
Ou sinon, un rapide coup d’œil vers le passé et toutes les avancées qu’on doit aux grèves (congés payés, fin du travail dominical, baisse du temps de travail (journée de 8h et tout), hausses de salaires… etc.) suffit pour se rendre compte que tout ça est immensément plus important que la gêne ponctuelle que la grève implique ! En fait à chaque fois que les capitalistes ont lâché des trucs et fait des compromis sur leurs profits pour traiter un peu moins mal les travailleurs·euses, c’est parce qu’iels y étaient forcé·e·s par des grèves.
Donc oui les grèves c’est parfois chiant et ça gêne les usagèr·e·s, et ça donne parfois envie de râler, c’est inévitable. Mais c’est largement moins grave que la violence du capitalisme qu’elles combattent !41.
D’ailleurs j’en profite pour faire une remarque en passant : c’est (encore une fois) parce que l’État n’est pas démocratique et que la population ne décide pas du contenu des lois directement, qu’on en est collectivement réduit·e·s à faire des grèves, et donc à sacrifier des journées voire des semaines de salaire, à prendre des risques, et à gêner les usagèr·e·s au passage, pour forcer cet État non démocratique à faire un peu moins de la merde. En démocratie directe ce problème serait évidemment résolu sans tous ces inconvénients !
41

C’est pas la rue qui gouverne, mais la grève §

Et il faut bien comprendre un truc : même si on entend souvent des appels à « manifester », à « prendre la rue », etc., ou à l’inverse, on entend les élu·e·s et les droitard·e·s répéter que « c’est pas la rue qui gouverne » (ce qui donne l’impression que ce dont iels auraient peur, c’est que les gens descendent dans « la rue », donc), en fait c’est pas tant que ça les manifs qui font plier les gouvernant·e·s et le patronat, mais bien la grève !
Alors OK, une manif hyper massive, ça peut vouloir dire un risque de révolution, et ça, ça leur fait peur. Mais en pratique on en est pour l’instant loin, à la fois au niveau du nombre, mais aussi de la radicalité des participant·e·s (pour l’instant une bonne partie des manifestant·e·s ne sont pas vraiment révolutionnaires).
Tant qu’on n’en arrive pas là, les manifs ne coûtent pas tant d’argent que ça au patronat. Même la casse ça coûte pas si cher que ça en fait hein (au pire quelques vitrines à remplacer de temps en temps, ça coûte quelques milliers d’euros une fois, donc bon c’est pas la mer à boire pour des grosses entreprises, et probablement pas comparable au manque à gagner de journées de production perdues à cause d’une grève). Donc même si la classe politique et médiatique arrêtent pas de râler et de condamner les « casseurs » et tout, en fait au total les dégâts seront généralement assez faibles. Et mutualisés en plus, vu que ces entreprises sont évidemment assurées…
Le coût de la casse en manif §
Par curiosité, j’ai cherché des estimations des dégâts des grosses manifs ces dernières années, histoire d’essayer d’avoir une idée :
Alors certes, ça a l’air d’être de chiffres impressionnants comme ça, mais c’est pas si important que ça en fait, quand on compare ça au budget du pays (pour la casse des quatre mois de Gilets Jaunes), ou d’une ville comme Rennes. D’autant plus que c’est pour plusieurs mois de manifestations à chaque fois…
Et puis c’est surtout un coût pour les collectivités tout ça, mais pas tant que ça pour les entreprises, donc c’est moins efficace pour faire pression sur le patronat évidemment.
(Et ces chiffres sont probablement un peu surévalués ou exagérés en plus, parce que bon l’idée est de bien blâmer les « casseurs » quand même.)
On me dira ptètre que tout ça c’est mieux que rien, et, bon OK, admettons.
Mais maintenant, jetons un œil au coût estimé d’une journée de grève (au niveau national) :
Alors certes, ces estimations varient beaucoup, elles sont elles aussi à prendre avec quelques pincettes, etc. je sais, mais on est quand même un ordre de grandeur au dessus du coût estimé de la casse en manif !
Et c’est logique en fait, quand on y réfléchit ! Parce que, même si on fait tout pour nous le faire oublier, ce qui produit toutes les richesses, c’est le travail des travailleurs·euses ! Et ce travail génère aujourd’hui quelque chose comme dix milliards d’euros de richesses (de PIB) par jour ouvré en France ! Donc arrêter le travail c’est arrêter cette immense production de richesses ! Et même si tout le monde ne s’arrête pas, c’est logique que ça fasse un manque à gagner énorme quand même !
Au passage, j’en profite pour citer Jean-Eudes de la compta… euh pardon, Jean-Eudes du Mesnil, le patron de la CPME, qui dit lui aussi que « plus une grève dure, plus elle coûte cher. Si ce n’est qu’une journée, il y a un effet de rattrapage assez simple. Si cela se prolonge dans le temps, c’est plus compliqué ».
Il a dû lire mon livre, et il nous encourage lui aussi à faire des grèves reconductibles ! Merci Jean-Eudes, c’est gentil !
Les révoltes doivent être massives pour faire peur à l’État et au patronat §
Alors, je précise ici, à tout hasard, que je ne condamne bien évidemment pas les actions violentes en manifestation ni la casse ! Je reviendrai plus tard, en fin de bouquin, sur la question de l’utilisation de la violence contre l’État, et sa justification, mais en attendant, on va dire pour simplifier qu’elle est très souvent justifiée.
Par contre je pense que la casse est souvent assez peu efficace en fait. Ça ne coûte pas tant que ça aux entreprises. Après ça a peut-être d’autres avantages stratégiques en manifs hein, je sais pas, et c’est vrai que ça fait bien plaisir de voir des vitrines de grosses entreprises voler en éclats, ou des panneaux de pubs défoncés. Mais d’un point de vue purement économique en tout cas, les capitalistes s’en foutent probablement pas mal en vrai (même s’iels pleurnichent beaucoup). Surtout, je pense que la casse n’est pas forcément « rentable » pour notre camp par rapport au risque pris. Ça fait courir trop de risques à celleux qui la font, par rapport au coût assez faible qu’elle représente pour les bourgeois·es : si c’est pour se prendre des mois de prison (voire des années, vu à quel point les juges sont des ordures…), tout ça pour quelques milliers d’euros (peut-être, au mieux) de dégâts matériels par-ci, par-là, ça vaut peut-être pas le coup !
Après bon, évidemment, si c’était des préfectures et des commissariats brûlés, des supermarchés entièrement pillés par des foules en colère, des têtes de responsables politiques ou de grand·e·s patron·ne·s plantées au bout de piques, etc. là je dis pas, ça aurait probablement un peu plus d’impact, et l’incitation à faire des compromis serait peut-être légèrement plus forte pour les capitalistes. Sauf que, d’une part, je ne peux pas cautionner ça officiellement, car l’incitation à la violence, c’est pas bien,42.
Et surtout : illégal.
42 et puis aussi, avant d’arriver à ça de toute façon, il faudrait des foules entières suffisamment en colère et radicales, et pas juste quelques poignées de personnes hyper-radicales dans leur coin, et pour l’instant on en est loin.
En gros : on ne peut pas compenser le manque de radicalité de la foule par plus de radicalité individuelle.
Notre but pour l’instant devrait surtout être d’attaquer les capitalistes là où ça fait le plus mal : au portefeuille, et avec la meilleure arme qu’on a : des grèves massives et reconductibles. Et c’est aussi dans la grève que la conscience de classe viendra au plus grand nombre, et la radicalité avec elle.
Les manifs sont utiles quand même hein §
Bref, ça ne veut pas dire que les manifs seraient inutiles hein.
Bon, déjà elles peuvent permettre un peu de blocage de l’économie quand même. Genre quand les routes sont bloquées, ben les camions qui doivent livrer les matières premières aux usines ou aux chantiers ne peuvent pas circuler, par exemple. Et pas de matières premières, pas de construction.43.
Et pas de construction, pas de palais.
43
C’est toujours ça de pris bien sûr. Mais sauf que là aussi, ça va surtout juste retarder un peu le travail sur ces chantiers, seulement tant que la manif et le blocage durent. Donc, à moins de se relayer pour bloquer les routes nuit et jour (ce qui implique aussi des grèves reconductibles pour le coup, parce que les gens qui travaillent ne peuvent pas en même temps bloquer les routes), l’impact sur l’économie sera assez minime.
En fait, les manifs permettent surtout aux travailleurs·euses de montrer leur force, de se regrouper, et aussi de prouver un peu le nombre de personnes qui contestent et qui font grève.
De montrer qu’il y a du monde qui participe et qui soutient le mouvement. De montrer aux grévistes qu’iels sont pas isolé·e·s, mais nombreux·ses. Ce qui est difficile de savoir autrement, vu que les directions des entreprises, et l’État et les médias, ont tendance à ne pas communiquer sur les vrais chiffres des grévistes, et à les minimiser…
Parce que s’il y avait que la grève, c’est à dire l’arrêt de travail, mais chacun·e dans son coin (genre en restant dans les usines) ce serait pas facile pour les travailleurs·euses d’avoir une idée de combien d’autres personnes qu’elleux font grève, notamment dans d’autres entreprises, et dans le pays entier, et encore plus difficile pour les non-grévistes. Évidemment c’est pas les médias qui vont nous renseigner hein, vu qu’ils appartiennent au patronat et auront tendance à minimiser l’ampleur du mouvement, à prétendre que ça ne prendrait pas, que le mouvement « s’essoufflerait », etc. pour décourager les gens d’y participer ! Donc voir plein de gens dans la rue, c’est la preuve du nombre (vu que ces gens-là ont forcément arrêté le travail, s’iels sont dans la rue hein). La preuve qu’énormément de gens veulent la même chose que nous, que contrairement à ce qu’on nous raconte, la politique qu’on combat est très impopulaire et rejetée par beaucoup de monde (et donc, illégitime), et que nos revendications rassemblent beaucoup de monde.
Donc c’est important. Les manifestations sont importantes.
Mais c’est pas elles qui font plier les capitalistes, mais les grèves, parce que c’est ça qui leur coûte vraiment de l’argent.

Non, les Gilets Jaunes n’ont pas fait plier la Macronie (malheureusement) §

Un mot d’ailleurs sur une bêtise qu’on entend ou qu’on lit souvent, comme quoi les Gilets Jaunes auraient « plus obtenu en six mois que les syndicats en vingt ans » avec leurs manifestations, et qu’il faudrait donc les imiter et s’en inspirer, et s’inspirer de certains de leurs modes d’action, notamment les manifestations le samedi, qui seraient (supposément) mieux parce que plus de gens peuvent y participer que les grèves. C’est des conneries ça, diffusées avant tout par des médias de droite (et malheureusement reprises sans remise en cause par beaucoup dans notre camp).
Les GJ n’ont « obtenu » que quelques miettes et mesurettes symboliques (évaluées à 17 milliards en tout, ce qui est en fait pas énorme), et c’est juste la presse complice qui a présenté ça comme des victoires, alors qu’en plus quand on regarde un peu dans en détail le contenu ça fait bien relativiser. En vrac :
Donc en gros : dix-sept petits milliards, principalement pour des mesures qui visent à apaiser un peu l’électorat de Macron, et des mesures qui vont bénéficier au… patronat ! (C’est probable aussi qu’une partie de ces mesurettes étaient prévues de longue date en plus, pour adoucir l’image de Macron et préparer sa réélection, et ont finalement juste été étiquetées « Gilets Jaunes » et faites un peu en avance.) Et tout ça, alors qu’à côté on nous carotte des dizaines de milliards d’argent public chaque année pour les donner au patronat et à la bourgeoisie sous forme de baisses d’impôts pour les riches et pour les entreprises !
Tu parles d’une victoire !
Attention, ça veut pas dire que les syndicats auraient obtenu quoi que ce soit hein. Et effectivement ils ont obtenu à peu près que dalle en vingt ans (voire plus…). Mais c’est pas parce que le principe de la grève ne marcherait pas, mais parce que les syndicats ne font pas vraiment ces grèves !
En fait, de la même façon que tout discours qui dit que les grèves seraient has-been ou ne fonctionneraient pas (ou plus) pour plein de raisons, et qu’il faudrait passer à d’autres modes d’action, comme ces manifs le samedi, ça vise à décourager les grèves, qui sont ce qui pourrait vraiment mettre à genoux le patronat ! Alors qu’en vrai c’est parce que les grèves ne sont pas reconductibles ni généralisées qu’elles ne fonctionnent pas, parce que les syndicats les sabotent. C’est pas du tout le principe de la grève qui est inefficace (au contraire !) mais la façon dont elles sont organisées.
Mais bien sûr ce genre de discours tente de décourager ce mode d’action, parce que c’est celui dont la bourgeoisie a le plus peur !

Les stratégies des syndicats pour saboter les luttes sans en avoir l’air §

Bon, maintenant qu’on a vu que la corruption était largement répandue dans les syndicats aussi, et allait jusqu’au sommet, au point de concerner jusqu’aux directions syndicales, ce sera ptètre plus facile d’admettre ce que je disais plus haut, que le fonctionnement des syndicats était responsable de nos échecs répétés ? On va être clair : à peu près l’ensemble des bureaucraties syndicales n’ont pas intérêt à mouvement social combatif, rien qu’à cause de leur position de bureaucrates, comme je disais, et une bonne partie de ces bureaucrates (notamment au sommet) sont carrément corrompu·e·s d’une façon ou d’une autre par le patronat (ou l’État) pour faire échouer les luttes, et font tout pour, en sabotant de toutes les façons possibles la plupart des tentatives de grèves dans notre camp !
Et maintenant qu’on a vu ce qui était une grève efficace, voir un peu comment les directions syndicales et la bureaucratie les sabotent en pratique.
On a vu que, pour être efficaces, il faudrait en gros des grosses grèves, les plus massives et coordonnées possible, avec le plus de monde possible, et surtout : que ces grèves soient reconductibles !

Et que font les syndicats ? §

Maintenant, que font les organisations syndicales, et surtout leurs directions ?
En gros, les syndicats font tout pour :
  1. qu’il y ait le moins de grèves possible, et
  2. quand il y en a, qu’elles soient le plus dispersées et inefficaces possibles, et surtout pas reconductibles !
Tout le contraire de ce qu’il faudrait, ça alors !
Pratiquement tout ce que les syndicats font vise à diviser autant que possible les luttes, et à les saboter de toutes les façons possibles pour qu’elles soient le moins efficaces possible :

Garder le contrôle des mobilisations §

Ici on m’objectera ptètre que « Mais pourquoi est-ce que les directions appelleraient à des grèves, même courtes, quand la base le demande, si elles étaient si corrompues que ça comme tu le prétends et qu'elles voulaient vraiment qu'il y ait pas du tout de grèves ni de rapport de force avec les capitalistes ? Elles pourraient juste ne rien faire et ne rien organiser du tout, et ce serait encore plus efficace pour lutter contre les grèves, non ? »
Hé bien non, justement, pour plusieurs raisons !
D'abord, parce que si elles faisaient ça tout le temps, de façon trop évidente, plus personne ne leur ferait confiance, et donc elles ne pourraient plus saboter efficacement les grèves !
C’est bien parce que les grévistes (ou suffisamment de grévistes, en tout cas) les suivent et leur font (un peu) confiance, que les directions peuvent saboter si efficacement, en fait.
Imaginez que les directions syndicales fassent toutes comme la CFDT, et s’opposent tout le temps frontalement à n'importe quelle initiative de grève, et soutiennent les intérêts des capitalistes de façon pas du tout subtile et trop évidente : elles se décrédibiliseraient, et au bout d’un moment plus personne les écouterait du tout ! La défiance envers les syndicats exploserait, et les gens s’organiseraient de plus en plus sans (voire contre) les syndicats. Et quand les directions appelleraient à la reprise du travail, sous divers prétextes, ou tenteraient de saboter les mobilisations, hé ben ce serait bien moins efficace, parce que beaucoup moins de monde leur obéirait et les suivrait.
Il y aurait donc un risque qu’elles perdent le contrôle de ce qui se passe !
À l'inverse, en suivant quand même un peu la volonté de la base, et en appelant à des actions (qu’elles savent inefficaces), elles conservent un peu plus d'influence et de contrôle sur ce qui se passe.
En faisant comme ça, les directions syndicales ont juste l’air « tièdes » ou « timides » pour beaucoup de monde, voire ptètre un peu lâches, mais pas corrompues ni traîtresses (ce qu'elles sont pourtant !). Et c'est important ça, parce que si les travailleurs·euses étaient conscient·e·s que les bureaucraties syndicales sont carrément des ennemies et qu’il n’y a rien du tout à en attendre, iels s'organiseraient contre elles, et autrement, comme je disais.
Mais tant que les gens croient que les directions mettraient juste un peu de mauvaise volonté, mais qu'en les poussant et les encourageant un peu, on pourrait les motiver, ben ça entretient l'illusion qu'on pourrait en attendre quelque chose. Ça entretient l'illusion qu'on pourrait passer par elles, compter sur elles pour organiser nos luttes, même s'il faut les « pousser » un peu.
En gros, en faisant comme ça, elles ont l'air d'être quand même dans notre camp, mais juste pas assez combatives.
Et puis, en étant celles qui organisent les journées d’action et les grèves (voire même les grèves vaguement reconductibles, quand elles ne peuvent pas faire autrement), les directions conservent leur influence, pour une deuxième raison : parce que symboliquement elles sont celles qui ont impulsé le mouvement. Symboliquement pour tout le monde, si on fait la grève tel jour et tel jour, c'est parce que les organisations syndicales (donc les directions) l'ont décidé et y ont appelé. Si on commence une grève reconductible à partir de telle date, c'est aussi parce que les syndicats y ont appelé (même si la base les y a « poussés »). Symboliquement, il faudrait donc continuer de les « pousser » à organiser ces grèves, et pas les organiser nous-mêmes.
De cette façon, les syndicats restent les initiateurs, restent en quelque sorte maîtres du calendrier et de ce qui se passe, plutôt que d'être dépassés, et que ce soit visible qu'ils sont dépassés ! Parce que si les syndicats étaient dépassés, et que ça se voyait, ça deviendrait ensuite beaucoup plus difficile pour eux de reprendre le contrôle du mouvement, et de faire arrêter la grève. Au pire ça fait des trucs genre mai 1968, et les capitalistes sont évidemment pas super chauds pour que ça se reproduise…
Donc c’est primordial pour les directions syndicales, et pour les capitalistes qui les corrompent, que les travailleurs·euses continuent de leur faire confiance, le plus possible. D’où la nécessité de ce double jeu : d’un côté, tout faire pour freiner, de l’autre côté, donner l’impression qu’elles seraient combatives, ou au moins, aussi combatives qu’on pourrait l’être vu la situation. Du coup, les directions syndicales essayent en permanence de trouver un équilibre entre freiner autant qu’elles peuvent, mais sans jamais être trop visiblement en opposition au mouvement. Et donc ça implique de rester aussi à l’initiative de ce qui se passe, pour garder le contrôle.

Les apparences de la contestation §

C’est aussi pour ça que les directions syndicales font semblant de s’opposer un peu.
Elles doivent absolument passer pour contestataires pour que les grévistes suivent les stratégies (inefficaces) qu’elles proposent, sinon le sabotage des grèves fonctionnerait beaucoup moins bien.

« Tu bluffes, Martinez ! Ta grève n'est pas chargée ! » §

Et puis, un autre aspect important auquel on pense pas forcément, c’est que, même si les dirigeant·e·s de ces syndicats ne défendent jamais que leur intérêt personnel, et surtout pas celui des syndicalistes ou des exploité·e·s en général qu’iels sont censé·e·s représenter, ces dirigeant·e·s ont malgré tout intérêt à ce que le mouvement social garde un vrai pouvoir de blocage potentiel. Un pouvoir qu’iels n’utiliseront jamais pour faire réellement reculer les capitalistes hein, mais c’est important qu’iels le conservent ce pouvoir théorique, et cette possibilité de le faire. C’est ça qui donne à ces dirigeant·e·s une valeur importante pour les capitalistes en fait, et qui fait que les capitalistes auront besoin de les acheter (genre à coups de recasages et/ou de corruption directe).
Si les syndicats et le mouvement social étaient totalement désarmés et n’avaient aucun pouvoir de blocage, les dirigeant·e·s syndicales·aux perdraient leur pouvoir de négocier des bons recasages et des bonnes places pour eux, et c’est ça qui les intéresse. Autrement dit : les dirigeant·e·s syndicales·aux ne peuvent tirer un bénéfice personnel de leur position de dirigeant·e·s que tant que le mouvement social et leur syndicat ont un véritable pouvoir de blocage, et que les capitalistes en sont conscient·e·s. C’est seulement à cette condition que les directions pourront négocier avec leurs corrupteurs (le patronat et l’État) des rémunérations, des pantouflages, et d’autres types d’avantages personnels contre le fait de ne pas utiliser ce pouvoir de blocage et de grève du syndicat (ou pas trop, juste de temps en temps histoire de donner le change à leurs troupes), et contre le fait de saboter les grèves en général.
C’est un peu comme si vous menacez quelqu’un avec une arme pour en obtenir de l’argent, mais que la personne en face pense que l’arme n’est pas chargée. Ben elle vous donnera rien hein. Il faut que vous prouviez d’abord que vous pouvez vraiment tirer, et ensuite vous pouvez « négocier » de ne pas le faire contre son argent.
Hé ben les syndicats et les grèves, c’est un peu pareil.
Pas de pouvoir de blocage = pas de possibilité de négocier de ne pas utiliser ce pouvoir en échange d’avantages…47.
Et pas de palais.
47
Donc en mobilisant pour des grosses manifs inefficaces, les directions syndicales disent aussi au pouvoir : « regardez ce qui se passerait si on n’était pas là pour saboter les luttes et pour empêcher les travailleurs·euses de faire vraiment grève ! Vous voyez à quel point vous avez besoin de nous ? » Même les rares fois où les syndicats sont un peu combatifs à grande échelle, ça permet à la fois de redorer un peu leur blason auprès de leurs troupes, mais aussi de rappeler au pouvoir politique et aux capitalistes de bien traiter leurs dirigeant·e·s.
META : reformuler (la section entière) pour simplifier, et en disant juste que le mouvement social est dangereux, et que ce que les directions vendent aux capitalistes, c’est leur contrôle sur ce mouvement, et le fait de pouvoir le saboter. Pas tant que leur syndicat, seul, serait puissant, mais juste qu’il a les moyens (avec les autres gros syndicats dont les directions sont corrompues) de tuer n’importe quelle mobilisation ?

Quelques exemples de sabotage §

Donc les directions syndicales ne sont pas dans notre camp. Soit elles s’abstiennent d’organiser des grèves lorsque ce serait nécessaire et possible, soit elles sabotent carrément les luttes et les grèves. Et ce n'est pas une exagération !
Ça a été analysé plus d’une fois, et il y a quantité d’exemples :48.
Pour les trois premières grèves que je cite, 1995, 2003 et 2010, je reprends ici globalement l’analyse de ce très bon article du NPA, en nuançant ptètre juste (un peu) la combativité des directions en 1995.
48
Une constante qu’on retrouve presque à toutes ces époques et un peu partout, c’est le contraste entre les discours combatifs en apparence de la part des leaders syndicales·aux, notamment dans les médias, alors que dans les actes, les organisations ne font souvent aucun travail pour que les mouvements sociaux s’étendent (au contraire, elles freinent…), et quand des grèves un peu combatives sont organisées, c’est le plus souvent grâce à des syndicalistes de la base, ou à des travailleurs·euses non syndiquées…
D’ailleurs, si on reprend l’exemple de 1995, on peut même se demander s’il y a pas un lien de cause à effet entre la trahison ouverte de la direction de la CFDT et la désobéissance des militant·e·s. Est-ce que c’est pas le fait que la trahison de la direction de la CFDT ait été tellement visible qui aurait aidé à décider ces syndicalistes à s’organiser sans et contre les structures syndicales en place de leur propre syndicat, comme je le disais ? Si ça se trouve, si la direction de la CFDT avait plutôt fait semblant de s’opposer un peu et d’appeler à quelques journées d’actions avec les autres syndicats, peut-être que les militant·e·s CFDT vénères n’auraient pas sauté le pas de s’opposer à leur direction ? Ou que moins l’auraient fait en tout cas…
Parce que nos choix, même nos choix importants, ne tiennent pas toujours forcément à grand chose, parce qu’on peut être tiraillé·e·s entre plusieurs choses, et hésiter. Et sauter le pas de quitter une orga dans laquelle on a milité des années, dans laquelle on a des camarades et des ami·e·s, ou sauter le pas de s’opposer frontalement aux cadres de l’orga dans laquelle on milite, et de s’organiser contre elleux, c’est pas facile, et c’est justement le genre de trucs pour lequel on peut hésiter à sauter le pas. C’est le genre de trucs pour lesquels une trahison trop frontale de ces cadres va aider en fait, paradoxalement, parce que ça va nous donner une raison de partir, ça va en quelque sorte nous confirmer ce qu’on sent au fond de nous mais qu’on veut pas admettre : que c’est la seule solution, même si c’est désagréable. Alors que si la trahison de ces cadres n’est pas flagrante, ce sera plus difficile d’admettre tout ça.
Ça illustre ce que je disais plus haut : à quel point c’est important pour les directions syndicales de préserver les apparences de la combativité. Quand la trahison est trop évidente, ça risque juste d’avoir l’effet inverse, et d’encourager finalement les gens à s’organiser sans (ou contre) les directions…

Le déni et les stratégies de défense de la bureaucratie §

Désolé je vous ai ptètre saoulé·e avec mes tas d’exemples, mais faut bien voir que c’est en fait qu’une petite partie des affaires de corruption connues impliquant des cadres d’organisations syndicales… Et c’est probable que, comme pour la corruption des politicien·ne·s, les affaires qui finissent par être connues ne représentent qu’une petite partie des affaires au total, et que la plupart des affaires de corruption resteront aussi ignorées du public, vu que ça se fait dans l’ombre ! J’ai voulu citer beaucoup d’exemples pour bien montrer que c’était pas des exceptions, parce qu’il y a un vrai déni de tout ça dans notre camp, voire même des réactions hostiles face aux critiques des syndicats et de leurs directions corrompues, et en particulier parmi nos camarades syndicalistes bien sûr, et il faut absolument qu’on s’attaque à ce déni, sinon on n’arrivera à rien !
En même temps, c’est logique hein, et on peut pas vraiment leur reprocher.
Les syndicats et les grévistes sont en permanence la cible d’un million d’attaques injustes et de mauvaise foi de la droite et des médias, tous les quatre matins, comme quoi les grévistes « prendraient les usagèr·e·s en otage » et bloqueraient l’économie en s’en prenant aux pauvres patron·ne·s si sympas, etc. bref vous connaissez la chanson vu que les médias des capitalistes nous rebattent les oreilles avec en permanence. Tout ce beau monde se jette d’ailleurs hypocritement sur n’importe quelle affaire de corruption dans les syndicats qui est révélée dans la presse pour dénigrer les syndicats et le syndicalisme en bloc, tout en épargnant hypocritement les corrupteurs·trices : le patronat et l’État ! Des critiques particulièrement énervantes (même quand on n’est pas syndicaliste), donc c’est pas exactement étonnant que les syndicalistes en aient un petit peu ras le bol et soient sur la défensive.
Les syndicats sont des outils de lutte, donc c’est naturel de vouloir les protéger, évidemment. Malheureusement je pense que c’est contre-productif de jeter toutes les critiques en bloc avec l’eau du bain, parce que justement, la bureaucratisation des syndicats, la corruption qui va avec, et toutes les trahisons des luttes que ça entraîne, fragilisent les syndicats et dégoûtent les gens d’y aller (ou d’y rester), encore plus que les critiques ou la propagande capitaliste !
Donc si on n’arrive pas à regarder en face les problèmes qui existent et à admettre les causes de ces problèmes, on ne pourra pas avancer. En refusant de s’attaquer à la source du problème par volonté de « protéger » les syndicats, on les laisse en fait continuer de couler !
Bien sûr la plupart du temps, le discours et les arguments qui tentent de dédouaner la bureaucratie syndicale pour les échecs des grèves viennent des bureaucrates elleux-mêmes, hein, vu qu’iels défendent leur bout de gras, et que leur intérêt immédiat est que le fonctionnement des orgas et le statu quo ne soient surtout pas remis en cause… Le problème, c’est que leurs arguments convainquent beaucoup de monde et sont repris même par la base, par des syndicalistes sincères, alors que l’intérêt de ces syndicalistes sincères (comme le nôtre en général) serait d’assainir au plus vite le fonctionnement de leur propres organisations. Et donc, c’est important de répondre aux principaux arguments.

Stratégie : dénigrer les critiques §

Première stratégie des bureaucraties syndicales pour se protéger : dénigrer les critiques.
D’abord, dénigrer les critiques par des attaques personnelles contre celleux qui les font, prétendre que ces critiques viendraient uniquement de gens de droite, antisyndicalistes et de mauvaise foi, qui voudraient nuire au syndicat et au syndicalisme dans son ensemble, histoire de décrédibiliser les gens qui émettent des critiques sans avoir à répondre sur le fond.
Bon il faut reconnaître que des gens de droite de mauvaise foi (dont la presse patronale) qui sautent sur la moindre occasion pour taper en vrac et sans subtilité sur les syndicats et le syndicalisme en général, c’est pas ça qui manque, comme je le disais. Certes.
Mais encore une fois, jeter les critiques légitimes avec celles de mauvaise foi, ça ne fait pas avancer les choses !
Pour répondre par avance à cette objection : je ne suis pas du tout anti-syndicaliste.56.
Et je ne suis certainement pas de droite non plus ! Ça suffit les insultes là !
56 Et je ne critique pas le fonctionnement des syndicats pour nuire aux luttes, évidemment, mais au contraire, pour qu’elles soient plus efficaces !
Je me demande d’ailleurs si on ne pourrait pas voir en creux dans cette défense une sorte de « prise en otage » (hahaha) de l’organisation par la bureaucratie, en fait : « Attention, les gens qui critiquent tel ou telle responsable de notre syndicat, la direction, ou la bureaucratie en général, l’absence de transparence sur où va l’argent, le manque de démocratie interne, etc. tou·te·s ces gens veulent en fait juste nuire au syndicat lui-même ! Ne les écoutez pas, et surtout ne remettez jamais en cause les cadres et les bureaucrates, ni le fonctionnement actuel, sinon ça affaiblira notre syndicat ! » Un peu le même argument que pour faire taire les critiques dans les partis, finalement.
Notez d’ailleurs que sur les critiques que je fais dans ce chapitre, y en a pas beaucoup que j’ai inventées en fait ! Beaucoup viennent de syndicalistes radicales·aux (ou d’ex-syndicalistes) déçu·e·s et écœuré·e·s par les trahisons des directions de leurs orgas, qui ne sont certainement pas anti-syndicalistes non plus donc, mais voudraient des syndicats combatifs et vraiment au service de notre camp social, et pas juste au service de leurs cadres !
Genre Xavier Mathieu, délégué syndical combatif chez Continental, avait par exemple traité les directions syndicales de « racailles » et de « parasites », « tout juste bons à frayer avec le gouvernement et à calmer les bases », précisant ensuite que sa critique visait évidemment les bureaucrates, et pas les syndicalistes de la base.
Et là c’est juste pour citer une figure un peu connue, mais des syndicalistes « de la base » qui sont critiques des directions, il doit y en avoir des pelletées ! (même si leur parole est rarement relayée)

Argument : prétendre que les problèmes se limiteraient à certains syndicats §

Autre stratégie de défense : dire que la corruption et les trahisons, OK ça existerait peut-être, mais ce serait limité à certaines orgas, genre les syndicats ouvertement jaunes.57.
Pour rappel pour les jeunes qui me liraient, quand on parle de syndicalisme « jaune », ça n’a rien à voir avec le mouvement récent des « Gilets Jaunes ». C’est un terme beaucoup plus ancien, né par opposition aux syndicats dits « rouges » et contestataires, pour désigner un faux « syndicalisme » qui ne conteste rien du tout.
57
En gros : « Bon OK la CFDT elle sabote, mais c’est parce que c’est des jaunes et des sociaux-traîtres (ou, variante : parce qu’iels seraient économiquement libérales·aux), mais pas la CGT quand même ! »
Ici l’idée est donc de profiter de l’existence des orgas ouvertement jaunes, comme la CFDT, dont les cadres trahissent les luttes ouvertement et de façon évidente et décomplexée à peu près tout le temps, pour faire apparaître les autres syndicats comme plus combatifs par comparaison. En même temps c’est sûr que quand on voit certaines initiatives ridicules de la CFDT (comme des appels à aller faire « grève » tout en travaillant, c’est à dire… à aller travailler normalement, mais en se contentant de porter un brassard avec marqué « en grève » dessus !), le contraste avec des orgas comme la CGT ou FO, qui tiennent un discours d’opposition souvent assez combatif (en apparence), et qui organisent quand même des journées d’action de temps en temps, on a l’impression qu’au moins ces syndicats-là essayeraient de faire quelque chose, même si ça ne marche pas malheureusement…
Mais ici encore c’est une illusion, et c’est juste que les trahisons de ces syndicats-là sont un peu moins évidentes, comme on l’a vu. Un sabotage plus subtil, à petit feu, en se « contentant » de ne pas alimenter la grève, de ne surtout rien faire pour qu’elle réussisse, et avec des petites actions de sabotage plus subtiles ici et là pour pas que ça se voie trop, et des stratégies qui visent à éparpiller les forces des grévistes et saper leur moral petit à petit avec des calendriers démobilisants, etc. Tout faire pour que la grève échoue, tout en tenant hypocritement un discours combatif.
Mais faut pas se laisser avoir par ça : c’est comme les politicien·ne·s qui prônent un truc parce que c’est ce que leur électorat voudrait, mais font tout le contraire !
On admet que des politicien·ne·s peuvent faire le contraire de ce qu’iels prétendent, pourquoi est-ce qu’on admettrait pas ça de responsables syndicales·aux ? Pourquoi est-ce qu’on croit qu’iels seraient meilleur·e·s ?
Je veux dire, il suffit de reprendre les exemples que j’ai cités :
Et c’est qu’un aperçu hein, et largement représentatif du comportement des bureaucrates en général !
Ben voilà le genre de personnes que le principe des élections met à la tête des orgas qui sont censées défendre nos intérêts et coordonner nos luttes ! Comment croire que des gens qui font ce genre de choses vaudraient mieux que les politicien·ne·s, ou en auraient quelque chose à faire de nos luttes, en fait ? Que leur parole et leurs discours combatifs auraient la moindre sincérité ?
En fait, l’existence des gros syndicats ouvertement jaunes comme la CFDT, ça arrange ptètre pas mal de monde, finalement :
C’est pour ça que j’ai pris un peu plus d’exemples de corruption et de problèmes à la CGT d’ailleurs, et ptètre un peu moins sur d’autres orgas, comme FO ou même la CFDT : pas parce que je détesterais plus particulièrement la CGT, ni les cégétistes en général (ce serait absurde), ni parce que ce syndicat serait pire que les autres, mais parce que c’est le principal grand syndicat qui passe pour contestataire aujourd’hui, et auquel les gens font un peu confiance dans notre camp, et que c’est important de faire admettre que le problème est partout et ne se limite pas aux endroits où c’est le plus visible comme la CFDT.
Les problèmes de ces syndicats ne sont pas des « dérives » individuelles, mais le résultat mécanique de leur fonctionnement sur un modèle électoral et de la délégation de pouvoir qui va avec. Et ces problèmes toucheront tous les (gros) syndicats, mécaniquement, tant qu’on ne remet pas en cause ce fonctionnement.

Argument : « c’est là où les syndicats sont les plus implantés qu’il y a le plus de grèves » §

Un autre argument, c’est qu’il y a en fait plus de grèves et les gens sont en moyenne plus combatifs·ves dans les entreprises où les syndicats sont implantés que dans les autres, et ce serait donc la preuve (supposément) que les directions syndicales ne freineraient pas, et que les critiques contre les orgas syndicales seraient infondées.
Mais malheureusement non.
Tout simplement parce que les syndicats ne sont pas des gros blocs monothil… monolini… motoli… enfin bref des gros blocs uniformes quoi, où tout le monde serait d’accord, mais qu’ils sont, eux aussi, traversés de rapports de force.
Je le répète : il y a plein de gens combatifs·ves dans les syndicats et plein de syndicalistes sincères et vénères, en particulier à la base.
Et en plus, c’est logique aussi, quand on veut s’organiser et défendre ses droits dans une entreprise face au·à la patron·ne, que le premier réflexe soit de passer par les syndicats !
Tout ça implique que 1) les sections syndicales apparaissent le plus dans les entreprises où il y a déjà des gens combatifs·ves, et 2) quand des syndicats sont implantés, il y a assez souvent au moins quelques syndicalistes sincères et combatifs·ves, ce qui peut entraîner quand même un peu le reste des travailleurs·euses de l’entreprise à l’être aussi.
Mais il faut se méfier, parce que c’est pas parce qu’on a des syndicalistes combatifs·ves à un moment que ce sera le cas l’instant d’après, car même les sections créées par des gens sincères peuvent se bureaucratiser progressivement, et les syndicats peuvent aussi parfois révoquer les mandats de leurs délégué·e·s trop combatifs·ves et gênant·e·s, et les remplacer par d’autres plus conciliant·e·s !
(Notez qu’on peut aussi avoir des gens qui sont sincères et combatifs·ves au départ, qui commencent à s’organiser, à créer une section syndicale, avec au départ le vrai espoir de faire des grèves et de faire plier la·le patron·ne, etc. Et puis quand leur patron·ne leur propose finalement des pots-de-vin, ces syndicalistes qui étaient sincères au départ finissent par changer d’avis et se disent que bon, « après tout, c’est ptètre pas si grave d’accepter, n’importe qui d’autre le ferait à ma place hein ;-) », et retournent leur veste.)
Mais plus généralement, les directions syndicales n’ont pas un pouvoir absolu, ni sur l’ensemble des syndicalistes (qui ne sont théoriquement pas sous les « ordres » de la direction du syndicat), ni sur les grévistes en général. La relation entre la direction et la base n’est pas purement hiérarchique, mais est traversée de rapports de force, donc. (Même si en vrai, les directions ont toujours un énorme ascendant du fait de leur légitimité d’élu·e·s et de leur position centrale.)
Donc c’est pas un contrôle parfait que les directions syndicales « vendent » aux capitalistes qui les corrompent, mais plutôt une influence importante. Les directions ne peuvent jamais garantir qu’il n’y aura pas de grève (à petite comme à grande échelle), mais elles peuvent faire pencher fortement la balance dans le sens de « moins de grève ».

Argument : « organiser des grèves c’est difficile, et il y a plein de paramètres extérieurs aux syndicats qui les découragent » §

Ensuite, autre façon de minimiser la responsabilité des organisations syndicales : expliquer que si les mobilisations échouent, ce serait à cause de plein de facteurs extérieurs sur lesquels elles n’ont aucun contrôle, mais surtout pas la leur !
En vrac :
Et en fait, tout ça est… en partie vrai. Oui il y a tous ces éléments (et d’autres), qui ne sont pas dus aux syndicats, et qui sont des vrais obstacles pour notre camp pour organiser des grèves, et tout n’est évidemment pas de la faute des directions syndicales.
Au passage, tout ça permet aussi de dénigrer encore les gens qui critiquent, comme si on s’imaginait que ce serait facile d’organiser des grosses grèves.
On a plein de formules toutes faites, du genre « Une grève générale, ça ne se décrète pas », ou le fameux « Philippe Martinez n’a pas un gros bouton rouge “grève générale” caché dans son bureau sur lequel il refuserait d’appuyer hein ! ;-) » histoire de bien dire que les syndicats n’auraient pas un contrôle absolu sur ce qui se passe et tout, et ne voudraient surtout pas donner des ordres aux travailleurs·euses, oulàlà vous pensez !58.
Sauf quand c’est pour appeler à la reprise, bien sûr.
58
Sauf que ça, c’est caricaturer pas mal la critique qu’on fait, pour pouvoir y répondre plus facilement !
À peu près personne ne prétend qu’organiser des grandes grèves, générales et durables, ce serait facile, ni qu’il y aurait une recette miracle et infaillible pour le faire. Ce qu’on dit par contre, c’est que, sur tous les paramètres qui font les chances d’un mouvement social de réussir ou d’échouer, la combativité des organisations syndicales est centrale, parce que c’est elles qui sont en position d’organiser et de coordonner notre camp à grande échelle, mieux que n’importe qui d’autre, que c’est censé être leur responsabilité, et qu’on a besoin de se coordonner et de s’organiser à grande échelle pour être efficaces collectivement ! Les syndicats ont beaucoup de légitimité, donc beaucoup de gens les suivent, c’est comme ça.
Et donc, s’il y a effectivement tous ces facteurs extérieurs qui découragent et rendent difficiles les grèves, c’est beaucoup trop facile de se contenter de ça pour dédouaner totalement les syndicats !
D’ailleurs, c’est fréquent que les travailleurs·euses veulent en découdre, et se mobilisent, et que les syndicats ne suivent absolument pas ! J’ai donné plein d’exemples, mais quand on a une dizaine (ou plus) de « journées de mobilisations » isolées chaque année, qui rassemblent chacune des millions de personnes (presque) à chaque fois, il faudrait ptètre arrêter de tout mettre sur le dos des travailleurs·euses et des grévistes qui seraient pas assez motivé·e·s ! Beaucoup de gens sont souvent prêt·e·s à faire ces sacrifices, à se battre, parce qu’iels savent bien que des journées de salaire perdues c’est largement moins pire que les conséquences des réformes antisociales !
En 2010 par exemple, trois millions de personnes étaient descendues dans les rues quatre fois en quelques jours, et le record de mobilisation était de 3.5 millions (le 12 octobre) soit… 1.3 million de plus que le record de 1995 !59. 59 Et pourtant, seules une poignée de fédérations avaient appelé à la grève reconductible, mais pas les confédérations, qui avaient laissé le mouvement sans perspective…
Alors bien sûr que les conditions sont pas les mêmes, qu’on n’a pas de garantie que ce qui a marché en 1995 aurait fonctionné en 2010, gnagna, mais qu’on vienne pas nous dire que les gens seraient jamais prêt·e·s à se mobiliser, et ne voudraient pas se mobiliser, c’est de la mauvaise foi !
Oui il y a du fatalisme et du découragement parfois, mais c’est pas pour autant qu’il y a pas aussi des gros moments où la volonté d’en découdre est là et où les gens se mobilisent en masse ! Volonté que les syndicats ne suivent pas, et essayent même souvent de freiner et de décourager explicitement de plein de façons qu’on a vu.
Après si je voulais être chiant et chipoter, je pourrais aussi faire remarquer que, même pour ces paramètres « extérieurs » que j’ai cités, il y a peut-être aussi une part de responsabilité des syndicats.
Genre sur le coût de faire grève par exemple, qui dissuade pas mal de monde de participer ? Mais c’est pour ça qu’il existe des outils comme des caisses de grève en fait, pour amortir un peu le choc et aider les grévistes à tenir ! Et là aussi, ce serait le rôle des syndicats de gérer ça, mais ils font tellement pas (ou mal) le job qu’on voit fleurir des tas d’initiatives de caisses de grève improvisées à chaque grève,60.
Et auxquelles on sait jamais si on peut faire confiance ou pas, du coup…
60 parce qu’il y a un vrai manque et un vrai besoin ! D’autant plus que les syndicats en brassent des sous en général, comme je le disais. Donc même si l’ensemble de ce fric ne pourrait peut-être pas servir à financer des grèves, une partie le pourrait sûrement. Mais bon, entre utiliser l’argent pour financer des actions efficaces et des grèves, ou l’utiliser pour payer des permanent·e·s et des bureaucrates, le choix est vite fait hein, vu que c’est ces permanent·e·s et ces bureaucrates qui décident !
Et tant que j’en suis à chipoter, même chose, voire encore pire en fait, pour ce qui est de la démotivation et du fatalisme des masses : alors là c’est vraiment du gros foutage de gueule d’évoquer ça comme excuse, parce que c’est totalement la responsabilité des syndicats ça par contre ! C’est à force de décennies de trahisons syndicales et de sabotages quasi-systématiques des grèves par les directions et la bureaucratie, qui ont fait que presque toutes nos grèves et nos mouvements sociaux ont échoué tout le temps, que les gens finissent par devenir découragé·e·s et fatalistes ! Ça alors ! Mais comment est-ce que les gens pourraient être optimistes après tout ça en fait ? Alors qu’on a les moyens de faire reculer les capitalistes en plus ! Et s’il y avait des vraies stratégies combatives, des vrais gros appels à des grèves reconductibles, et un vrai travail de mobilisation en amont (et pendant) pour qu’elles réussissent et qu’elles s’étendent, cette démotivation et ce fatalisme s’évaporeraient aussi vite que la dignité de Manuel Valls s’évapore dès il y a un nouveau gouvernement devant lequel s’aplatir pour quémander un ministère !
Mais heureusement, vous me connaissez : c’est pas mon style de chipoter.

Argument : « Les directions n’ont pas de contrôle sur les mouvements, c’est les travailleurs·euses qui décident en AGs » §

Alors celui-là, c’est un peu une variante de l’argument précédent, où on va se défausser de la responsabilité sur les individus.
Ici l’idée est qu’on exagérerait le pouvoir des directions et leur contrôle sur les grèves, vu donc qu’il y a plein de paramètres extérieurs qui rendent difficiles les grèves, et que même si les directions étaient super combatives, ça changerait ptètre pas grand chose, et c’est pas pour autant qu’on aurait forcément des grosses grèves vénères, parce que les directions n’auraient pas la possibilité d’imposer une grève à une base qui ne la voudrait pas.
Pour illustrer ça, on m’avait cité des exemples de mobilisations qui ont réussi sans les syndicats, genre la grève de 1995, histoire de dire que les organisations syndicales (et leurs directions, du coup) n’auraient pas tant de pouvoir que ça, et ne pourraient pas vraiment empêcher une mobilisation très forte. En gros, « si la base en veut vraiment et est très motivée, même si les directions syndicales freinent, elles n’arriveront pas à arrêter le mouvement ».
Plus précisément, l’argument est de dire que :
Et donc peu importe ce que les organisations syndicales feraient ou diraient, finalement, ça ne changerait pas grand chose : la vraie responsabilité de tout ce qui se passe reposerait (encore une fois) sur les travailleurs·euses uniquement, et c’est elleux qui voudraient des journées de mobilisations isolées et différentes par secteurs, et surtout pas les directions qui imposeraient ces dates. Du coup, c’est aussi les salarié·e·s qui voteraient les fins de grèves, car iels ne voudraient plus se mobiliser.
La prise de décisions serait donc totalement démocratique ! Youpi, c’est super, ça ! Vive la démocratie !
Bon, on va faire court : c’est des conneries ça.
Bien sûr qu’en apparence, les décisions se prennent en AG, sauf que on est ici dans l’illusion que le « vote en AG » :
  1. serait un vote totalement libre et éclairé, et
  2. ne dépendrait pas des conditions extérieures.
Or, les deux sont faux :
  1. D’abord, comme partout, les gens votent et prennent leurs décisions selon les informations qui leur parviennent. Logique : encore une fois, on ne peut pas décider selon des informations qu’on n’a pas.
    Et comme les principaux canaux d’informations sur les luttes dans leur entreprise sont des délégué·e·s syndicales·aux et les positions officielles des syndicats, hé bien leur discours influe quand même pas mal sur les choix qui seront faits. Selon que ces syndicalistes tiennent un discours combatif ou non, selon qu’iels disent que « oui, on peut gagner et faire plier la direction/le gouvernement ! », ou qu’iels disent que « ben non, on n’obtiendra rien finalement et ça vaut pas le coup de perdre des journées de salaire à faire grève maintenant », etc. bref selon qu’iels tentent d’encourager ou de décourager la poursuite du mouvement, hé ben le vote en AG sera peut-être pas du tout le même, évidemment !
    Ça fait pas tout bien sûr, mais ça joue pas mal.
    Parce que beaucoup de gens font globalement confiance aux syndicats, et aux délégué·e·s syndicales·aux. Iels ont de l’influence, et donc pas mal de gens les suivront, et suivront leurs positions. Peut-être pas tout le monde bien sûr, mais au moins une partie, peut-être suffisamment pour casser un mouvement de grève.
    J’ai cité plusieurs exemples plus haut, comme le coup des responsables syndicales·aux (de la CGT notamment) qui passaient un peu partout pour appeler les cheminot·e·s à reprendre le travail, ou encore l’UTLA, qui avait forcé la main aux profs grévistes de Los Angeles pour leur faire signer l’« accord » au rabais que le syndicat avait négocié, histoire de faire arrêter la grève. Iels font ça en sachant très bien que, même si une bonne partie des gens se rendent compte après coup qu’iels se sont fait·e·s avoir, une fois la dynamique du mouvement cassée, ce serait très difficile de reprendre.
    Donc si les syndicats et leurs délégué·e·s poussent et incitent dans un sens ou dans l’autre, oui ça a beaucoup d’influence ! Et même s’il y a qu’une partie des grévistes qui font assez confiance aux représentant·e·s syndicales·aux pour les écouter et suivre ce qu’iels recommandent, ça peut suffire à casser un mouvement.
    Et idem donc pour un vote en AG : imaginez que juste 10 % des gens suivent ce que dit le syndicat (et en pratique, il y en a probablement plus que ça), ben ça peut suffire (largement en fait) à faire basculer un vote, ou à faire passer d’une « large majorité favorable à la grève » à une majorité « fragile »…
  2. Et ensuite, deuxième gros truc : le vote en AG n’est pas non plus totalement libre, parce qu’il dépend aussi des conditions extérieures, et encore plus si on est dans un mouvement qui dépasse l’entreprise (genre mouvement de grève sectoriel, ou national).
    Parce qu’il y a besoin de se coordonner à grande échelle, avec les grévistes d’autres entreprises, pour être efficaces. Si c’est pour faire grève bien fort dans son coin, mais qu’on est les seul·e·s à la faire, ben ça sera peu efficace, et ça ne risque pas trop de faire plier les capitalistes, donc c’est juste des journées de salaire perdues pour rien hein !
    C’est une des difficultés les plus importantes de l’action collective en fait ça : votre intérêt à participer (ou non) à une action (comme une grève) dépend quand même pas mal de si beaucoup de monde autour va participer aussi ou pas, et de si la grève va être reconductible (donc efficace) ou pas. Si la grève est bien suivie et est reconductible, elle a une chance de faire plier le pouvoir, donc ça vaut le coup d’y aller, pour la nourrir et augmenter les chances que ça marche. Par contre, si la grève s’essouffle, ou est juste quelques journées d’actions séparées, ben de toute façon ce sera inefficace, quelle que soit votre détermination individuelle et celle de vos collègues dans votre entreprise, donc ça ne vaut ptètre pas tant que ça le coup d’y aller : c’est juste perdre des journées de salaire pour rien.
    Et tout ça dépend évidemment de l’attitude des syndicats, vu que leurs appels ont de l’influence. On sait par expérience, qu’on le veuille ou non, qu’il y a plein de gens qui les suivent. Et on le constate régulièrement d’ailleurs, qu’il y a bien plus de monde qui vient aux journées où une intersyndicale appelle (par exemple), ou au moins quelques grosses orgas, que pour d’autres rassemblements organisés indépendamment.
    Et encore une fois, c’est logique et inévitable :
    • d’abord, bien plus de gens auront eu l’info si l’appel est lancé par des grosses orgas, qui ont beaucoup plus d’audience (sans même parler de leurs relais médiatiques)
    • ensuite plus de gens font confiance malgré tout à des grosses orgas connues (grosse centrale syndicale), qui ont une grosse légitimité apparente, qu’à des organisateurs·trices pas connu·e·s.
    • et puis enfin il y a l’aspect « prophétie auto-réalisatrice » qui renforce encore tout ça, puisqu’on sait que si c’est une grosse orga « légitime » et avec beaucoup d’audience qui appelle, il y aura plus de monde. Et donc on est plus incité·e·s à y aller pour renforcer le truc. Et donc, il y a plus de monde.
    Et la magie de ça, c’est que ça marche même pour les gens qui sont très critiques des organisations syndicales, vu qu’on est dépendant·e·s de la mobilisation des autres ! Le fait d’appeler régulièrement à des grèves et manifs ponctuelles, inefficaces pour faire plier l’État et le patronat, mais impressionnantes par le nombre, ça permet aussi aux directions syndicales d’entretenir ce cercle vicieux, et donc de démontrer et de préserver leur influence.
    Donc n’importe quelle AG, ou même groupe d’AGs vaguement coordonnées, n’aura jamais une influence comparable à des grosses orgas syndicales pour mobiliser, orgas qui ont une énorme légitimité institutionnelle, et dont c’est en fait le rôle (théorique) de coordonner notre classe ! Oui, parfois ça arrive que les AGs arrivent à devancer les syndicats, à les contourner, à organiser une mobilisation qui peut survivre (un temps) sans un vrai soutien des centrales syndicales, mais c’est juste beaucoup plus difficile.
    D’ailleurs, même pour notre fameux contre-exemple de 1995 là, il faut pas oublier que les grévistes qui voulaient une reconductible, avaient au départ calé leur date de départ sur les dates décidées par les syndicats, avec l’appel à prolonger ensuite. Donc au début, la journée du vendredi 24 novembre (journée de mobilisation à laquelle toute l’intersyndicale avait appelé), avec l’appel à reconduire déjà jusqu’au mardi 28 (deuxième journée à laquelle des syndicats avaient appelé), histoire qu’il y ait le maximum de monde au départ, et de maximiser les chances de créer une dynamique qui dure !61.
    Et pour le coup, il y avait aussi une grande manifestation pour les droits des femmes entre les deux, le samedi 25 novembre, manif préparée depuis longtemps par de nombreuses orgas, qui a aidé à entretenir l’effervescence, vu que c’était juste le lendemain de la première grande journée de grève.
    61 Les grévistes ont calé leurs dates sur celles où les syndicats appelaient, parce qu’iels savaient bien que c’est difficile en général de mobiliser du monde durablement, mais que c’est un peu moins difficile quand il y a des gros syndicats avec une grosse légitimité institutionnelle qui appellent, et du coup qu’il y a beaucoup de monde qui vient une première fois.62.
    Ce qui me fait penser au passage que les syndicats ont depuis 2003 pratiquement arrêté d’appeler à des journées de grève le vendredi, en prétendant que ce serait moins efficace et en prenant prétexte de l’immonde arrêt « Omont » du Conseil d’État de 1978 (dont j’avais déjà parlé vite fait (cf page META)). Cet arrêt dit en gros que des jours normalement non-travaillés encadrés par deux journées de grève ne sont pas payés pour les fonctionnaires (genre un·e fonctionnaire qui ferait grève à la fois un vendredi et le lundi qui suit verrait une retenue de quatre jours de salaire, et pas seulement deux).
    Cet arrêt n’avait jamais été appliqué en pratique jusque là, mais le gouvernement l’avait ressorti du tiroir en 2003 et avait menacé de l’utiliser (sans vraiment le faire à l’Éducation Nationale, car iels devaient flipper leur race que ça énerve encore plus les grévistes et fasse empirer le truc).
    Mais dans tous les cas, cet arrêt ne peut de toute façon pas s’appliquer pour un·e fonctionnaire qui ferait grève seulement le vendredi ou seulement le lundi, donc il faudrait se demander si ce choix des syndicats d’arrêter les journées de grève le vendredi est vraiment justifié, ou s’il est fait là aussi pour diminuer le risque que ça reconduise en profitant du week-end…
    62
Donc voilà, même si on a des cas où les grévistes organisé·e·s en AGs ont réussi à déborder les syndicats, ça prouve absolument pas que les syndicats auraient peu d’influence sur ce qui se passe, mais juste que c’est parfois possible de les déborder malgré l’influence qu’ils ont, quand plein de conditions sont réunies.

Dernier argument : attribuer le comportement de la bureaucratie à l’idéologie ou à la lâcheté, mais pas à la corruption §

Enfin, une dernière façon de nier (ou de minimiser) la corruption dans les organisations syndicales dont je veux parler ici, c’est d’expliquer le comportement des directions et de la bureaucratie par une supposée idéologie, par les convictions (supposées) de leurs leaders, ou alors juste les attribuer à de la naïveté/tiédeur/lâcheté/bêtise, mais surtout jamais à de la corruption.
Par exemple, on entend et on lit souvent que la CFDT serait « libérale » (sous-entendu : par conviction), parce que ses dirigeant·e·s croiraient ptètre sincèrement que le libéralisme serait bien. (Genre que ça pourrait au final créer des emplois, à long terme. Enfin je suppose.)
Sauf que c’est absurde.
Pour moi, c’est comme quand les gens critiquent le PS (ou d’autres gros partis prétendument de « gauche ») en les accusant d’être « soc-dem », en sous-entendant que ce serait un problème d’idéologie (genre les politicien·ne·s agiraient par conviction…) ou de mollesse et de manque de radicalité, de lâcheté des élu·e·s, etc. Alors que c’est juste de la corruption et une question d’intérêts.
Ici, on n’est pas devant un déni complet que les directions syndicales ne seraient pas aussi combatives qu’il faudrait, ou qu’elles traîneraient les pieds, mais plutôt dans une minimisation, et surtout un déni des causes : ça n’irait pas jusqu’à la corruption donc, ni jusqu’au sabotage volontaire. Ou alors, cette corruption, si elle existe peut-être par endroits, ne serait pas si importante que ça et n’aurait pas un impact si important que ça au final par rapport à tous les autres paramètres, et ce serait limite du complotisme de trop se focaliser là-dessus.
Ou alors, variante, les directions seraient juste pas très courageuses, peut-être parce que c’est des bureaucrates qui se laisseraient un peu aller à leur petit confort de bureaucrates et deviendraient juste moins combatifs·ves naturellement à cause de ça, et se contenteraient de vouloir préserver l’orga en faisant en sorte qu’elle ne fasse rien.
Bien sûr, là aussi il y a une part de vérité là dedans, et il y a aucun doute que les privilèges et le confort de la position de permanent·e ou de bureaucrate rendent « naturellement » moins radical·e comme je le disais, sans même avoir besoin de corruption. Mais bon, d’une part, même si c’était « seulement » ça, je pense que ce serait déjà un argument suffisant pour tout faire pour se débarrasser du fonctionnement bureaucratique, parce que c’est évidemment un frein aux luttes. Et donc rien que ça serait un argument pour se mettre à gérer les organisations syndicales en démocratie directe le plus possible, vu qu’on a intérêt à ce que les décisions soient prises par des gens qui pensent à la lutte en premier (donc, directement par les syndicalistes de la base, dont c’est l’intérêt), et surtout pas par des gens dont la première priorité est de préserver leur petit confort !
Mais le problème de sous-estimer l’ampleur de la corruption, c’est qu’on va pas étiqueter les directions comme des ennemies, mais juste comme molles, ou « timides », ou « tièdes ». Et donc on ne pas tout faire pour se passer d’elles, mais souvent croire qu’on pourrait se contenter de les « pousser » à faire un peu plus pour les luttes, en étant, nous, plus radicales·aux et combatifs·ves.
J’ai déjà cité le fameux « rasoir de Hanlon » pour les politicien·ne·s,63.
Une règle de raisonnement qui dit en gros qu’il ne faudrait « jamais attribuer à la malveillance ce que la bêtise suffit à expliquer. »
63 et j’ai déjà expliqué pourquoi c’était faux. Mais on m’a déjà sorti plus d’une fois le même argument pour les directions syndicales, et je pense qu’il est faux là aussi, pour à peu près les mêmes raisons.
L’idée sous-entendue par ça, c’est qu’il y aurait des explications plus simples que la corruption pour leur comportement, et qu’il faudrait toujours privilégier l’explication « la plus simple ».64.
À cause du « principe de simplicité », aussi appelé « rasoir d’Ockham ». Vraiment il faudrait arrêter un peu avec tous ces rasoirs !
64 Sauf que la corruption est en fait… ben, l’explication la plus simple ici, justement ! En tout cas, l’explication la plus simple qui explique tout ce qu’on sait.
Essayons de prendre un peu de recul :
Donc il est plus que temps d’ouvrir les yeux là-dessus : les directions syndicales sont clairement corrompues et pas dans notre camp. Elles font partie de nos ennemi·e·s, et il s’agit pas de les « interpeller » ou de les « pousser », mais de les combattre et de s’en débarrasser.

Il faut savoir terminer un chapitre (Conclusion) §

(META/TODO : virer ce bout ou le réorganiser un peu ? Hm…)
Il y aurait des tas de trucs à ajouter et à approfondir, mais je vais juste en dire deux mots, car ce chapitre est déjà assez long :
Sur la bureaucratie : c’est bien les élections le problème §
Je vais terminer sur la bureaucratie. Énormément de textes parlent de la bureaucratie syndicale, pour la dénoncer.
À raison, bien sûr. Mais très peu disent que c’est dû à la logique électorale et à la délégation de pouvoir, et que le seul moyen d’éviter ça ce serait d’organiser les syndicats eux-mêmes en démocratie directe.
En fait, on a plein d’analyses différentes, qui pointent presque toujours des causes structurelles, mais presque jamais les élections et la délégation !67.
En tout cas j’en ai pas trouvé.
67 J’ai lu que c’était un « phénomène général », que c’était le résultat d’un « dysfonctionnement », des problèmes de personnes (genre à cause des permanent·e·s carriéristes et corruptibles), un problème de culture « paternaliste » de l’appareil syndical, j’ai lu que c’était à cause de l’émergence d’une « aristocratie ouvrière » ou encore de « l’intégration des syndicats à l’État » (Trotsky), etc. mais je n’ai jamais lu ni entendu nulle part que c’était la conséquence du modèle électoral !
Il y a des bouts de vérité dans toutes ces explications hein. Par exemple, les liens des syndicats avec l’État pointés par Trotsky, avec toutes les façons dont l’État finance les syndicats et les rend dépendants financièrement, ça favorise totalement le développement de cette couche parasitaire qu’est la bureaucratie bien sûr.
Mais c’est largement insuffisant de s’arrêter là sans parler des élections et de la délégation de pouvoir, alors que c’est la première cause, et de loin ! Je pense que c’est un véritable angle mort des analyses politiques sur le sujet dans notre camp, alors que ce serait l’un des aspects les plus importants et les plus urgents pour notre classe de s’attaquer à ça !
Encore une fois on ne peut pas sous-estimer l’importance de ça : s’il y a de la bureaucratie et de la corruption des responsables syndicales·aux, c’est parce qu’il y a des responsables ! C’est parce que les décisions sont prises par un petit nombre de personnes, et que c’est possible de faire carrière.
C’est une erreur fondamentale de notre camp de ne pas admettre que les élections posent les mêmes problèmes partout, y compris en dehors des États. J’ai pris l’exemple des syndicats, mais c’est pareil dans les associations d’ailleurs : si vous vous demandez pourquoi dans telle asso à but (théoriquement) non lucratif, une décision en apparence aberrante est prise (genre l’achat à des entreprises de services ou de fournitures chères et pas forcément nécessaires, un soutien affiché à une politique néfaste sous un prétexte idiot, etc.) hé ben l’explication est peut-être tout simplement de la corruption des responsables de cette asso, ou des conflits d’intérêts…
Alors, pourquoi cet angle mort ? Je sais pas vraiment. Probablement plusieurs causes, dont la difficulté à admettre que c’est tout le système qu’il faut remettre en cause (je reviendrai dessus dans un chapitre prochain). Peut-être en partie aussi parce que ces textes sont écrit·e·s par des élu·e·s syndicales·aux sincères ici ou là (il y en a quand même pas mal, surtout parmi les gens qui ont peu de responsabilités), ou par des gens qui connaissent des élu·e·s syndicales·aux sincères, et du coup ça entretient ptètre l’impression fausse que les élections pourraient fonctionner dans certaines conditions, que ce serait pas elles le problème ?
Je sais pas exactement.
Mais le résultat est que tou·te·s ces gens n’envisagent jamais que c’est les élections le problème !
Des propositions de solutions incomplètes et inefficaces §
Du coup, ces explications incomplètes nous amènent toujours à des propositions de « solutions » incomplètes elles aussi, et inefficaces/insuffisantes :
Et ces deux idées sont fausses : 1) la bureaucratie sera toujours contre nous autant qu’elle pourra, et ne nous servira jamais, même si on arrive parfois à la déborder un peu, et 2) l’existence de cette bureaucratie parasitaire n’est pas une fatalité, mais juste la conséquence du modèle électoral, même si c’est jamais analysé comme ça !
Cette mauvaise analyse entretient l’illusion qu’on pourrait obtenir quelque chose de cette bureaucratie, et empêche de réfléchir à comment s’en débarrasser !
À la limite, le seul endroit où il faudrait pousser les directions syndicales, c’est dans un ravin ! Hahahaha !
Hm pardon.
Ce que je veux dire, c’est que, s’il y a vraiment un truc à retenir de ce chapitre c’est ça : la bureaucratie et les trahisons des directions syndicales ne sortent pas de nulle part, ne sont pas une fatalité. Elles sont la conséquence mécanique du fonctionnement actuel des organisations syndicales. Fonctionnement qui n’est jamais remis en cause ni même questionné !
Et si on veut changer les choses, on ne peut pas se limiter à juste organiser les luttes en démocratie directe localement, avec des AGs locales, mais rien de plus. Évidemment qu’il faut faire ça hein (et c’est déjà pas facile, je suis d’accord), mais tant qu’on se contentera de ça et qu’on restera dépendant·e·s collectivement de la volonté de bureaucrates pour tout ce qui est prise de décision à plus grande échelle, donc pour la coordination de nos luttes, on sera désavantagé·e·s.
La délégation fait que, mécaniquement, les décisions sont toujours prises par un petit nombre (c’est le principe), et donc ce petit nombre va toujours développer des intérêts différents de la masse (que ce soit à faire carrière et préserver sa place, ou à cause de la corruption). C’est mécanique et inévitable. Et le fait qu’on trouve (parfois) des gens sincères qui arrivent à être élu·e·s quand même et qui sont prêt·e·s à aller contre leurs nouveaux intérêts d’élu·e·s et ne trahissent pas leurs précédent·e·s collègues, n’invalide pas qu’iels auraient intérêt à le faire, intérêt à trahir, et que la plupart des gens dans leur position le feront ! Ces gens sincères sont juste des exceptions, et croire qu’on pourrait en avoir un jour une majorité des comme ça dans un système électoral est juste complètement illusoire.
META : mettre ce bout plus haut ? Après le « en vrac » ?
Vous me croyez pas que c’est la délégation le problème ? Demandez-vous : qu’est-ce qui se passerait si les syndiqué·e·s décidaient tou·te·s directement (donc en démocratie directe) de ce que le syndicat fait, et donc aussi de ses règles de fonctionnement ?
Est-ce qu’iels laisseraient une opacité presque totale sur la façon dont leur fric est utilisé, comme actuellement ? Bien sûr que non ! Iels fixeraient des règles qui imposeraient toujours plus de transparence, et une vraie vérification effective à tous les étages.
Est-ce qu’iels continueraient de déléguer de la même façon ? Non plus : même s’il existe certaines tâches qu’on est obligé·e·s de déléguer (même en démocratie « directe », oui), iels décideraient de faire ça différemment, et de façon à ce que personne ne puisse faire carrière !68.
On verra comment une autre fois.
68
Si tou·te·s les syndicalistes décidaient directement, est-ce qu’iels fixeraient des salaires aussi élevés, avec tous les autres privilèges qu’on a vus, pour les personnes à qui une responsabilité est confiée ? Bien sûr que non !
Est-ce qu’iels les laisseraient être recasé·e·s par les capitalistes ou l’État ? Certainement pas, iels fixeraient au contraire des règles pour empêcher ça aussi ! (ce que tou·te·s les syndicalicien·ne·s aux manettes refusent systématiquement de faire hein)
Et est-ce qu’iels saboteraient leurs propres grèves, choisiraient des journées de « mobilisation » saute-moutons démobilisantes, une fois tous les 15 jours, pour s’épuiser eux-mêmes ? Absolument pas, évidemment, au contraire, iels voteraient des appels à la reconductible (ce qu’énormément de gens réclament) et se donneraient les moyens pour qu’elle réussisse !
Tous les problèmes qu’on a vus découlent de l’élection et de la délégation !
En fait les seuls arguments que je vois contre cette analyse, c’est juste les arguments classiques contre la démocratie directe en général : comme quoi le peuple (ou dans ce cas, la base) serait trop bête pour prendre directement les décisions, ou pas assez compétente, ou trop irrationnelle, trop manipulable, etc. Ou alors, l’idée qu’une démocratie directe à grande échelle, ce serait tout simplement impossible à réaliser, ou au moins trop difficile, etc. Tous des arguments auxquels j’ai prévus de répondre en temps voulu,69.
Wow qu’est-ce que je parle bien.
69 mais en fait il y en a qu’un seul dans le lot qui est vraiment fondé : le fait que c’est difficile à faire.
Pas impossible attention, mais oui, c’est vrai, c’est difficile de faire une démocratie directe à grande échelle en général, qui fonctionne bien et qui évite la fatigue démocratique et tous les pièges qui vont avec (comme la bureaucratisation justement). Et ça le sera aussi pour coordonner les luttes. Et c’est pour ça qu’on a tellement tendance tout le temps à avoir recours à de la délégation pour faire ça, parce que c’est plus facile et qu’on sait faire que comme ça.
Mais à partir du moment où on admet que c’est pas impossible, ben en y réfléchissant correctement (et collectivement), et en expérimentant, on finira bien par trouver des recettes qui marchent.
À condition d’arrêter de s’illusionner sur les directions, et de se fixer la démocratie directe comme objectif central, et d’y accorder l’importance qu’elle mérite, plutôt que de voir la question de la démocratie comme un truc accessoire, une revendication parmi d’autres.
Que faire maintenant à partir de là ? §
Alors pour conclure cette conclusion, que faire concrètement à partir de là ?
Hé bien… je ne sais pas exactement, désolé.
Comme je l’ai dit, je pense que la priorité et l’urgence pour notre camp, c’est d’arriver à nous organiser collectivement en démocratie directe à grande échelle, parce que ça conditionnera nos chances de succès dans toutes les luttes à venir. Ça, ça me paraît évident, sauf que je ne sais pas exactement comment y arriver.
Déjà, je ne suis pas sûr de savoir exactement comment organiser une démocratie directe à grande échelle, comment organiser les institutions. J’ai bien quelques pistes pour commencer, dont je reparlerai plus tard, dans le tome 2,70.
N’oubliez pas de l’acheter.
70 mais pas forcément de certitude sur ce qui serait le mieux… Je pense que c’est un problème complexe qui ne peut pas être résolu par une seule personne, et une seule personne ne peut certainement pas imposer sa vision de la démocratie aux autres. On ne décrète pas une organisation démocratique.
Et d’ailleurs j’ai pas un gros bouton rouge « démocratie directe » dans mon bureau sur lequel je refuserais d’appuyer. ;-) ;-) ;-)
Hm pardon.
Et puis un deuxième truc que je sais pas, c’est comment arriver à se débarrasser de la bureaucratie syndicale et faire des gros syndicats vraiment démocratiques aujourd’hui.
Est-ce qu’il faudrait tenter de se réapproprier les grosses orgas syndicales existantes, en diffusant en interne le plus possible un discours critique radical de la bureaucratie, et une revendication de démocratie directe partout, pour essayer de convaincre le maximum de syndicalistes sincères de cette nécessité absolue d’engager un vrai bras de fer interne avec leur direction, pour arriver à chasser les bureaucrates des orgas, tout en transformant ces orgas pour les rendre vraiment démocratiques ? Ou alors, est-ce qu’il faudrait au contraire considérer que ces grosses orgas seraient déjà perdues de toute façon, que la dynamique interne donnera toujours trop de légitimité et de pouvoir aux bureaucrates pour qu’on puisse les renverser et transformer l’orga pour en faire quelque chose de correct, et qu’il faudrait plutôt tenter de créer de nouvelles structures fonctionnant en démocratie directe à grande échelle ? Avec l’objectif de convaincre ensuite le plus possible de syndicalistes sincères des gros syndicats bureaucratisés de les quitter pour rejoindre ces nouvelles structures vraiment démocratiques, pour les faire grossir, et laisser les anciennes orgas bureaucratisées disparaître ? Ou encore, variante, faire grossir les petites structures un peu démocratiques existantes, tout en faisant gaffe à ce qu’elles restent démocratiques en grossissant ?
Ou peut-être un peu de tout ça en même temps ?
Malheureusement, j’ai pas de réponse à tout ça, et aucune certitude sur quelle stratégie fonctionnerait le mieux…
Mais dans tous les cas, je pense que notre priorité devrait être de faire prendre conscience au plus grand nombre de l’ampleur de la corruption des directions, du fait que non, c’est pas juste de la tiédeur ou de la mollesse, et surtout, de faire prendre conscience de l’importance de cette question de démocratie interne, et de l’urgence de la critique du principe des élections et de la délégation partout, et pas seulement à échelle locale, mais jusqu’au sommet de nos orgas. Les élections posent les mêmes problèmes partout, même en dehors des États, parce que les mêmes causes entraînent toujours les mêmes effets.
Tant que cet aspect absolument central continuera d’être sous-estimé par tout le monde, on ne pourra pas avancer.
C’est le but de ce texte/chapitre, et c’est pour ça que j’ai argumenté aussi longuement et avec autant d’exemples : dans l’espoir de convaincre le plus de monde de l’importance centrale de cette question.

  1. Et je le répéterai et j’y reviendrai au cours du chapitre, car je suis payé à la ligne. ↩︎
  2. Enfin, peut-être pas littéralement « dans la peau », car c’est pas exactement légal. ↩︎
  3. Bon OK dans cet exemple c’était pas pour demander une augmentation, mais pour obtenir des conditions de licenciement un peu moins scandaleuses. Mais ça revient au même : des syndicalistes ont trahi leurs collègues par intérêt personnel. ↩︎
  4. Dont un ex commandant de police de la DGSI… ↩︎
  5. De Robert Fitch, 2006. ↩︎
  6. De Jean-Luc Touly et Roger Lenglet, 2013. ↩︎
  7. Qui ont été remplacés par les CSE, « Comité social et économique », depuis une loi de 2018, mais qui ont les mêmes attributions. ↩︎
  8. Soit plus de 1 200 euros par salarié·e de l’entreprise ! ↩︎
  9. Si ça vous rappelle une affaire citée dans le chapitre sur la corruption c’est normal, c’est le même principe : il y a une possibilité de tricher sans risquer grand chose, donc les gens trichent. ↩︎
  10. On pourrait d’ailleurs questionner leur utilité en général à part ça, vu que peu de salarié·e·s profitent en pratique de leurs services : pour le CE de la RATP par exemple, 13 % seulement des salarié·e·s de la RATP lui font appel pour organiser leurs séjours de vacances, dont surtout les salarié·e·s les plus favorisé·e·s de l’entreprise… On est loin de la prétention de permettre « au plus grand nombre » de partir en vacances… ↩︎
  11. La division de la Poste chargée de l’impression des timbres. ↩︎
  12. Oui je sais ça sonne bizarrement, le « maire d’alors ». ↩︎
  13. L’United Auto Workers, l’un des plus importants syndicats outre-Atlantique. ↩︎
  14. 37 % d’augmentation de salaire quand même, un doublement du taux des pensions, la mise en place de limites à la sous-traitance, etc. ↩︎
  15. L’International Association of Machinists. ↩︎
  16. Transport Workers Union. ↩︎
  17. International Brotherhood of Teamsters. ↩︎
  18. Désolé pour la Corrèze, mais bon, Chirac et Hollande c’est de votre faute quand même ! ↩︎
  19. Chiffres publics les plus récents que j’ai pu trouver. La source est un rapport public de 2006. ↩︎
  20. En fait le rapport Hadas-Lebel cité par la Wikipedia ne cite pas directement ces chiffres (enfin j’ai pas vu), mais on peut les déduire du tableau page 58. ↩︎
  21. Ici, je me base en partie sur le bouquin « Au royaume de la CGT : la résistible ascension de Philippe Martinez » (Jean-Bernard Gervais, 2020). ↩︎
  22. Bon, les élections c’est déjà de la merde et pas démocratique en général hein. Mais même par rapport aux élections en général, ici il y a eu une grosse manipulation. ↩︎
  23. D’autant qu’ici en plus, on peut imaginer que les militant·e·s étaient pressé·e·s d’enfin tourner la page de la crise Lepaon, ce qui a dû aussi jouer dans leur acceptation de la seule proposition qui leur était faite… ↩︎
  24. Même si elles avancent parfois des causes contradictoires, selon qu’elles sont faites par des gens de droite ou par des gens un peu de bonne foi. ↩︎
  25. Source encore : « Au royaume de la CGT », de Jean-Bernard Gervais. ↩︎
  26. Genre un mec embauché à la confédération parce qu’il était le fils du secrétaire d’une Union départementale… ↩︎
  27. Le chiffre de 300 000 euros est avancé ! ↩︎
  28. La Nouvelle Vie Ouvrière, le magazine de la CGT. ↩︎
  29. À raison bien sûr. Les dirigeants de ce syndicat avaient même été condamnés quelques années avant pour avoir reçu des pots-de-vin de 60 000 euros de la part d’entreprises de nettoyage ! ↩︎
  30. Bon je ne pense pas que la grève des cheminot·e·s aurait réussi, même avec le soutien plein de la confédération, vu que c’était une grève intermittente (ce qui est inefficace), ni que Laurent Brun serait meilleur que Philippe Martinez, vu que c’est lui aussi un bureaucrate, et qu’il défendait justement le principe de la grève intermittente, mais c’est pas la question. ↩︎
  31. Ce qui le plaçait parmi les 6 % de personnes les mieux rémunérées du pays. ↩︎
  32. Ce qui reste beaucoup mais bref. ↩︎
  33. Oui je sais j’aime bien faire cette comparaison. Je fais partie des 8 % des gens qui font le plus souvent cette comparaison. ↩︎
  34. Soit le « coût » de sept bureaucrates à peine ! ↩︎
  35. Bon alors certes, ici c’est peut-être pas un recasage par les capitalistes directement, vu que c’est les syndicats qui ont décidé de le nommer là… Sauf que l’OIT (Organisation internationale du Travail, dont dépend le BIT) est financée largement sur fonds publics, comme beaucoup de structures syndicales d’ailleurs. Une autre façon pour les États de rendre les syndicats dépendants… ↩︎
  36. Pour la petite histoire, il existait déjà une agence chargée de la même mission (l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, ANLCI), mais elle ne convenait pas à Lepaon, car sa présidence n’était… pas rémunérée, et qu’il fallait bien le payer quand même ! ↩︎
  37. Comme la fameuse « grève de la gratuité » dans les transports en commun : d’une part c’est pas légal, et en plus ça bloquerait moins l’économie aussi, donc ce serait quand même beaucoup moins efficace comme levier de pression sur le patronat. ↩︎
  38. D’ailleurs j’en profite pour faire une remarque en passant : c’est (encore une fois) parce que l’État n’est pas démocratique et que la population ne décide pas du contenu des lois directement, qu’on en est collectivement réduit·e·s à faire des grèves, et donc à sacrifier des journées voire des semaines de salaire, à prendre des risques, et à gêner les usagèr·e·s au passage, pour forcer cet État non démocratique à faire un peu moins de la merde. En démocratie directe ce problème serait évidemment résolu sans tous ces inconvénients ! ↩︎
  39. Et surtout : illégal. ↩︎
  40. Et pas de construction, pas de palais. ↩︎
  41. Parfois dites « perlées », à tort. ↩︎
  42. Au passage, l’un des syndicalistes qui avaient signé le plan de licenciement (sans consulter les salarié·e·s, bien sûr) a ensuite eu une énorme promotion quelques jours après, et s’est apparemment retrouvé propulsé « directeur adjoint des opérations » de l’entreprise ! Une sacrée coïncidence que ça tombe au même moment quand même hein ? Ce que c’est que les hasards de calendrier… ↩︎
  43. « Hommage soit rendu aux forces syndicales dans notre pays, nous avons fait cette réforme considérable des retraites sans violence. […] Les Français peuvent être fiers. Ils ont manifesté leur différence, leur inquiétude, mais en se respectant les uns les autres. […] Les syndicats ont été responsables… » (Nicolas Sarkozy, JT de Claire Chazal, le 16 novembre 2010). ↩︎
  44. Et pas de palais. ↩︎
  45. Pour les trois premières grèves que je cite, 1995, 2003 et 2010, je reprends ici globalement l’analyse de ce très bon article du NPA, en nuançant ptètre juste (un peu) la combativité des directions en 1995. ↩︎
  46. Comme quoi voyez, on peut avoir les directions les plus pourries et corrompues jusqu’à la moelle, ça empêche pas forcément d’avoir des syndicalistes sincères et vénères à la base ! Même si on le savait déjà. ↩︎
  47. Les 2, 12, 16 et 19 octobre. ↩︎
  48. Douze jours plus tard quand même, et sous le prétexte incroyablement hypocrite de se « donner du temps pour mobiliser » ! ↩︎
  49. Qui étaient totalement prévisibles depuis longtemps hein, leur date a pas été décidée à la dernière minute. ↩︎
  50. Et attention, les confédérations n’y appellent surtout pas par contre, et ont bien pris le soin de le préciser ! : « On n'est pas dans la logique de la grève reconductible » pour le 7 mars (Laurent Berger, CFDT) / « La question de la reconduction ne se décide pas au niveau des confédérations syndicales, mais dans les entreprises et les services. » (Philippe Martinez, CGT) Bizarrement quand c’est dans l’autre sens et que c’est pour appeler à la reprise du travail, là ça gêne jamais les directions de le faire par contre ! ↩︎
  51. 233ème fortune mondiale en 2019 avec 6.8 milliards de dollars. ↩︎
  52. Pour dire le niveau de foutage de gueule, l’UTLA avait même suggéré aux enseignant·e·s grévistes de s’endetter pour financer leurs journées de grève, alors que ce syndicat récupère 40 millions de dollars chaque année avec leurs cotisations ! ↩︎
  53. Et je ne suis certainement pas de droite non plus ! Ça suffit les insultes là ! ↩︎
  54. Pour rappel pour les jeunes qui me liraient, quand on parle de syndicalisme « jaune », ça n’a rien à voir avec le mouvement récent des « Gilets Jaunes ». C’est un terme beaucoup plus ancien, né par opposition aux syndicats dits « rouges » et contestataires, pour désigner un faux « syndicalisme » qui ne conteste rien du tout. ↩︎
  55. Sauf quand c’est pour appeler à la reprise, bien sûr. ↩︎
  56. Et auxquelles on sait jamais si on peut faire confiance ou pas, du coup… ↩︎
  57. Et pour le coup, il y avait aussi une grande manifestation pour les droits des femmes entre les deux, le samedi 25 novembre, manif préparée depuis longtemps par de nombreuses orgas, qui a aidé à entretenir l’effervescence, vu que c’était juste le lendemain de la première grande journée de grève. ↩︎
  58. Ce qui me fait penser au passage que les syndicats ont depuis 2003 pratiquement arrêté d’appeler à des journées de grève le vendredi, en prétendant que ce serait moins efficace et en prenant prétexte de l’immonde arrêt « Omont » du Conseil d’État de 1978 (dont j’avais déjà parlé vite fait (cf page META)). Cet arrêt dit en gros que des jours normalement non-travaillés encadrés par deux journées de grève ne sont pas payés pour les fonctionnaires (genre un·e fonctionnaire qui ferait grève à la fois un vendredi et le lundi qui suit verrait une retenue de quatre jours de salaire, et pas seulement deux).
    Cet arrêt n’avait jamais été appliqué en pratique jusque là, mais le gouvernement l’avait ressorti du tiroir en 2003 et avait menacé de l’utiliser (sans vraiment le faire à l’Éducation Nationale, car iels devaient flipper leur race que ça énerve encore plus les grévistes et fasse empirer le truc).
    Mais dans tous les cas, cet arrêt ne peut de toute façon pas s’appliquer pour un·e fonctionnaire qui ferait grève seulement le vendredi ou seulement le lundi, donc il faudrait se demander si ce choix des syndicats d’arrêter les journées de grève le vendredi est vraiment justifié, ou s’il est fait là aussi pour diminuer le risque que ça reconduise en profitant du week-end… ↩︎
  59. Une règle de raisonnement qui dit en gros qu’il ne faudrait « jamais attribuer à la malveillance ce que la bêtise suffit à expliquer. » ↩︎
  60. À cause du « principe de simplicité », aussi appelé « rasoir d’Ockham ». Vraiment il faudrait arrêter un peu avec tous ces rasoirs ! ↩︎
  61. Alors, ici je parle des directions syndicales, mais ça marche aussi pour les élu·e·s politiques. En gros le raisonnement s’applique à tou·te·s les gens qui arrivent à faire carrière et à arriver au « sommet » dans n’importe quelle grosse orga fonctionnant sur un modèle électoral et avec une grosse compétition pour les postes. ↩︎
  62. Comme les révoltes urbaines de 2005 en France suite à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, ou les révoltes de 2023 suite au meurtre de Nahel par un policier. ↩︎
  63. En tout cas j’en ai pas trouvé. ↩︎
  64. On verra comment une autre fois. ↩︎
  65. Wow qu’est-ce que je parle bien. ↩︎
  66. N’oubliez pas de l’acheter. ↩︎